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Secrets bancaires

Lettre genevoise 4

Par Gabriel Galice •  • Lundi 22/02/2010 • 0 commentaires  • Lu 2327 fois • Version imprimable


Avec les montres et le chocolat, le secret bancaire est une dimension trinitaire de l’image de la Suisse à l’étranger, sinon de son « identité ». Or le secret bancaire suisse subit depuis quelques années des coups de boutoir.

La Suisse est assaillie par les Etats-Unis et par ses voisins, l’Allemagne, la France et l’Italie notamment. Un ministre allemand a menacé du fouet la Suisse. L’OCDE se mêle de la partie. A l’heure où la rhétorique ambiante est à la transparence et à la fluidité, il faut savoir gré à la Suisse de parler franchement des choses sérieuses. Ces deux mots brefs de secret et bancaire nous rappellent opportunément deux vertus du capital que l’économie de marché nous ferait oublier. Le secret est consubstantiel aux sociétés autant qu’aux familles. Pas seulement aux sociétés anonymes ou aux sociétés secrètes, aux sociétés tout court. Quant à la banque, elle stocke le capital, le fait fructifier selon les modalités les plus appropriées. Depuis quarante ans, les frontières se sont estompées entre banques de dépôt et banques d’affaires, comme se sont relativisés les capitaux propres, au sens financier du terme. L’or ne jouant plus son rôle de référent stabilisateur, les marchés virtuels ont pris le dessus, dans l’opacité la plus grande, là encore.

Les concurrents économiques et rivaux politiques de la Suisse, par ailleurs ses amis fidèles et alliés constants, se plaignent, toute vertu dehors, que la Confédération encourage la fraude fiscale. Leurs raisons sont défendables mais la Suisse a du répondant. La Suisse, tous grands partis de gouvernements confondus, fait l’Union sacrée contre l’assaillant. Elle invoque un distinguo juridique national que ses contempteurs jugent spécieux : la différence entre fraude et soustraction fiscale. La soustraction équivaut à la non déclaration d’avoirs placés tandis que la fraude implique des opérations de fausse déclaration, fausse comptabilité, fausses factures et autres falsifications. La soustraction fiscale est en quelque sorte la présomption d’innocence appliquée au capital et à son détenteur. Le secret bancaire est assimilé au secret professionnel des avocats ou des médecins. Depuis 1934, il est inscrit dans l’article 47 de la loi fédérale sur les banques et les assurances. Mais la Suisse à un autre argument, plus convaincant encore : les pratiques de ses détracteurs. Les études internationales lui donnent raison : elle n’est pas le premier tricheur. L’Etat du Delaware, les Iles Caïman, les Bahamas, les Bermudes, les trusts sont des boîtes noires bien plus conséquentes, dont usent des grandes entreprises. Michelin vient d’être montré du doigt pour une fondation au Luxembourg.

Pour la Suisse, la bataille bancaire et fiscale est moins entre les gentils et les méchants qu’entre le capitalisme national et le modèle anglo-saxon, voire le modèle rhénan anglo-saxonisé. La crise financière des Etats volant au secours de leurs banques sans contreparties provoque le besoin pressant de trouver des ressources nouvelles. La chasse aux fraudeurs fait figure de poule aux oeufs d’or.

Les conventions bilatérales de double imposition (CDI) semblent de nature à calmer les Etats revendicatifs. Ces conventions renonceraient au distinguo entre fraude et évasion fiscale. Quelle homogénéité entre les conventions ? Quel contrôle ? L’achat de données volées est-il permis ? La commission de politique extérieure du Conseil des Etats (Chambre haute) souhaite que soit ajouté aux CDI en cours de négociation un article précisant qu’aucune entraide ne sera accordée sur la base d’informations volées. Avec la France, il est admis que le nom de la banque est indispensable au déclenchement de la procédure d’assistance mais qu’il peut y avoir des exceptions. L’imposition à la source éviterait bien des tracas.

La concurrence est libre mais loin d’être parfaite, en somme. L’exception suisse est sa façon d’habiter notre monde commun. Un petit pays sans armes nucléaires ni population massive se bat avec ses armes à lui. Il tire sa force de sa marginalité. Il nous rappelle les capitales vertus du secret et de l’accumulation. La question de savoir s’il faut amender le monde, en changer, est un autre débat, loin d’être superflu. Le présent propos se borne à relever que les Etats (les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et l’Italie spécifiquement) ne sont pas des êtres moraux. Il convient de balayer la neige devant sa porte et de ne pas faire prendre les vessies des affaires pour les lanternes de la morale.


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