S'identifier - S'inscrire - Contact

Pour un examen critique du programme de "La France insoumise"

Ou pourquoi Mélenchon ne mérite ni l'excès d'honneur de ses partisans ni l'indiginité à laquelle le vouent certains de ses adversaires

Par Denis Collin • Actualités • Mardi 31/01/2017 • 9 commentaires  • Lu 3975 fois • Version imprimable


Jean-Luc Mélenchon est devenu un homme populaire (dans les sondages) sans pour autant que les sondages en termes d’intentions de vote suivent la courbe ascendante de sa popularité. Entre ses fans subjugués par ses meetings qui sont de véritables « one man show » et ses détracteurs qui en font le croquemitaine de la politique française, il semble bien difficile de garder raison.

C’est entendu, la campagne de Jean-Luc Mélenchon pose de très nombreux problèmes. Sur le fond d’abord : son programme présente de nombreux points positifs – par exemple sur les institutions, sur la défense des droits des travailleurs, sur l’école, sur la laïcité, etc.. On pourrait être plus sceptique sur la « transition écologique ». L’économie de la mer et les éoliennes sont des solutions techniques qui ne disent rien des questions fondamentales de la société. C’est trop ou pas assez. On peut relever quelques idées assez farfelues : Mélenchon veut nous guérir de notre addiction aux protéines animales et propose en même temps l’installation de 300000 agriculteurs… On ne peut pas faire plaisir à la fois aux « vegan » et aux paysans.

On pourrait longuement discuter de la laïcité. Le programme propose une laïcité stricte, incluant – il est le seul à le faire – la suppression du statut concordataire de l’Alsace-Moselle. Mais il évite soigneusement les questions qui fâchent, c’est-à-dire celles du « communautarisme » et plus exactement de l’attitude à tenir face à l’offensive séparatiste menée par les Frères musulmans et toutes sortes de salafistes. Le programme, dans son chapitre sur la lutte contre le terrorisme propose seulement de « supprimer le terreau communautaristes ». Formule bien vague, on en conviendra. Le soutien qu’il a reçu de la part de Clémentine Autain pourrait laisser soupçonner que les choses ne sont pas si claires. Le candidat lui-même est spécialiste de l’art de « botter en touche » quand des questions un peu précises lui sont posées.

Le deuxième « flou » porte sur l’UE. L’orientation de Mélenchon se résume en deux parties : 1) un plan A qui propose une renégociation des traités afin de garantir à chaque nation le droit de mener la politique économique et sociale qu’a décidée le peuple. Le but est cependant de « refonder l’Union Européenne » ; 2) si cette renégociation n’aboutit pas, la France refusera d’appliquer la discipline de l’UE (plan B). Or, cette proposition, si elle a le mérite de mettre le doigt sur la question centrale, celle que passent sous la table les autres candidats, n’en est pas moins très floue et laisse la porte ouverte à une politique à la Tsipras. Supposons, hypothèse parfaitement irréaliste que le plan A fonctionne, alors la conclusion logique est la fin du pacte de stabilité et donc la fin de la monnaie unique qu’est l’euro et le retour aux monnaies nationales avec éventuellement une monnaie commune. Il est en effet impossible de garantir une monnaie unique avec des politiques économiques trop divergentes. A fortiori, si nous sommes dans le cas du plan B, la France ne peut « désobéir » sans rejeter l’instrument essentiel de la discipline européenne qu’est l’euro. Bref, sur ce point, Mélenchon est exactement sur la ligne de Tsipras … avant l’élection grecque et il est à craindre que, si d’aventure Mélenchon était élu, il ne suive finalement la même ligne au motif qu’il faut sauver l’euro. Encore en 2012, Mélenchon disait pis que pendre de ceux qui voulaient sortir de l’euro.

