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Mexique : La influenza selon Andrés Timoteo Morales

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Dimanche 03/05/2009 • 3 commentaires  • Lu 2721 fois • Version imprimable


Andrés Morales est le correspondant de Veracruz, d’un des rares journaux au monde à appartenir encore, sous forme de coopérative, aux journalistes qui le réalisent : La Jornada. Son article du 4 avril sur une étrange épidémie à Perote commence à faire le tour du monde sans pour autant que son auteur soit présenté. Il est évoqué par exemple sur le très bon blog de Fabrice Nicolino.

Un journaliste courageux

Aux Amériques, ils sont encore nombreux les journalistes qui font leur métier et chaque fois ils vivent sous les menaces et les pressions les plus diverses. Andrés Timoteo, voici un peu plus d’un an, a eu sa maison volé car son travail n’est pas du goût du gouverneur de son Etat, Fidel Herrera. Encore le 29 avril, il se distinguait par la dénonciation d’un prêtre pédophile.

Que dit son article très court du 4 avril sur une épidémie?

1 ) « Les services de santé établirent une zone épidémiologique dans la petite ville de La Gloria, municipalité de Perote, car les habitants sont affectés d’une étrange infection respiratoire aiguë qui s’est transformée chez quelques enfants en broncho-pneumonie. »

Tout commence par un coup de chapeau aux services de santé qui, en fait, sont les vestiges d’un service de santé mexicain victime depuis 1982 de graves politiques de « dégraissages ». Pendant six ans, une politique de décentralisation a détruit le système national de santé, puis une « réforme sectorielle » des années 90 a porté des coups à chaque secteur, afin d’en arriver avec les années 2000 à la « démocratisation de la santé » qui, sous prétexte de contrer les dégradations des années passées, a continué d’aggraver le mal. Bref, la santé est dirigée aujourd’hui, au gré du clientélisme local (un féodalisme), par des intérêts à courte vue, ce qui ne signifie pas que le centralisme précédent était parfait. Une situation qui est tout l’avenir de la santé en France si nous n’arrivons pas à inverser la tendance ! Ce n’est pas pour rien si la dirigeante de l’OMS est une Chinoise : elle est d’un pays où les problèmes sont graves et où on veut appliquer le système de santé nord-américain ! Il s’agit de diminuer les services de santé de proximité (ceux qui peuvent détecter rapidement le mal) au bénéfice de machineries à grand coup d’anti-virus et de vaccins (qui sont utiles mais arrivent après le mal). Oui, il faut s’attaquer aux effets, mais si on remontait à la cause, ça serait pas mieux ?

2 ) « Les habitants attribuent l’apparition des infections à la contamination générée par les élevages de porcs de la Transnationale Granjas Carroll […]. En février dernier, une employée municipale Bertha Crisostomo a demandé l’appui des autorités sanitaires car des dizaines de familles sont tombées subitement malades des voies respiratoires.»

Les signes de la maladie correspondent à ce qui deviendra ensuite la grippe porcine. Ils produisent trois décès d’enfants entre janvier et mars. Après enquête officielle, 60% des 3000 habitants de la Gloria furent déclarés victime de l’épidémie.

3 ) « Manuel Lila de Arce, ministre de la santé de l’Etat de Veracruz a reconnu qu’il a décrété une alerte épidémiologique à La Gloria où se dirigèrent des groupes d’intervention pour vacciner les habitants contre la grippe bien que les médecins écartent le fait qu’il s’agisse de ce mal. »

Encore une fois, ce qui dit le médecin de base est sans importance !

Le 5 avril Andrés Timoteo complète son article par une nouvelle description des lieux autour de l’élevage des porcs. L’institut mexicain de la sécurité sociale (IMSS) reconnaît que les nuages de mouches qui vivent autour des lagunes d’oxydation de l’usine ont été le vecteur de l’épidémie. Mais quelle épidémie ?

