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Nos barbares

Par Gabriel Galice • Internationale • Vendredi 03/10/2014 • 1 commentaire  • Lu 1872 fois • Version imprimable


Les guerres mobilisent les émotions plus rapidement que les réflexions ; elles précipitent les partis-pris, les insultes. Les guerres sont aussi des combats d’idées au travers de mots. L’« Infowar » remplace la propagande d’antan. Les prétendus « djihadistes » sont qualifiés de « barbares » par leurs ennemis. Les djihadistes autoproclamés sont des blasphémateurs qui invoquent intempestivement leur Dieu pour justifier leurs turpitudes humaines. Dans la religion musulmane, le « grand djihad », le plus noble, est le combat contre soi-même, que les chrétiens, sur leur registre, nomment « vertu ». Le petit djihad, moins ambitieux, est la promotion de la foi par la parole et par le glaive, dont l’équivalent chrétien est la croisade.

Les djihadistes sont-ils des barbares ? Oui, si l’on remonte à la source grecque du mot, qui désigne les étrangers qui parlent en borborygmes une langue incompréhensible. Au-delà, le risque est la négation de l’autre dans son altérité. L’exposition de Berne « Sous le feu des propagandes », consacrée aux slogans de la Première Guerre mondiale, nous édifie sur les ressorts de la diabolisation de l’ennemi. Une affiche allemande intitulée « Sind wir Barbaren? » (Sommes-nous des barbares ?) compare les pourcentages d’enfants sachant lire et le nombre de Prix Nobel en Angleterre, en France et en Allemagne. Pour douteuses qu’elles soient, les flatteuses statistiques allemandes répondent à une injure commode de leurs ennemis. De part et d’autre, ce furent des paysans, des artisans, des instituteurs, des commerçants, des intellectuels qui furent jetés dans des massacres fratricides par des engrenages diplomatiques, des jeux politiques, des intérêts économiques, des ambitions sociales, des fatuités militaires, des polémiques.
La violence islamiste (l’invocation de l’islam à des fins politico-militaires) est inhérente à notre « mondialisation armée » (Claude Serfati), conquérante, dont les Etats-Unis sont le fer de lance, l’OTAN le noyau dur, « les Occidentaux » l’appellation bien-pensante. Le doux commerce est une illusion soigneusement entretenue, dont des études menés au GIPRI (Cahiers « La guerre est-elle une bonne affaire ?», « Les causes des guerres à venir ») et ailleurs (Sabine Kurtenbach /Peter Lock, « Kriege als (über)Lebenswelten – Schattenglobalisierung, Kriegsökonomien und Inseln der Zivilität) font justice. Les chefs djihadistes sont des « entrepreneures de violence » sur des « marchés de violence » (Tristan Landry) intrinsèques à la violence des marchés (du pétrole et autres). Leurs troupes sont des exaltés cherchant dans la violence et la cruauté une « identité » qui leur est refusée par ailleurs. L’expliquer ne l’excuse aucunement. Les romans de Yasmina Kadra (« L’attentat », « Les sirènes de Bagdad » notamment) nous en apprennent davantage que bien des experts sur les mécanismes de la violence islamiste ou islamisée.

Voir dans l’autre (personne, société) l’envers de soi-même est plus inconfortable que de nier son inhumaine humanité.

Le président Obama retrouve les accents martiaux de son prédécesseur, pour le plus grand bonheur des faucons. Le ministre Fabius fait l’économie d’une explication argumentée en stigmatisant « les égorgeurs de Daech ». La triviale réalité est que les « Occidentaux » entreprennent depuis maintes décennies le « remodelage du Grand-Moyen Orient », une zone allant du Maroc à l’Afghanistan. Pour ce faire, leurs alliés israélien, saoudiens, qataris ou turcs, démantèlent les Etats (irakien, libyen, syrien) faisant obstacle à la « propagation de la démocratie » et à l’ouverture de nouveaux marchés ». Les guerres de religions (ou intra-islamiques) et les droits de l’homme sont les emballages marketing de ce dessein. Les curieux liront avec intérêt les deux livres majeurs de Benjamin Barber – ancien conseiller diplomatique du président Clinton - : Djihad versus MacWorld – Mondialisation et intégrisme contre la démocratie et L’empire de la peur – Terrorisme, guerre, démocratie. Nos fanatiques et nos naïfs se berceront du discours puéril de la lutte entre les gentils et les méchants, prenant les jeux vidéo de Star Wars pour la réalité du monde.

Combien de civils innocents, femmes et enfants inclus, meurent en Syrie sous le feu de nos missiles « civilisés » ? Ils n’ont pas leurs visages sur nos écrans, ils ne sont pas même dénombrés, ils ne comptent tout simplement pas, ces Djamel et autres Aziza. Ne sommes-nous pas leurs « barbares » ? Combien de djihadistes nos tueries « collatérales » vont-elles engendrer ? Combiens de fanatiques, d’abord instrumentalisés par nous, se sont-ils déjà retournés contre nous ? Combien vont-ils le faire encore ?

 

L’arbre des sabres ensanglantés ne doit cacher ni celui des missiles ni la forêt du chaos du monde, entretenu, parfois créé par nos dirigeants pour ses vertus dangereusement supposées créatrices.

*Gabriel Galice est président de l’Institut International de recherches pour la Paix à Genève (GIPRI)


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Commentaires

par regis le Samedi 04/10/2014 à 02:01

Votre texte est intéressant et j’y souscris volontiers mais de grâce (excusez l’ironie) ne justifions, même involontairement, aucune religion qui, toutes, portent en elles potentiellement le totalitarisme.
Laissons aux sectateurs les distinguos subtils concernant leurs concepts spécieux : « djihad », « vertu » et revendiquons un avenir libéré de toutes ces fadaises (« La religion est le soupir de la créature accablée… »)



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