En matière de politique étrangère, Mélenchon veut endosser l’habit du général De Gaulle, affirmant que son seul guide est l’intérêt de la France. Ne plus suivre aveuglément les USA, refuser la politique anti-Russe et toute velléité d’intervention militaire. Il préconise la sortie de l’OTAN. Tout cela pourrait sembler séduisant. Mais en réalité Mélenchon s’appuie sur une analyse qui retarde de plusieurs décennies et reste aveugle aux défis fondamentaux qui se posent à qui veut préserver la paix entre les nations. Ne prenons ici qu’un point : on ne peut faire de la souveraineté du peuple la source de toute légitimité politique sans proclamer que ce droit ne vaut pas que pour la France mais a bien une portée universelle. Tout naturellement donc, il faudrait se prononcer pour la garantie de l’intégrité et de l’indépendance de l’Ukraine ou encore pour les droits des Kurdes…

Il est encore d’autres questions et tout cela devrait être approfondi. En tout cas le programme de « La France insoumise », s’il est critiquable en bien des points se revendique clairement de l’héritage d’un républicanisme social, réformiste, mais sérieusement réformiste. En faire la « solution de secours de l’impérialisme français » comme on a pu le lire ici et là est parfaitement ridicule. De tous les candidats susceptibles de présenter un peu plus qu’une candidature de témoignage, il est, à l’heure actuelle, le seul à qui l’on pourrait apporter un soutien critique.

Je dis bien soutien critique. Car le style de l’homme, la scénographie de sa campagne, la posture « sauveur suprême » qu’il adopte font fortement douter qu’il reste quoi que ce soit de solide une fois les lampions de la présidentielle éteints. La « France Insoumise » est un « mouvement », construit autour d’un chef charismatique mais ce n’est pas l’embryon d’une nouvelle organisation politique capable d’unir durablement le mouvement ouvrier et socialiste. L’échec patent du PG, les méthodes anti-démocratiques qui prévalent dans ce mini-parti et viennent ligne directe du lambertisme autant que de la fascination de Mélenchon pour les « caudillos » latino-américains, devraient suffire pour interdire tout optimisme exagéré quant à l’avenir du « mélenchonisme ».



Partager cet article


Commentaires

Le flou chez Méloche par Antonio Pereira Nunes le Mercredi 01/02/2017 à 15:26

 "on ne peut pas faire plaisir aux vegan et aux paysans."  me semble court comme analyse. Pour le reste ça me va bien.C'est vrai qu'il y a beaucoup de flous dans le discours Mélanchon, mais on va lui demander d'y répondre. J'ai écrit quelque part que je voterai Mélanchon très probablement mais sans une joie particulière et encore moins dans la bonne hummeur. Aucun homme politique mérite ça. Caute, disait notre maître.


par Vincent Présumey le Mercredi 01/02/2017 à 20:01

Je me suis demandé si tu ne me visais pas, Denis, à propos de la "roue de secours de l'impérialisme français" - juste avant que toi-même t'inquiète fortement de la posture "sauveur suprême". Il est possible que j'ai écrit quelque chose comme cela, mais ce que je pense précisément n'est pas cela : je pense que JL Mélenchon se pose en roue de secours de l'impérialisme français. De là à ce qu'il le soit, il y a une marge.
Je ne suis pas sûr qu'il faille accorder plus d'importance qu'il n'en faut à la question du programme. Mélenchon se donne pleine liberté de raconter ce qu'il veut indépendemment du programme précis de la FI. En politique étrangère, il combine maintien de l'UE et alliance avec la Russie, sans oublier la Françafrique. Les insurgés syriens sont ses ennemis qu'il amalgame aux islamistes. Par rapport à la V° République, si tu discute avec des "Insoumis" au fait de leur programme et discussions, ils t'expliqueront que la constituante sera élue spécialement pour faire la VI°, et ne sera donc pas une assemblée légiférante, elle sera d'ailleurs largement ... tirée au sort, et la tache qui lui sera confiée est déjà écrite : non cumul des mandats, référendum d'initiative populaire, "règle verte" ... on est très loin de l'assemblée souveraine refondant la République contre l'armature préfectorale et bureaucratique du bonapartisme, très loin pour ne pas dire aux antipodes ...
Et la "France insoumise" est conçue comme une machine verticaliste au nom de la "démocratie directe" via internet, sans courants, faisant signer à tous candidat à la législative une charte apolitique d'allégeane et de fidélité au chef. Sur les décombres des formations bureaucratiques, c'est l'antithèse de l'organisation démocratique dont nous avons réellement besoin et je crois même que c'est une organisation dont les méthodes et le mode de fonctionnement contredisent les meilleures traditions du mouvement ouvrier ...
Je ne crois pas que ceci s'explique seulement par une hérédité lambertiste réchauffée à la flamme des caudillos latinos. C'est plus profond. Mélenchon a de la profondeur et il a voulu synthétiser les héritages de tout le mouvement ouvrier. En 2012 il se prévalait encore de ne pas jouer les Bonaparte jusqu'au bout, et avait comme échappatoire oratoire la pédagogie du dialogue unilatéral avec les foules. Il est ailleurs à présent ou plutôt il a dénoué la contradiction dans le sens de la facilité : l'adaptation au présidentialisme. Et dans ces conditions la synthèse des héritages culturels du mouvement ouvrier par lui est devenue le pire des cumuls, celui des habitus de trois chefs : Mitterrand, Marchais, Lambert ! 
Le résultat de tout cela réuni : politique étrangère impérialiste, adaptation à la V° République, culte du chef et forme organisationnelle de la FI en contradiction avec la démocratie, fait qu'en effet on peut parler d'une posture où il se propose comme la dernière roue de secours de l'impérialisme français.
Un soutien critique dés lors doit plutôt être une pression vigoureuse pour le ramener à la défense des revendications contre le capital. Mais cette pression est, sur le fond politique, une opposition.


