On parle beaucoup ces temps-ci des « valeurs républicaines » : qu’est-que ça veut dire ? On met sous cette expression tant de choses différentes que cette étiquette pourrait bien recouvrir des marchandises avariées.
Principes républicains : c’est bien plus clair. Le premier de ces principes est la séparation des pouvoirs. Il est au cœur des traditions tant libérales que républicaines de toute l’époque moderne.
Or, l’état d’urgence viole la séparation des pouvoirs en donnant des pouvoirs de poursuite et de perquisitions à toute heure du jour et de la nuit à l’autorité préfectorale et donc au ministère de l’intérieur, c’est-à-dire au pouvoir exécutif qui s’empare ainsi des prérogatives du pouvoir judiciaire.
Il faudrait sûrement discuter de la manière douteuse dont la séparation des pouvoirs est assurée dans la Ve république où finalement tout procède de l’exécutif. Mais le caractère bonapartiste de la Ve n’était pas achevé. Avec l’état d’urgence, sa prorogation annoncée ad vitam æternam, et l’annonce de sa « constitutionnalisation », on fait un très dangereux pas en avant vers un régime autoritaire, méprisant les principes républicains et la plus élémentaire démocratie. Voilà l’enjeu de la bataille. Et un enjeu que le conseil de l’Europe lui-même a soulevé avec inquiétude en parlant des « dérives » et de la disproportion entre les perquisitions, les assignations à résidence et le faible nombre de procédures judiciaires ouvertes – quatre selon les derniers chiffres.
On a vu lors de la COP21 comment l’état d’urgence a été appliqué non contre les terroristes islamistes mais contre tous ceux qui contestent la politique du gouvernement. Cet épisode expose sans fard le sens profond de cet état d’urgence.
On peut admettre qu’il y ait des situations d’urgence qui, provisoirement suspendent certaines libertés quand « la république est en danger ». La république romaine connaissait l’institution de la dictature qui devait toujours rester limitée (six mois maximum) et qui était exercée précisément par quelqu’un qui n’était pas au pouvoir au moment de sa proclamation ! En outre pendant la dictature, il était interdit de changer les lois ! Faut-il en appeler à l’exemple de Rome qui n’était pourtant pas un modèle de démocratie ?
Il y a un dernier point à souligner : visiblement le pouvoir utilise les attentats du 13 novembre pour maintenir le pays dans la peur et dans la sidération et camoufler ses propres responsabilités. Une bonne dizaine de « lois anti-terroristes » ont été votées depuis quinze ans. La plupart d’entre elles étaient d’ailleurs dénoncées comme liberticides par ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir. N’ont-elles servi à rien ? Tous ceux qui connaissent bien ces affaires de terrorisme l’ont dit : nous ne manquons pas de lois, bien au contraire. Ce qu’il faut ce sont des moyens, humains d’abord. Or les gouvernements successifs ont taillé dans les effectifs de police, taillé dans les moyens de la Justice, qui est dans un état de misère honteux pour un pays riche comme le nôtre. Et cela au nom de la « discipline budgétaire » des accords européens.
On ne peut donc s’empêcher de conclure que l’état d’urgence est une honteuse tentative de la part du gouvernement, appuyé par ceux qui l’ont précédé, pour maquiller les comptes, éviter que sa responsabilité ne soit posée.
« En outre pendant la dictature, il était interdit de changer les lois ! »
Ce dont ils ne se privent pas en matière « sociale ». Curieux, non ?