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Souveraineté, république laïque, démocratique et sociale

Par Denis Collin • Débat • Vendredi 20/05/2016 • 1 commentaire  • Lu 3237 fois • Version imprimable


Le 29 mai 2005, 55 % des électeurs rejetaient le prétendu « traité constitutionnel européen » (TCE). Les citoyens français n’étaient d’ailleurs par seuls puisque les Néerlandais rejetaient le même traité avec 61 % de « non ». Deux ans plus tard, le traité de Lisbonne qui reprenait pour l’essentiel le TCE était avalisé par le congrès et l’alliance UMP/PS dirigée par Sarkozy. Violation ouverte du principe de la souveraineté de la nation (« la souveraineté réside essentiellement dans la nation », dit la déclaration des droits de 1789). Cette violation du principe de souveraineté populaire est en même temps une violation des principes de la république – les citoyens ne peuvent être libres que dans une république libre. Certains militants, marxistes souvent, radicalement anticapitalistes, ne comprennent pas notre attachement à l’idée de souveraineté, de république et restent hermétiques à la formule d’une république laïque, démocratique et sociale. Pour nous, au contraire, ces « vieilles formules » non seulement gardent toute leur actualité mais encore sont les seules à même de définir une orientation politique émancipatrice. C’est ce que nous allons à nouveau essayer d’expliquer.

La souveraineté

L’idée d’un pouvoir politique souverain est une idée très simple à comprendre. Un pouvoir souverain est un pouvoir au-dessus duquel il n’existe aucun autre pouvoir. L’Europe moderne s’est construite avec la construction des États-Nations. Or cette construction éminemment progressiste suppose la rupture avec la vieille organisation féodale, celle qui subordonne tous les pouvoirs nationaux au principe de l’empire – héritier de l’empire romain – et à la tutelle de la papauté. C’est là le point de départ de la construction politique spécifique qui caractérise l’Europe. Pas de « saint empire », mais des nations française, espagnole, anglaise et plus tard allemande, italienne, etc. L’opposition de nos amis « révolutionnaires » au principe de souveraineté se fonde sur l’idée que la souveraineté porterait en elle-même le nationalisme et l’impérialisme. C’est une confusion terrible. Le nationalisme est, pour partie, un sentiment sain : en 1848, c’est le printemps des peuples qui se soulèvent contre les vestiges de l’ordre impérial, notamment l’empire des Habsbourg et il est l’expression d’une aspiration révolutionnaire à la liberté. Rappelons à ceux qui l’ont oublié et apprenons à ceux qui ne le savent pas que le mouvement ouvrier s’est développé en lien avec ce mouvement d’émancipation nationale. Le meeting de Saint Martin’s Hall qui fonde l’Association Internationale des Travailleurs est un meeting de soutien aux luttes nationales des Polonais et des Irlandais.

Vouloir être maître chez soi, c’est la voie nécessaire qu’empruntent les travailleurs pour vouloir assurer leur propre maîtrise de l’ensemble des conditions de la vie sociale. Renoncer à la nation, c’est renoncer à la lutte pour l’émancipation des travailleurs.

Il y a certes un mauvais nationalisme, le nationalisme comme maladie de la nation, qui considère que sa propre nation est supérieure aux autres nations, qu’elle doit leur donner des leçons, voire les dominer. Ce nationalisme-là entretenu longtemps par les classes dominantes se heurte au patriotisme révolutionnaire. Rappelons que Robespierre et ses amis qui n’étaient pas des patriotes modérés s’opposaient aux guerres de conquête et se sont toujours refusé à exporter la démocratie à la pointe des baïonnettes. Le principe de la souveraineté nationale exige que l’on reconnaisse le droit des autres nations et c’est seulement une « société des nations » (comme disait Kant) qui peut garantir la paix.

Le nationalisme agressif, les guerres de conquête, l’impérialisme ne sont pas des conséquences nécessaires de l’État-Nation, mais leur négation. C’est Hannah Arendt qui montre avec beaucoup de finesse que l’impérialisme est né de la subversion des États-Nations et de l’invasion du domaine public par les intérêts privés. Les luttes contre l’impérialisme n’ont pas été des luttes contre l’État-nation, mais des luttes pour affirmer le droit des peuples soumis à l’impérialisme à avoir leur propre État-Nation. Les adversaires de la notion de souveraineté pensent-ils que les Algériens en lutte pour leur indépendance ont eu tort ? Guy Mollet leur reprochait, en réclament l’indépendance, de diviser les prolétaires français et les prolétaires algériens ! Fallait-il être du côté des « nationalistes » algériens ou du côté de « l’internationaliste » Guy Mollet ?