Re: par Vincent Présumey le Lundi 06/02/2017 à 16:16

Un complément : l'interview de JL Mélenchon à "Familles chrétiennes" donnée la semaine dernière.
Dans le cadre d'une approche très "dialogue franc et main tendue", le candidat précise sur le financement public des écoles catholiques :
" ... au mieux vous pouvez attendre de moi que je laisse faire. Cela vous coûtera au minimum l'abolition de la loi Carle ..." Rien sur la loi Debré ni sur l'Alsace-Moselle.
Le candidat fait ce qu'il veut avec son "programme".


Macron : «Il n'y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse». par Anonyme le Mardi 07/02/2017 à 11:37

Emmanuel Macron décline donc la devise républicaine, Liberté-Egalité-Fraternité, en accommodant chacun de ses termes à la sauce globish.

La Fraternité, elle, s’est perdue dans un gloubi-boulga​ indifférencialiste d'où l’on comprend qu’il n’existe pas de « culture française » mais une « culture en France »… Edmond Rostand, le père de Cyrano de Bergerac, doit s’écrier dans sa tombe : « C’est un peu court, jeune homme » !

Emmanuel Macron, c’est le ravi de la mondialisation : son ambition est que « chaque Français trouve sa place dans un monde bousculé ». Il rassemble d’ailleurs un personnel politique pour qui c’est déjà le cas. Autour de lui, on notait à Gerland, outre Jean Pisani-Ferry : Bernard Kouchner (retraité de la Sarkozye), Alain Minc (ancien « proche de » Balladur, Sarkozy, DSK…), Anne-Marie Idrac (centriste balladurienne), Jean-Paul Delevoye (gaulliste chiraquien), Jean-Claude Volot (patron, Medef mais lucide), Erik Orsenna (de l’Académie française, s’il vous plaît). Seule Geneviève de Fontenay faisait un peu peuple dans ces rangées de bien-portants de la société ouverte à la concurrence mondiale.

http://www.marianne.net/mondialisation-macron-s-adapte-pen-betonne-melenchon-fait-secession-100249735.html


- Macron : «Il n'y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse».

Prétendre qu'il n'y a pas de culture française mais une culture en France est le fruit d'un reniement profond qui revient par déduction à expliquer qu'il n'y a pas de langue française mais une langue en France qui serait par nature diverse.

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/02/06/31001-20170206ARTFIG00209-emmanuel-macron-et-le-reniement-de-la-culture-francaise.php


- Macron fustige la "laïcité revancharde

(...)S'agissant de leur rapport à Dieu, "je ne demande pas aux gens d'être modérés, ce n'est pas mon affaire", ajoute Emmanuel Macron. "Dans sa conscience profonde, je pense qu'un catholique pratiquant peut considérer que les lois de la religion dépassent les lois de la République", déclare-t-il encore

http://www.europe1.fr/politique/macron-fustige-la-laicite-revancharde-2861704


Mélenchon et la question laïque par Duguet Robert le Mardi 14/02/2017 à 00:58

Denis Colin écrit qu’il est le seul à se prononcer pour l’abrogation du statut d’Alsace-Moselle. Je crois qu’on devrait prendre très au sérieux que Mélenchon a toujours écrit et défendu qu’il s’inscrivait dans la continuité du mitterandisme, avec un zeste de lambertisme pour les effets d’estrade. Relisez la biographie qui est la sienne, notamment dans wikipedia, notes biographiques soigneusement contrôlées par l’intéressé lui-même.

