En tout cas au premier abord la proposition du secrétaire général de la CGT apparaît comme une revendication audacieuse proposant de nouvelles conquêtes sociales à une époque où les seules perspectives qui s’offrent aux travailleurs semblent être de limiter la casse des acquis sociaux.
Cette proposition suscite cependant plusieurs interrogations. Dans la conjoncture actuelle, elle paraît telle irréaliste qu’on se demande pourquoi Thibault, dont Sarkozy apprécie le « pragmatisme », l’a faite sienne. On est même tenté de dire que finalement il la joue « petits bras ».Pourquoi en effet, ne pas demander l’interdiction des licenciements dans le privé et une garantie de l’emploi égale à celle des fonctionnaires ? Et, pour faire bonne mesure, imposer une échelle salariale garantie sur la vie active du salarié ? On pourrait même ajouter la nationalisation intégrale de toute l’économie (car ce serait le seul moyen d’appliquer vraiment toutes ces revendications) et le passage immédiat au socialisme. Woerth en serait particulièrement impressionné !
En effet, la revendication de Thibault se heurte à un premier obstacle. Dans la fonction publique où – sauf cas tout à fait exceptionnel – un fonctionnaire ne peut pas descendre dans l’échelle indiciaire, le traitement (les fonctionnaires ne perçoivent pas un salaire mais un traitement) brut du dernier indice est nécessairement le meilleur (pourvu qu’il ait été obtenu depuis plus de six mois). Mais dans le secteur privé, il n’y a rien de tel. Un salarié pourrait avoir obtenu un salaire très favorable à l’âge de 25 ans et avoir ensuite « galéré » avec des salaires misérables. Il faudrait donc parler du meilleur salaire même si on l’a touché pendant six mois il y a trente ans ! Alors évidemment, la retraite du salarié du privé, serait nettement plus favorable que celle des fonctionnaires. Mais, compte-tenu du fonctionnement des caisses de retraite, c’est à la fois injuste, absurde et impossible à mettre en œuvre. On se demande pourquoi la CGT, plutôt que ces extravagances gauchistes ne se contente pas de revendiquer pour les salariés du secteur privé l’abrogation de la réforme Balladur et le retour à la retraite à taux plein à 60 ans avec 37 annuités et demie. Cette revendication, très minimaliste par rapport à la prise de position de Thibault, constituerait une immense victoire et on ne voit pas bien comment elle pourrait être obtenue sans un mouvement masse plus important que ceux de 1936 et 1968.
Il y a un deuxième problème, qui nous éclairera sur le sens de la prise de position de la CGT. C’est que la différence entre les fonctionnaires de la fonction publique et le secteur privé est essentielle et les travailleurs de ces deux secteurs n’ont pas du tout le même statut. Les fonctionnaires ne sont pas régis par le code du travail mais par le statut de la fonction et diverses ordonnances particulières (par exemple celles de 1950 qui définissent le statut des professeurs). Non seulement ils n’ont pas de salaire mais un traitement – dont les niveaux sont définis théoriquement en fonction des exigences propres de la fonction publique – mais en plus ils ont une pension et non une retraite, tout simplement parce qu’il n’a pas de caisse de retraite de la fonction publique, les pensions des fonctions étant inscrites sur le grand livre de la dette publique.
Que voudrait dire dans ces conditions l’alignement du privé sur le public, sinon la suppression du statut propre de la fonction publique et l’instauration de caisses de retraite des fonctionnaires.
Et il est bien possible que nous soyons là au nœud du problème. La proposition de Thibault n’a aucune chance d’être mise en œuvre au plus grand profit des salariés du secteur privé. Par contre elle ouvre la voie à l’unification des régimes de retraite du privé et du régime des pensions de la fonction publique. Or c’est précisément ce que veut le gouvernement. Woerth l’a dit et répété. Tout cela évidemment se ferait au nom de l’équité et même, pourquoi pas de « l’égalité républicaine » ! Le résultat en est connu à l’avance : l’alignement se fera par le bas, comme le souhaitent Sarkozy et Woerth et les palinodies de Thibault n’ont pas d’autre objectif que de camoufler le sens de cette opération.