Une fois de plus, des centaines de milliers ont répondu à l'appel et, après un fléchissement mardi, une sorte de concentration et d'économie spontanée des forces, ils ont réalisé de puissantes manifestations, déterminées, souvent festives, autour du mot-d'ordre de retrait, par centaines de milliers le jeudi 19. En bas, on ne craint pas de faire tomber ce gouvernement, bien au contraire.
En interaction avec ces manifestations les grèves de routiers et dans les raffineries ont commencé. Jeudi 19 au matin l'agent provocateur en chef Manuel Valls proférait un gros mensonge – les heures supp' des routiers ne devraient pas baisser suite à la loi El Khomri ! - et une menace : celle de l'intervention armée pour débloquer les raffineries et dépôts de carburants.
Mais pour cela, il va avoir un problème.  Les blocages de raffineries et de dépôts ne sont pas que le fait de  groupes de militants et de travailleurs d'autres secteurs. Les  travailleurs du pétrole et de la chimie sont en train de voter la grève  dans les principaux centres. 
La poussée vient d'en bas comme le  montre sa géographie : c'est l'arc Atlantique, le grand ouest, celui des  grèves bretonnes de 2013. 
Vendredi soir Valls a fait intervenir  les forces « de l'ordre » à Vern-sur-Seiche en Ille-et-Villaine et dans  le port de Lorient, où les affrontements ont été importants, et au  terminal Rubis du Grand-Quevilly, près de Rouen. Mais au même moment,  les salariés de la grande raffinerie Total de Feyzin, au Sud de Lyon,  votaient la grève et mettaient en route le processus d'arrêt des  installations. Même décision collective à la raffinerie Total de  Gonfreville-l'Orcher, près du Havre où les dockers et de nombreuses  entreprises privées portent l'ordre et la masse des grandes  manifestations populaires. Suite à quoi, à Notre-Dame de Gravenchon,  dans la zone industrielle de Port-Jérome également près du Havre,  l'intersyndicale CGT-FO a décidé le blocage de la raffinerie  Exxon-Mobil. 300 salariés de la raffinerie Total de Donges, près de  Nantes, votent l'arrêt à partir du samedi matin et au moins jusqu'au 27  mai. L'union locale CGT appelle à la grève les entreprises STX, Selia,  Man Diesel, Sides, pour le mardi 24 mai en rappelant le mot-d'ordre :  retrait total et immédiat de la loi El Khomri.
La réponse à Valls,  c'est cela, et c'est la solidarité de la masse des salairiés et de la  jeunesse. C'est bien toujours le spectre de la grève générale qui domine  dans le pays : évitée faute de mot-d'ordre centraux fin mars puis fin  avril, il revient avec les routiers et les raffineries et la solidarité  avec eux. Se pose donc une fois de plus la question du « timing ».
L'intersyndicale CGT-FO-FSU-Solidaires-UNEF-UNL-Fidl, au soir du jeudi  19 mai, a publié un communiqué saluant la mobilisation de ce jour et  appelant à « une nouvelle journée de manifestation le 26 mai » et une  manifestation nationale le 14 juin au début des débats au Sénat. Une  manifestation nationale (demandée par la CGT Goodyear lors du congrès  confédéral CGT) aurait déjà été possible, en relation avec une grève  totale. De tels délais donne en fait un gage au gouvernement : d'ici là  nous ne voulons pas en avoir fini avec vous, lui disent les dirigeants  confédéraux.
La navette Sénat-Assemblée conduit à fin juillet, comme  par hasard les mêmes délais que l'état d'urgence soi-disant anti-Daesh  qui vient à nouveau d'être voté par l'Assemblée. Il est évident, depuis  le début, depuis le 9 mars, que le calendrier de l'action prolétarienne  ne peut pas s'aligner sur celui des institutions de la V° République.