La question de la souveraineté est posée aujourd’hui sous un jour nouveau. Le développement du mode de production capitaliste dans la phase actuelle tend à briser impitoyablement toutes les frontières nationales. Les législations nationales, les droits des peuples qu’expriment ces législations, la possibilité même que les peuples viennent mettre des entraves au « marché libre » constituent autant d’obstacles que le capital cherche à renverser. Dans certains cas, les puissances impérialistes ont purement et simplement détruits les États-Nations – en Irak, en Libye, par exemple. Dans la plupart des autres cas, ils ont transformé les États-Nations en courroie de transmission des politiques d’ajustement structurel prônées par le FMI. En Europe, l’Union européenne est construite comme un instrument de destruction de la souveraineté des États européens qui sont sommés d’appliquer les directives de l’UE. Ainsi le gouvernement français met en œuvre la loi « travail » exactement de la même manière que l’Italie adopte le « Jobs Act », deux versions des réformes du « marché du travail » réclamées à corps et à cris par la Commission de Bruxelles, dans la ligne des réformes Schröder-Hartz du début des années 2000. Comment peut-on combattre la loi El Khomry sans remettre en cause cette soumission à la Commission, sans revendiquer la souveraineté de la nation ? Remarquons d’ailleurs que la loi El Khomry institue le référendum dans l’entreprise pour déroger aux lois mais le gouvernement s’est bien gardé de consulter le peuple par référendum sur l’adoption de la loi El Khomry.

La république

La souveraineté ne suffit pas à faire la république. Mais elle en est une condition nécessaire. La république suppose au moins le pouvoir législatif du peuple. C’est le pouvoir législatif qui dit quelle est la loi suprême. Il peut y avoir toutes sortes d’organisation du pouvoir législatif, des formes plus ou moins démocratiques. Mais ce qui distingue fondamentalement une république d’une monarchie, c’est bien ce pouvoir législatif détenu par le peuple ou ses représentants. Si la république n’est pas souveraine, le pouvoir législatif du peuple ne peut pas être le pouvoir suprême. C’est d’une clarté aveuglante : les citoyens ne peuvent être libres, c’est-à-dire décider eux-mêmes de la loi qu’ils veulent suivre, si la république n’est pas libre.

Le mouvement ouvrier s’est constitué historiquement d’abord pour défendre les conditions de vie matérielles et morales des ouvriers. Les mutuelles et les syndicats forment ainsi les noyaux de base du mouvement ouvrier. Mais très vite il est apparu que cette bataille élémentaire demandait que les ouvriers puissent avoir leurs propres représentants au niveau du pouvoir législatif. Le mouvement chartiste au Royaume Uni est la première manifestation politique autonome du mouvement ouvrier et sa revendication principale était le suffrage universel. Plus tard, le Labour Party britannique s’est construit à partir d’un comité pour la représentation parlementaire des syndicats. Les anarchistes et les gauchistes ont vu dans la participation des organisations ouvrières aux structures parlementaires la preuve de leur intégration. Bien évidemment, la contestation radicale peut s’émousser quand on devient député, qu’on fréquente les « belles gens » et ce n’est pas un problème secondaire. Cependant, si on pense sérieusement à la révolution sociale, et non à un coup de force minoritaire mais à une vaste transformation politique et sociale qui permettra à la majorité des opprimés de prendre en main son propre sort, pour la première fois dans l’histoire, alors il faut des structures politiques et un « milieu » dans lequel le plus humble des citoyens peut s’occuper de la direction de la nation. Et c’est précisément ce milieu que fournit la république.

Toute organisation étatique qui se nomme république ne l’est cependant pas vraiment. L’idéal républicain, tel que nous le trouvons dans la tradition des idées politiques, est un idéal émancipateur que l’on peut définir, depuis Machiavel, comme la « non domination ». La liberté républicaine est la liberté comme non-domination. Cela signifie aussi « la liberté par la loi ». Nous le savons bien, entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. La république signifie que la loi est la même pour tous (« que vous soyez puissants ou misérables ») et que le but des lois est de protéger les citoyens. Ainsi, le mouvement ouvrier, loin de se désintéresser du droit, a toujours lutté pour faire entrer dans la loi la protection des droits des travailleurs : limitation légale de la journée de travail, interdiction du travail des enfants, etc.. C’est pourquoi le républicanisme est partisan la défense du code du travail.

