L’appel du Front de Gauche à manifester le 1er décembre à Paris contre l’augmentation de la TVA au 1er janvier 2014, mais pour le maintien de l’écotaxe, fait l’objet de la part de la direction du Parti de gauche d’une curieuse préparation idéologique. L’essentiel de l’argumentation tourne autour de la question de la caractérisation du mouvement des bonnets rouges. Au lendemain de la manifestation de Quimper, l’éditorial de l’Humanité du 12 novembre titrait : « Le peuple de gauche doit reprendre la rue ! », position vite précisée par le dirigeant communiste Francis Parny : « il est temps pour le peuple de gauche de reprendre la rue aux bonnets rouges ». A travers la voix de Jean Luc Mélenchon et d’Eric Coquerel, voyons comment les problèmes sont posés. Le 24 novembre Jean Luc Mélenchon publie ces lignes :
« Dans l’interview que j’ai donnée au journal « Médiapart », on se souvient que je me trouvais placé quasiment en position défensive par rapport aux questions qui m’étaient posées, compte tenu du préjugé qui dominait alors selon lequel l’essentiel, dans la manifestation de Quimper, aurait été le mouvement et la composition sociale plutôt que les mots d’ordre et les organisateurs. J’ai protesté contre cette vision très « mouvementiste » de la lutte sociale, au profit d’une lecture plus respectueuse de ce que les protagonistes déclaraient mettre réellement en jeu. Il me semble que l’évolution de la situation jusqu’au point où nous voici rendus pour ce 23 novembre breton confirme cette approche.
De tous côtés, les enquêtes réalisées montrent que j’avais raison : chez les bonnets rouges, il n’y a que le bonnet de rouge. Dernière confirmation en date : le syndicat Force Ouvrière du Finistère était le seul syndicat à avoir participé au collectif des "bonnets rouges" et à la manifestation de Quimper le 2 novembre. Depuis, ce syndicat a décidé de quitter le collectif dénonçant son "corporatisme" et son "régionalisme". Nous avions vu cela dès début novembre : les mots d’ordre de la manifestation de Quimper, les organisations qui y appelaient autour de l’UMP, de la FNSEA et du Medef, le soutien des évêques et du Front National, tout cela nous avait mis en alerte. J’ai dit sans détour ce que j’en pensais ! Le Parti de Gauche n’a pas été en reste ! Nous avons bien fait. A cette heure on nous témoigne de la reconnaissance de l’avoir fait « cru et dru ». A présent, les témoignages se multiplient qui confirment la manipulation à laquelle nous avons appelé à ne pas céder. Ainsi, Le Monde du 17 novembre a dressé le portrait de "ces patrons à l’origine des bonnets rouges" comme le titre le journal. Dès le titre, il est donc clair que l’initiative est patronale, comme nous l’affirmions. La manifestation des "bonnets rouges" a été organisée à l’appel d’un collectif nommé "Vivre, décider et travailler en Bretagne". C’est ce collectif que FO a décidé de quitter. Le caractère productiviste et patronal du collectif est limpide, puisque sa cheville ouvrière est le président de la FNSEA du Finistère Thierry Merret. Depuis le début, ce collectif revendique aussi son caractère régionaliste à travers le maire de Carhaix, Christian Troadec. Celui-ci explique au Monde comment ce collectif dont il fait partie a été composé autour d’"un réseau informel de gens qui se connaissent très bien, qui se côtoient très régulièrement, dans les locaux de l’Institut de Locarn ou ailleurs".
Cet Institut de Locarn est le fer de lance du patronat régionaliste. « Le Monde » le présente comme un "think thank régionaliste". Régionaliste n’est pas le bon mot pour le décrire. C’est un haut lieu du communautariste identitaire, ce qui n’est pas pareil. C’est une évidence. Son président, Alain Glon, est même allé jusqu’à écrire le 10 novembre 2012 sur un blog breton que "le problème de la Bretagne c’est la France". Alain Glon a explicitement soutenu le Parti Breton et son candidat dans la campagne législative à Dinan. Mais ce think tank est aussi intimement lié au monde patronal puisqu’il compte, parmi ses principaux membres, de grandes entreprises et le syndicat patronal CGPME. « Les bonnets rouges » ne sont qu’un épisode dans une offensive concertée des patrons identitaires. Celle-ci vient de loin. A l’époque, le 18 juin, il y a maintenant cinq mois, quand on ne parlait pas encore des bonnets rouges, une trentaine de patrons réunis à Ponthivy, dans le Morbihan, créent le "comité de convergences des intérêts bretons" (CCIB). Ce CCIB a ensuite participé à la création du collectif des bonnets rouges. Parmi les initiateurs de l’appel, il y a un homme : Alain Glon. Il est le président de l’Institut de Locarn dont parle Troadec. Au « Monde », il avoue la supercherie des "bonnets rouges" en déclarant clairement "on pilote deux choses : les “bonnets rouges” et un projet pour la Bretagne". Le pilote, c’est donc lui, son institut et ses acolytes du patronat de la grande distribution et de l’agroalimentaire productiviste.
