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Retraites: aligner le privé sur le public? ou l'inverse

À propos d'une prise de position de la CGT

Par Denis Collin • Lutte de classes • Dimanche 25/04/2010 • 2 commentaires  • Lu 3203 fois • Version imprimable


Par la voix de son secrétaire général, la CGT s’est prononcée pour l’alignement des conditions de retraite du privé sur le public. On sait qu’il existe des différences importantes entre les systèmes de retraite du privé et de la fonction publique. La plus marquante est celle-ci : les fonctionnaires partent en retraite avec 75% du dernier salaire brut (qui est le meilleur) alors que les salariés du secteur privé partent avec une retraite de base de 50% du salaire moyen des 25 dernières années (avant la réforme Balladur de 1994, la base de calcul était la moyenne des 10 meilleures années). Il faut toutefois tenir compte de l’existence de régimes complémentaires dans le secteur privé et, au moins pour certaines catégories et dans certaines grandes entreprises, de salaires nettement supérieurs à ceux de la fonction publique à niveau de qualification et de responsabilité équivalents. 

En tout cas au premier abord la proposition du secrétaire général de la CGT apparaît comme une revendication audacieuse proposant de nouvelles conquêtes sociales à une époque où les seules perspectives qui s’offrent aux travailleurs semblent être de limiter la casse des acquis sociaux.

Cette proposition suscite cependant plusieurs interrogations. Dans la conjoncture actuelle, elle paraît telle irréaliste qu’on se demande pourquoi Thibault, dont Sarkozy apprécie le « pragmatisme », l’a faite sienne. On est même tenté de dire que finalement il la joue « petits bras ».Pourquoi en effet, ne pas demander l’interdiction des licenciements dans le privé et une garantie de l’emploi égale à celle des fonctionnaires ? Et, pour faire bonne mesure, imposer une échelle salariale garantie sur la vie active du salarié ? On pourrait même ajouter la nationalisation intégrale de toute l’économie (car ce serait le seul moyen d’appliquer vraiment toutes ces revendications) et le passage immédiat au socialisme. Woerth en serait particulièrement impressionné !

En effet, la revendication de Thibault se heurte à un premier obstacle. Dans la fonction publique où – sauf cas tout à fait exceptionnel – un fonctionnaire ne peut pas descendre dans l’échelle indiciaire, le traitement (les fonctionnaires ne perçoivent pas un salaire mais un traitement) brut du dernier indice est nécessairement le meilleur (pourvu qu’il ait été obtenu depuis plus de six mois). Mais dans le secteur privé, il n’y a rien de tel. Un salarié pourrait avoir obtenu un salaire très favorable à l’âge de 25 ans et avoir ensuite « galéré » avec des salaires misérables. Il faudrait donc parler du meilleur salaire même si on l’a touché pendant six mois il y a trente ans ! Alors évidemment, la retraite du salarié du privé, serait nettement plus favorable que celle des fonctionnaires. Mais, compte-tenu du fonctionnement des caisses de retraite, c’est à la fois injuste, absurde et impossible à mettre en œuvre. On se demande pourquoi la CGT, plutôt que ces extravagances gauchistes ne se contente pas de revendiquer pour les salariés du secteur privé l’abrogation de la réforme Balladur et le retour à la retraite à taux plein à 60 ans avec 37 annuités et demie. Cette revendication, très minimaliste par rapport à la prise de position de Thibault, constituerait une immense victoire et on ne voit pas bien comment elle pourrait être obtenue sans un mouvement masse plus important que ceux de 1936 et 1968.

Il y a un deuxième problème, qui nous éclairera sur le sens de la prise de position de la CGT. C’est que la différence entre les fonctionnaires de la fonction publique et le secteur privé est essentielle et les travailleurs de ces deux secteurs n’ont pas du tout le même statut. Les fonctionnaires ne sont pas régis par le code du travail mais par le statut de la fonction et diverses ordonnances particulières (par exemple celles de 1950 qui définissent le statut des professeurs). Non seulement ils n’ont pas de salaire mais un traitement – dont les niveaux sont définis théoriquement en fonction des exigences propres de la fonction publique – mais en plus ils ont une pension et non une retraite, tout simplement parce qu’il n’a pas de caisse de retraite de la fonction publique, les pensions des fonctions étant inscrites sur le grand livre de la dette publique.

Que voudrait dire dans ces conditions l’alignement du privé sur le public, sinon la suppression du statut propre de la fonction publique et l’instauration de caisses de retraite des fonctionnaires.

Et il est bien possible que nous soyons là au nœud du problème. La proposition de Thibault n’a aucune chance d’être mise en œuvre au plus grand profit des salariés du secteur privé. Par contre elle ouvre la voie à l’unification des régimes de retraite du privé et du régime des pensions de la fonction publique. Or c’est précisément ce que veut le gouvernement. Woerth l’a dit et répété. Tout cela évidemment se ferait au nom de l’équité et même, pourquoi pas de « l’égalité républicaine » ! Le résultat en est connu à l’avance : l’alignement se fera par le bas, comme le souhaitent Sarkozy et Woerth et les palinodies de Thibault n’ont pas d’autre objectif que de camoufler le sens de cette opération.


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Commentaires

A propos d'une prise de position de la CGT par BIDRON le Vendredi 30/04/2010 à 18:43

Votre article ferait-il référence au concept de "maison commune des régimes de retraite" développé par la CGT ?


par regis le Samedi 01/05/2010 à 04:01

En fait Thibaut sous un langage pseudo gauche envoie un signal clair au gouvernement qui a particulièrement en cible, sous prétexte de finances publiques, la baisse drastique des pensions des fonctionnaires alors même qu’en l’absence de caisse, aucun déficit ne peut être évoqué.

Ce qui explique son alliance indéfectible avec la CFDT qui a déjà annoncé la couleur en cette matière.

Il rejoint ainsi la Sainte Alliance Aubry-Valls-Hollande en fait l’écrasante majorité du PS.

On est bien mal barrés car tous représentent des organisations dont le poids est loin d’être négligeable.

Quant à Mailly et FO, si leur positionnement est plus correct, rien n’est réellement entrepris pour lancer le débat chez les salariés : manif séparée le 23, idem le 1er mai. Peut-on, au regard de la gravité du problème, rester en embuscade ?   



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