Certes, diront nos contradicteurs, mais il faut ajouter un qualificatif à la république, « république sociale », « république universelle des conseils ouvriers », par exemple. À quoi l’on pourrait répondre qu’une république anti-sociale n’est pas une république du tout mais un système d’oppression du peuple par les « grands ». Mais il est vrai que le mot de république est utilisé de bien des manières et qu’il y a toutes sortes de républiques, certaines plus ou moins proches de la république idéale des penseurs du républicanisme. Et il faudra sans doute dire de manière plus claire quelle nous république nous voulons. Concernant la « république des conseils ouvriers », il s’agit d’une formule d’une abstraction terrible et particulièrement inapte à servir de ligne stratégique. Il faudrait d’abord qu’il y ait des conseils ouvriers. Depuis les conseils hongrois de 1956, on ne les a guère vus ! En second lieu, les conseils, quand ils se sont organisés sérieusement (Russie, 1917, Allemagne, 1919) étaient d’abord des organes de lutte et non des formes institutionnelles stables. Mais comme la lutte ne peut être permanente et qu’il faut bien manger, ce qui s’impose nécessairement, c’est la constitution d’un ordre politique stable et pluraliste. Donc opposer la république des conseils ouvriers à la république n’est rien d’autre qu’une vue sectaire, qui rend impuissant tout mouvement politique d’émancipation sérieux.

La république laïque, démocratique et sociale

La constitution de la république en France, en dépit de tout le mal que l’on peut dire des institutions semi-bonapartistes de 1958, garde quelques traces de sa refondation au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. La république est « laïque, démocratique et sociale » et, de plus, elle est « une et indivisible ». Ce sont des mots qu’il faut prendre au sérieux.

Laïque, parce que la séparation des Églises et de l’État est le principe constitutionnel garantissant véritablement la liberté de conscience. Laïque, parce qu’ainsi l’espace public est, au moins partiellement, libéré des religions instituées qui prêchent la soumission. Laïque enfin parce que les jeunes générations doivent bénéficier de l’instruction et d’un savoir objectif et rationnel et non se voir infliger des idéologies religieuses rétrogrades et abrutissantes.

République démocratique par opposition à toutes les républiques plus ou moins aristocratiques qui réservent l’exercice du pouvoir à une « élite ». La république démocratique est celle qui reconnaît au peuple tout entier le pouvoir en dernière instance. Ce qui suppose que la pleine liberté de propagande et d’action politique doit être garantie pour tous. Ainsi, le système électoral actuel broie la diversité des opinions politiques et aboutit au monopole (ou plutôt au duopole) des deux partis « de droite » et « de gauche », par ailleurs d’accord sur l’essentiel. C’est une caricature de démocratie, à laquelle il faut opposer une profonde réforme des institutions garantissant un véritable pluralisme. Démocratique, cela veut dire aussi la garantie pour tous de l’égalité d’accès à l’espace public – ce qui ne se peut guère quand les grands médias sont monopolisés par les grands groupes capitalistes. Démocratique, cela implique aussi la pleine liberté des partis et des syndicats qui doivent pouvoir s’organiser en toute indépendance à l’égard du gouvernement et du patronat.

République sociale : ce fut le mot d’ordre des ouvriers en juin 1848. À propos de la Commune de Paris de 1871, écrit qu’elle est la « forme enfin trouvée de la république sociale ». Une république sociale est une république qui se donne comme premier objectif la protection des classes défavorisées et cela implique des lois sociales, un système de services publics, et la garantie de tous ces droits sociaux qui figurent dans la déclaration annexe des droits de 1946 qui fait partie du « bloc constitutionnel ».

Ce dont nous partons

Les grandes luttes ne commencent jamais en vue de réaliser un projet mirobolant. Toutes les révolutions sont d’abord défensive. Le mouvement social en cours contre la loi El Khomry n’échappe pas à cette règle. Si on veut ouvrir une nouvelle perspective politique, il faut d’abord s’appuyer sur l’acquis, sur tout ce passé de luttes cristallisé dans des institutions. Réaliser pleinement les idéaux dont nous avons hérité de 1789 à aujourd’hui en passant par 1848, la Commune, juin 1936 et la Libération, ces idéaux qui ont des existences tout à fait concrètes (libertés syndicales, droits ouvriers, acquis sociaux), c’est une véritable lutte révolutionnaire. Nous, nous ne voulons ni le chaos, ni le désordre, ni les affrontements. Ceux qui veulent l’affrontement, le chaos et leur « révolution », ce sont les partisans du mode de production capitaliste qui, pour assurer la survie de la loi du profit maximum, s’acharnent contre l’État-nation, contre la république, contre ses institutions sociales, contre les droits. Les « casseurs » sont en haut – et les casseurs masqués sont leur agents. Les manifestants pacifiques, les syndicalistes et les militants, sont en état de légitime défense. Ils veulent défendre l’ordre républicain contre ces fauteurs de désordre qui se nomment Hollande, Valls et leurs compères ou leurs donneurs d’ordre du grand patronat. Inutile de prendre des postures révolutionnaires, le simple bon sens, la décence ordinaire suffisent.

 

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Commentaires

Lien croisé par Anonyme le Lundi 23/05/2016 à 16:23

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