En juin, ces patrons ont lancé un "appel". Cet appel de Pontivy fixe le cadre de ce qui deviendra ensuite le mouvement des bonnets rouges. On y trouve déjà tout ce que nous avons rejeté dans la manifestation de Quimper. Sur la méthode d’abord ! Comment s’étonner ensuite du saccage des portiques Ecotaxe ? Surtout quand Alain Glon explique que "on peut tolérer un peu de violence". Sur le fond, le message est aussi très clair. Le discours anti-Etat et antirépublicain est fortement présent et s’agglomère dans un gloubi-boulga libéral contre « l’hyper centralisme français et le labyrinthe des réglementations ». Ils réclament que davantage de pouvoir soit donné aux régions ainsi qu’un "droit à l’expérimentation (…) afin de ne pas avoir à affronter en permanence les excès des systèmes bureaucratiques". »
Pour couronner cette brillante analyse, qui découvre avec horreur, que dans un mouvement social de masse la réaction est toujours présente, et qui laisse purement et simplement de côté le rôle joué par les entreprises en lutte, on pourrait conseiller à Jean Luc Mélenchon de conclure avec quelques réminiscences historiques. En 1940 il y avait en centre Bretagne un mouvement régionaliste, par ailleurs ultra-minoritaire dans la population, qui avait décidé de négocier directement avec les nazis pour une autonomie régionale dans l’Europe brune du 3ème Reich. Ils passaient outre la case Pétain pour tracter avec Hitler… Pourquoi ne pas dire aussi que le mouvement des bonnets rouges, c’est de la graine de nazi. D’ailleurs l’analyse faite par Eric Coquerel, en tant que secrétaire national du Parti de Gauche, ne se mouche pas du pied en avançant ce qui suit :
« Sur fond de chômage et de stagnation économique, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault poursuit une politique d’austérité catastrophique pour le pays. Pire, parce qu’identifié comme le gouvernement de la « gauche », il sème la confusion et désoriente toujours plus nos concitoyens. Cette fin d’année, marquée par le vote d’une réforme des retraites qui légitime et aggrave celle de Nicolas Sarkozy et par un budget d’austérité record, est en train d’achever ce qui reste de légitimité populaire à Jean-Marc Ayrault et François Hollande. C’est dans ce contexte qu’est survenue la « révolte » des Bonnets rouges. Constatons qu’il s’agit du premier mouvement de masse auquel le gouvernement cède. Alors que François Hollande est resté droit dans ses bottes pour refuser aux syndicats la moindre inflexion sur l’accord national interprofessionnel, la réforme des retraites ou la loi d’amnistie sociale, alors qu’aux côtés de son ministre de l’intérieur il a refusé au mouvement lycéen le moindre geste en faveur des élèves scolarisés expulsés du pays, fidèle en cela à une gestion autoritaire et à la politique du bouc émissaire, voilà qu’en quelques jours il laisse démanteler ses portiques et son écotaxe. Ce gouvernement de « gauche » a la particularité d’être compréhensif et faible avec les « pigeons », le Medef et, dans le cas des bonnets rouges, une alliance contestatrice dominée par la FNSEA , le Medef et la droite, voire le FN. A l’inverse, il se révèle dur et intransigeant avec ceux qui lui ont permis d’être là.