Le tableau se précise

C’est le 1er mai, après l’annonce de la nouvelle grippe qu’Andrés Morales reçoit le soutien d’un autre journaliste de La Jornada, Enrique Mendez, pour un nouvel article plus complet, sur le sujet et qui fait le point de la question à la lumière des derniers évènements.

La commission nationale de l’eau a reconnu que les nappes phréatiques ont été polluées par l’usine présente depuis quatorze ans, quatorze ans d’agrandissements incessants. Les responsables de l’usine ont toujours répondu par deux moyens, aux luttes des citoyens  : les pressions, plus les menaces, et d’immenses campagnes de propagande pour expliquer les mesures d’hygiène phénoménales qui sont prises. Mais ces mesures sont en aval de la gestion de l’usine, pas en amont. Autour d’un animal qui présente bien, l’environnement est plein de saloperies.

On apprend qu’un documentaire de deux autres journalistes, Miguel Angel Diaz et Felipe Casanova, Pueblos Unidos, relatant la lutte des habitants de La Gloria n’a pu être diffusé, sauf dans le village concerné, par les médias de l’Etat, à cause de la pression des autorités politiques.

En 2006, les citoyens commencèrent à bloquer les routes pour empêcher l’agrandissement de l’élevage déjà monumental et six écologistes furent poursuivis, poursuites qui viennent d’être abandonnées en signe d’apaisement.

Pour la propagande, le responsable de Granjas Carroll a déclaré que si quelqu’un trouvait une seule mouche dans ses établissements, il lui offrait une grosse somme. Mais une fois de plus, en interne tout est clean (les cochons sont bien « soignés » c’est sûr…) mais ce sont les rejets qui sont au cœur du problème et les mouches sont à l’extérieur !

Par ailleurs, comble de « malchance », nous sommes dans un lieu de passage en novembre de canards sauvages canadiens.

Carlos Arias Ortiz, directeur à l’UNAM (Université Nationale Autonome de Mexico) de l’institut d’investigation bactériologique se propose d’étudier le cas pour vérifier le lien ou pas entre cette épidémie et l’épidémie générale. Il promet des résultats d’ici vingt jours. Comme nous ne sommes pas en Chine où les esprits libres sont totalement muselés, malgré les immenses pressions qui vont peser sur cet homme, pour la première fois peut-être, un lien direct va être étudié entre les industries de la pétrochimie animale et les mutations du virus de la grippe. Granjas Carroll est une filiale du géant étasunien Smithfield Foods qui a réussi à bloquer une enquête étasunienne sur le sujet (les membres de la commission du Congrès ont révélé cette obstruction systématique), mais je le pense, au Mexique, la vérité peut se faire jour.

En attendant, les services de santé de l’Etat ont fini par reconnaître un premier décès par pneumonie de Brenda Hernandez Soto le 13 janvier, puis un suivant le 8 février par broncho-pneumonie aiguë de Juan Rodriguez Hernandez, et enfin un autre le 12 mars, pour la même raison, de Giovanny Apolinar Bonnilla.

Fabriquer le vaccin

Le 12 mars, nous sommes trois jours après la signature d’un contrat très important entre le pouvoir mexicain et l’entreprise française Sanofi-aventis ce qui a donné lieu à un communiqué de presse glorieux (voir le site de l’entreprise). Pour ceux qui l’auraient oublié, Sarkozy était au Mexique à ce moment-là. Il s’agit d’un investissement de 100 millions d’euros pour la construction… d’une usine de vaccin grippal ! Premier but de l’usine : le vaccin contre la grippe saisonnière qui ferait entre 300 000 et 500 000 décès annuels (l’expert Mike Davis dit 1 million). Deuxième but de l’usine : la production de vaccins nouveaux contre la grippe pandémique. « La nouvelle usine de sanofi pasteur au Mexique sera construite selon les standards permettant à sanofi pasteur de basculer aisément de la production de vaccin contre la grippe saisonnière à celle de vaccin contre la grippe pandémique, dans l’éventualité où une pandémie de grippe humaine vienne à être déclarée et une fois la souche de virus grippal pandémique identifiée par l’Organisation Mondiale de la Santé. »

Il s’agit d’une simple coïncidence qui démontre cependant que le risque grippal est désormais intégré dans nos vies. Tout comme les médias portent leurs commentaires presque sur les seuls effets de la pandémie, sans évoquer les causes ; les services de santé se préparent à soigner le mal sans chercher des stratégies préventives pour le prendre à la racine. Telle n’est pas leur fonction.