Il faut revenir à ce qui a conduit à la honteuse défaite laïque de 1983 ; on lit ceci dans cette notice biographique :

« Motivé par le tournant de la rigueur entrepris par le gouvernement socialiste en 1983, il intègre la loge franc-maçonne Roger Leray du Grand Orient de France (GODF) où il a comme thèmes de prédilection l'idéal républicain et la défense de la laïcité. Outre cette filiation politique, il trouve dans la franc-maçonnerie une filiation personnelle, son père et son grand-père étant eux-mêmes maçons. En 1984, lors des débats relatifs à la loi Savary, il reproche au GODF de ne pas s'engager pleinement dans la bataille en faveur de l'unification des enseignements public et privé au sein d'un grand service public de l'Éducation nationale. Amer, il reste franc-maçon mais de manière peu assidue, sans s'impliquer fortement dans les affaires internes du GODF … »

Il y a eu à l’époque au sein des différents courants de la franc maçonnerie, pas seulement au sein du Grand Orient, une opposition laïque à la ligne de la prétendue unification public-privé, qui n’était autre chose que la trahison du mot d’ordre : « fonds publics à école publique ! fonds privés à école privée ! », revendication présidant à la constitution du CNAL en 1962. La prétendue unification laïque est définie précisément dans le préambule de la loi Savary de 1983 : « l’école privée confessionnelle concourt au service public ». La loi Savary n’était pas autre chose que le prolongement et donc l’aggravation des lois antilaïques imposées au pays en 1962 par Debré et De Gaulle. Dans cette logique le statut concordataire, issue de la législation allemande de Bismark, n’a jamais été abrogé. Normal, le gaullisme c’est le retour à l’union du trône et de l’autel.

Mélenchon n’a jamais rompu avec la ligne de « l’unification laïque » qui a conduit à la trahison et à la défaite laïque de 1984. Simplement la référence formelle à des positions laïques lui donnait au sein du PS une posture lui permettant d’apparaitre comme l’aile gauche dans un parti dont les fondements doctrinaux définis par l’unité des deux cultures à Epinay – la culture laïque et la culture chrétienne – étaient foncièrement antilaïques. Epinay (1971), c’est le MRP qui s’installe dans le semi-cadavre de la social-démocratie. Je me souviens d’une émission télévisée où Mélenchon polémiquait avec Marine Le Pen sur la laïcité. Cette dernière finit par lui river ses clous en lui disant : « voulez-vous dire, Monsieur Mélenchon, qu’il faudrait revenir sur la situation qui s’est imposée en 1984, aux termes de laquelle la république continue à financer l’enseignement confessionnel ? » Face à cette passe d’armes de la présidente du FN, Mélenchon se tait. Et pour cause ! Rocard premier ministre interviendra sur le statut d’exception en allant au bout de la trahison : il se prononcera pour l’application du statut d’exception à tout le territoire de la république, c’est-à-dire pour un retour à une législation concordataire d’avant les lois laïques.

Mélenchon serait le seul candidat à la présidentielle qui se prononcerait pour l’abrogation du statut d’exception… Même cela, cher Denis, c’est faux ! 


Mélenchon la France insoumise par Louis Peretz le Mercredi 15/02/2017 à 21:08

 Mélenchon parle de 6 e république. Mais ne dit rien de ce qu'elle serait. Convoquer une constituante n'a aucun sens. Invoquer l'article 11 dans ce sens montre qu'il ne l'a pas lu. Une consitituante ne s'élit pas. Sur qu'elle base, avec quelle principes des constituants rédigeraient une nouvelle consitution ? Bref c'est un slogan.


Lien croisé par Anonyme le Mercredi 01/03/2017 à 09:58

Le blog de Robert Duguet : " Source : http://la-sociale.viabloga.com/news/pour-un-examen-critique-du-programme-de-la-france-insoumise"



Archives par mois


La Sociale

Il Quarto Stato