Le signal donné est terrible et pourrait donner des ailes à ce type de mobilisations dans lesquelles les justes revendications des salariés pour l’emploi sont dévoyées et manipulées au service des intérêts de l’agro-business, du patronat et de visions identitaires, réactionnaires voire antirépublicaines. Il n’est d’ailleurs pas un hasard que l’extrême droite se « déguise » depuis en « bonnets rouge » que ce soit sur les Champs-Elysées pour les cérémonies du 11 novembre ou ailleurs. Le FN et ses succursales ont très bien compris le terreau que représente ce mouvement de contestation qui nie les intérêts divergents des classes au profit d’une vision corporatiste de la société. Le fascisme a pratiqué ainsi dans les années 30. »
On connaît cette méthode, c’est celle de l’amalgame, elle a sévi au sein de mouvement ouvrier tout au long du XXème siècle. Les staliniens étaient les maîtres en la matière. Le parti stalinien n’est pas tout à fait mort. Quand on ne veut pas répondre à un problème réel, en l’occurrence un processus social charriant les couches de la société en Bretagne sacrifiées par la crise du mode de production capitaliste, on pratique l’amalgame : les participants à la manifestation de Quimper sont des « benêts » des « nigauds » manœuvrés par le patronat, l’église et l’extrême droite. De là à dire que ces mêmes« nigauds » sont les alliés objectifs du fascisme, il n’y a qu’un pas et Coquerel le franchit. Le petit père Staline faisait cela autrefois !
Tout ce matraquage idéologique initié par la direction du PCF, puis repris et labouré par les responsables nationaux du Parti de Gauche a une fonction ; essayer d’occulter que ces derniers ont refusé de prendre leur responsabilités par rapport aux ruptures qui s’opèrent au sein des départements bretons avec le néo-libéralisme et l’Europe du Reich Merkel. Ce faisant la direction du Front de Gauche abandonne le terrain aux forces réactionnaires. En fait le projet strictement électoraliste de la direction du Front de Gauche de construction d’une majorité en particulier avec l’écologie politique entre aujourd’hui en contradiction avec les aspirations de ceux et celles qui se sont mobilisés parce qu’ils sont étranglés par la crise : ils se foutent des élections municipales et encore plus des européennes. Ils ont besoin de réponses ici et maintenant. Le rôle d’un parti qui prétend combattre contre le capitalisme est d’être là avec ceux qui entrent en lutte et de formuler les réponses. Je joins sur ce blog l’article d’Emile Fabrol, « En passant par la Bretagne » qui souligne que si la perspective ce sont les positions de l’Intersyndicale des départements bretons que le Front de Gauche honore de son soutien, les salariés ont vraiment du souci à se faire. Et cet autre article de Jérome Metellus qui explique dans sa conclusion :
« Tant que l’économie reste sous le contrôle des capitalistes, le mouvement ouvrier ne peut, au mieux, que « freiner les conséquences de la catastrophe » sociale engendrée par la crise du système, la plus profonde depuis les années 1930. On peut résister, éventuellement arracher des concessions, retarder une fermeture, obtenir de « bonnes » indemnités de licenciement et limiter le nombre de travailleurs licenciés, mais rien de plus. Toute l’expérience de ces dernières années l’atteste. D’où la nécessité vitale, pour les grandes organisations de la classe ouvrière, de remettre au cœur de leur programme la revendication de l’expropriation des capitalistes, à commencer par ceux qui menacent de fermer leur entreprise. »
Aucune force conséquente ne combat aujourd’hui sur cette orientation. Et pourtant c’est cela dont nous avons besoin : je vois avec amertume que le Front de Gauche ne prend pas cette direction. Je crains que la décrue en terme de mobilisation sociale après la réussite de la manifestation du 5 mai ne commence à s’amorcer et les contradictions internes, apparue notamment avec la direction du PCF, ne s’approfondissent.
Ce billet est un tissu de mauvaise foi et de désinvolture politiques dont le paradoxe (pour ne pas dire l'incohérence) consiste à citer longuement une analyse fondée sur les faits de JL Mélenchon pour en déduire chez lui "des méthodes staliniennes" sans démontrer quoi que ce soit tout en établissant des équations farfelues par extrapolations abusives (autrement dit des amalgames et raccourcis bien grossiers) . Inutile donc de développer puisque la réponse à la critique est incluse dans celle-ci par son auteur lui-même. Ainsi, par exemple, JLM soutiendrait l'éco-taxe Sarko-Ayrault ?
Réponses : fdgaucherhone10e.canalblog.com/archives/2013/11/02/28342493.html ou bien www.jean-luc-melenchon.fr/2013/11/29/retour-de-leco-taxe-pour-2015-ou-est-passee-la-remise-a-plat-fiscale/
Ceux qui s'imaginent en ce moment que les bonnets rouges préfigurent la révolution à venir sur le modèle de la Grande Révolution de 1789 ou quelque insurrection nationalo-régionalo-subversive grosse de révolution prolétarienne ou l'étincelle pouvant mettre le feu à la plaine révolutionnaire asséchée feraient mieux de revoir leurs classiques en la matière.