Conclusion

Face à cette grippe, comme d’habitude les anti-capitalistes jouent sur deux tableaux. Pour faire schématique : les militants « sociaux » nient le phénomène et parlent d’un grand écran de fumée des médias pour faire vendre le Tamiflu cher à Donald Rumsfeld ; les écolos purs parlent d’une immense catastrophe à venir et se préoccupent plus des pollutions, que des effets sanitaires contre lesquels il faut bien lutter dès à présent. Qui veut articuler les deux logiques ? 3-06-2009 Jean-Paul Damaggio


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Commentaires

par Patrick Delattre le Dimanche 03/05/2009 à 23:02

Un autre article sur le même sujet :
http://www.agriculture-environnement.fr:80/spip.php?article523


Re: par la-sociale le Mercredi 06/05/2009 à 17:48

Ce site est, hélas, un ramassis de thuriféraires de la pensée unique "scientiste" au service des trusts de l'agrobusiness et de l'agriculture industrielle entièrement inscrite dans la "mondialisation".  Ces gens travaillent directement pour Monsanto et leurs semblables. C'est de la propagande de A à Z.


par Anonyme le Vendredi 08/05/2009 à 21:06

Un système alimentaire qui tue : La peste porcine, dernier fléau de l’industrie de la viande

GRAIN, Avril 2009

Le Mexique assiste à une répétition infernale de l’histoire de la grippe aviaire asiatique, mais à une échelle encore plus tragique. Une fois de plus, la réponse officielle arrive trop tard et entachée de mensonges. (...)

Mais le désastre de la grippe porcine au Mexique révèle également un problème de santé publique plus vaste : Les menaces pour la sécurité des consommateurs qui font partie intégrante de notre système alimentaire industriel sont exacerbées par une tendance générale à privatiser complètement les soins de santé, ce qui a réduit à néant la capacité des systèmes publics à apporter des réponses adéquates en cas de crise, et par des politiques encourageant les migrations vers des mégalopoles où les politiques de santé publique et d’assainissement sont déplorables. (L’épidémie de grippe porcine a frappé Mexico, une métropole de plus de 20 millions d’habitants, précisément au moment où le gouvernement a coupé l’approvisionnement en eau d’une bonne partie de la population, en particulier les quartiers les plus pauvres.) Le fait que la surveillance des épidémies soit confiée à des cabinets-conseils privés, que les gouvernements et les agences des Nations Unies puissent garder le silence et ne pas divulguer l’information, que nous soyons obligés de dépendre d’une poignées d’entreprises pharmaceutiques  pour soulager nos souffrances, avec des produits certes brevetés mais seulement à moitié testés, devraient nous indiquer que rien ne va plus. Ce n’est pas seulement de nourriture que nous avons besoin, mais de systèmes de santé publique qui aient un véritable agenda public et soient responsables devant le public.

 
 
Le commerce de la faim : les grandes entreprises persistent et signent

GRAIN, Mai 2009

Une nouvelle année financière vient de se terminer. Tandis que la crise alimentaire continue, que plus d’un milliard de personnes souffrent sévèrement de la faim et que la crise financière fait des ravages dans les entreprises d’autres secteurs, les grandes entreprises agroalimentaires qui contrôlent l’approvisionnement alimentaire continuent à s’enrichir. Pour beaucoup, les bénéfices record qu’elles avaient faits en 2007 sont dérisoires par rapport à ceux de 2008. (...)



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