Il ne s’agit pas d’une question technique mais bien d’une question politique. En proposant d’élargir la candidature indéfinie à tous les élus, la question est encore plus faussée.
La limitation du mandat est liée surtout à l’institution présidentielle. En France, c’est en 1848 que Tocqueville importa la Constitution étasunienne et décida que si le président était élu au suffrage universel, il fallait limiter le mandat à un, pour éviter toute dérive monarchique. Louis Bonaparte n’ayant pu faire modifier la constitution, pour rester au pouvoir il décida en conséquence de l’auto-coup d’Etat du 2 décembre 1851. La particularité du président élu en France est revenue en 1958 et elle reste exceptionnelle en Europe occidentale. D’où la question justifiée de toute réflexion sur le bonapartisme. En Espagne, seuls les électeurs d’une circonscription ont voté pour Zapatero, comme en Italie ceux qui ont voté pour Berlusconi. Je ne dis pas que la démocratie y gagne mais l’identification du peuple à un homme est ainsi limitée et ça me paraît important pour éviter de s’habituer à de trop fortes délégations de pouvoir à un seul homme.
Aux Amériques, sauf au Canada pour cause de Reine, tous les pays (sauf Cuba) vivent sous régime présidentiel et TOUS appliquent jusqu’à présent une limitation de mandat. Fujimori au Pérou fit modifier la Constitution pour passer de deux à trois mandats mais six mois après sa troisième réélection il a dû fuir son pays où il se retrouve à présent en prison.
Pas plus Kircher que Lula n’osèrent modifier le système en espérant sans doute pouvoir revenir au pouvoir après une interruption. Chavez, en souhaitant une candidature indéfinie, rompt une tradition ce qui en dit long sur sa conception du pouvoir. Même si Poutine a laissé sa place de façon artificielle, il a lui aussi préféré changer de rôle.
Au Mexique, la limitation a un mandat n’a jamais été le signe d’une avancée démocratique puisque avec ce système le PRI est resté au pouvoir pendant des décennies. Il ne s’agit donc pas de faire dire à une règle plus qu’elle ne peut dire. Il s’agit, dans le monde du XXIe siècle d’admettre que la classe politique, y compris celle d’un parti politique, a besoin de se transformer. La candidature infinie de Chavez constitue un blocage dans son parti. Et on s’étonnera ensuite que la corruption ne soit pas combattue sérieusement !
En Bolivie, la nouvelle constitution a été enfin approuvée à 60% et deux jours après, le système Moralès subissait une gifle historique avec une honteuse affaire de corruption. Un ami du président qui fut président du Sénat, Santos Ramirez, se retrouve au poste de président de l’entreprise nationalisée du pétrole YPFB. Après avoir passé un contrat de 86 millions de dollars avec une entreprise à la fois argentine et bolivienne, la Catler Unisevice, tout indique qu’il aurait bénéficié d’un pot de vin de 6,8 millions de dollars. Sans rentrer dans le détail, il se trouve que c’est un malheureux décret présidentiel qui permettait au président de la YPFB de signer des contrats directement et sans limitation. Tout le monde sait aux Amériques que la corruption n’existe pas par les découvertes de cas, mais que c’est un mal endémique général et la dérive mafieuse du capitalisme touche sans doute plus encore les USA que le Brésil. L’invention d’un nouveau système au service du peuple se doit de trouver des parades efficaces à de tels détournements d’argent. « L’argent facile » est partout (y compris en France) un destructeur de vie sociale au sein des classes les plus pauvres où des jeunes pensent plus rapide de vendre de la drogue que de cultiver des salades. C’est vrai, la limitation du mandat présidentiel aux USA, n’y a jamais empêché la prospérité de la mafia, mais le contraire n’aurait-il pas fait qu’accentuer le phénomène ? En pouvant être candidat sans fin, Chavez prend le risque de porter un mauvais coup à la révolution bolivarienne. Mais c’est là jouer au contraire contre ce processus. Quand le non l’emporta contre la candidature indéfinie je ne l’ai jamais interprété comme une volonté de retour en arrière et d’ailleurs ensuite les électeurs confirmèrent leur volonté chaviste. Une partie donna comme simple signal : attention aux dérives péronistes qui firent déjà tant de mal aux intérêts populaires.
6-02-2009 Jean-Paul Damaggio
Je partage les inquiétudes de cet article. Quant à l'argument selon lequel les critiques adressées à Chavez font le jeu de la droite, on s'étonne qu'il puisse encore avoir cours! Il fut un temps où ceux qui dénonçaient le stalinisme étaient accusés de faire le jeu de Hitler et du Mikado...
Le vrai problème, à mon sens, tient à la méprise largement partagée de ce côté-ci de l'Océan, concernant la "révolution bolivarienne". Ses "fans" (du groupe la Riposte à Mélenchon) pensent que c'est une sorte de révolution socialiste. Ils croient que l'émancipation des travailleurs peut se faire sous la conduite de César ou de tribuns. Leur "socialisme" n'est qu'une sorte de capitalisme d'État mâtiné de corporatisme et d'une bonne dose de démagogie. En fait c'est la forme sous laquelle la révolution nationale s'affirme dans la plupart des pays capitalistes dominés. Évidemment, nous devons apporter notre soutien à la bourgeoisie nationale (chaviste ou néopéroniste dans le cas de Mme Kirchner) contre l'impérialisme US. Mais cessons de tout mélanger.
Denis COLLIN