L'urgence de l'heure serait d'aider les travailleurs des raffineries et  les routiers, impliqués dans une âpre bataille politique et humaine,  contre leurs patrons, contre les forces dites de l'ordre, contre la CFDT  bien présente dans ces secteurs et dont bien des militants basculent  vers la grève, les aider en portant la solidarité avec eux au cœur et en  tête des manifestations, et par l'organisation efficace des blocages.  Une direction syndicale dans une boite sait, lorsque vient l'heure de  l'action, comment ne pas se disperser et quels points cibler. Les  initiatives de la base et des structures syndicales locales montrent  qu'elles cherchent à répondre à ce besoin, comme on l'a vu à Notre-Dame  de Gravenchon. Mais nos grands dirigeants confédéraux, lorsque vient  l'heure de l'action, laisse la dispersion persister, et deviennent  soudain de grands démocrates pour qui tout dépend des initiatives  locales …
Dans ces conditions il n'est pas étonnant qu'on perçoivent  des signes d'hésitation du côté des fédérations de branche qui ont pris  l'initiative cette semaine faute de mot-d'ordre central, que ce soit FO  Transports et Logistique qui appelle à refaire des AG pour reconduire  ou non, ou la CGT-Pétrole dont le secrétaire Emmanuel Lépine déclare que  le but n'est pas la pénurie, mais le retrait de la loi, alors que la  grève ne peut avoir d'autre objectif que la menace de pénurie réelle  pour imposer, justement, le retrait de la loi El Khomri.
Tout se  passe comme si nos grands et valeureux dirigeants confédéraux qui ont  déjà eu deux ou trois fois en deux mois l'occasion d'avoir peur de  gagner, ne savaient comment finir de fatiguer une lame de fond qui  s'avère infatigable. Elle se montre capable de durer pour trois raisons.
Premièrement, elle vient de très profond. Ce sont les grèves et les  micro-conflits dans les petites et moyennes entreprises ou les petites  unités de production et de distribution, ignorée par médias nationaux et  commentateurs depuis des années, qui portent cette vague, rejointe par  un secteur de la jeunesse qui aborde la vie consciente et le combat  social à travers elle.
Deuxièmement, elle vient de très loin. Ce  sont les couches militantes, dans les syndicats particulièrement, qui  ont l'expérience de 1995, 2003, 2006 et de la défaite organisée de 2010,  qui sont reparties au combat dans ces conditions nouvelles, rencontrant  la jeunesse et ressentant la présence latente et la pression pour  rejoindre le mouvement général du côté des entreprises, particulièrement  das le grand Ouest.
Troisièmement, en résultat de ces données,  c'est une vague plus politique que jamais, précisément par qu'elle n'a  pas de débouché politique, ce qui l'a retardée, et qu'elle veut  construire par elle-même son débouché.
Menaçant de défaire le  président Hollande et le gouvernement Valls par le retrait de la loi El  Khomri, elle conduit à l'ouverture de la crise du régime de la V°  République selon un calendrier social qui ne veut pas correspondre au  calendrier institutionnel des élections présidentielles.
Ceci ne  signifie pas, évidemment, que les élections présidentielles lui soient  indifférentes. Mais qu'il faut les saisir à partir de ce mouvement, et  pas autrement. Conditionner la question des présidentielles par une  décision préalable de candidature ou par la discussion forcément très  confuse et porteuse de confusions sur des « primaires », c'est tourner  le dos au mouvement réel. La vraie question politique centrale est le  retrait de la loi El Khomri qui conduit à la défaite totale du  gouvernement présent, au vide politique au sommet, susceptible de poser,  par cette voie, la question de l'élection d'une assemblée constituante.
Le moment venu, le cas échéant, c'est à partir de là qu'il faut aborder  les présidentielles. Au moment présent, l'heure est au combat. La  démocratie, c'est le soutien aux routiers et aux travailleurs du  pétrole.

	











Musée de l'Europe et de l'Afrique : "Vincent Présumey, paru sur le blog La Sociale sous le"