Le soir de l’élection Coppée parlait des sondages du second tour et une élue PS de lui répondre : « Mais aujourd’hui ce n’est pas de sondages dont-il s’agit mais de résultats ! ». La fonction fondamentale des sondages consiste à promotionner le virtuel contre le réel. Ainsi, même après les élections, la lecture des résultats est « polluée » par les sondages ! Il est frappant de constater dans les journaux, la faible place faite aux résultats, par rapport à celle des sondages.
Depuis qu’ils existent, les sondages électoraux servent non pas la politique mais le marketing lui-même et contribuent ainsi à mettre le politique à la remorque de l’économique. En politique, les « enquêtes » valident une démarche qui sert ensuite l’économique. Quelle démarche ? La fabrication de l’opinion réelle par l’opinion supposée. Vous êtes supposé à la recherche d’un voyage en Turquie et on va vous proposer le voyage correspondant à votre quête. En économie, le marketing est là pour qu’un produit rejoigne sa cible et pour une part c’est un effet de réel (nous avons en effet des besoins) mais en politique le choix électoral n’est pas normalement le choix d’une lessive, en conséquence si le marketing peut réduire le politique à un marché c’est qu’il domine alors toute la société ! Il serait capital de révéler le coût des sondages et qui les finance.
Le marketing politique fait du grand débat télévisé la pierre angulaire d’une campagne électorale qui ne serait que spectacle, mais spectacle de bas niveau.
Le cas Mélenchon
A partir du moment où les sondages le placent à 14 puis même à 17%, quand le résultat est de 11%, il devient presque mauvais alors que tout indique au contraire qu’il réussit l’exploit de matérialiser l’unité d’un électorat très dispersé.
Donc le résultat est bon mais il devient moins bon face au 18% de Marine Le Pen puisque contrairement aux déclarations trop optimistes de Mélenchon, ce courant n’est pas balayé de la scène politique.
Pour les deux fronts, comme pour les autres, les électorats ne sont pas des girouettes qui tournent suivant le vent mais bien au contraire des REALITES enracinées chez 80% des citoyens. Les campagnes électorales s’adressent à un petit pourcentage d’hésitants et par contre une fonction globale par les débats engagés, des débats qui arment ou désarment chaque camp. Il suffit d’étudier les résultats pour vérifier cette continuité dans le comportement qui date parfois des élections de 1849 ! Oui, j’ai des preuves de ce que j’écris mais qui travaille à cette étude comportementale sur le long terme ? Je ne sous-estime pas les zones en mouvement démographique fort qui, elles, modifient les traditions, et c’est là qu’apparaît plus fortement le FN qui a cependant ses traditions, de Boulanger à Vichy et jusqu’à la première présidentielle avec Tixier-Vignacourt. Jaurès a fabriqué le Sud-Ouest politique comme le Sud-Ouest politique a fabriqué Jaurès ! Ensuite des modifications sont là, à la marge, un déplacement de 4 ou 5 % faisant une élection.
Le marketing est là pour faire de ce 4 ou 5% toute la réalité afin d’effacer la réalité globale, dont il se considère le « propriétaire ».
Le cas Eva Joly
Inversement, le score d’Eva Joly n’est pas celui de l’écologie et il pose cette autre question : quelle part a le mode de scrutin dans la fabrication des résultats ? Quand Sarkozy dissuade Borloo et Nihous d’être candidats on comprend l’enjeu : il risquait en effet d’être derrière Marine Le Pen. Crainte qui, naturellement, a occupé une part flottante de l’électorat Mélenchon. Dans cette élection faite « grand » spectacle, la place d’une femme est nettement plus difficile d’où les « mérites » encore plus grands de Marine Le Pen ou ceux hier de Ségolène Royal.
Le marketing serait-il alors l’instrument qui faciliterait ou compliquerait la rencontre d’un électorat et d’un candidat ? Non car en plus d’effacer la constitution solide d’électorats existants, il veut effacer les effets du mode de scrutin et pire même en la circonstance, il en aggrave les conséquences sans en permettre la moindre analyse.
Nous pouvons dire que le score d’Eva Joly est d’autant plus un échec que Bayrou a pris une gifle et c’est bien là, la preuve, contrairement à ce que j’ai écrit que les campagnes font bouger les résultats ?
Nous entrons là dans l’électorat le plus volatile, celui du centre qui historiquement constitue une bonne part du vote écolo quand Daniel Cohn-Bendit en est la figure de référence dans un autre mode de scrutin. Bien sûr, à 2% le vote est plus celui de la frange à gauche. Donc, où est passé l’électorat centriste en 2012 ?
Le cas Bayrou
Après le choc de 2002, Sarkozy a construit sont premier tour de 2007 sur l’objectif de prendre des voix à Le Pen qui a perdu environ 10%. Cette politique très à droite a libéré 10% pour Bayrou. En 2012, tout le centre-droit a décidé de voler au secours d’un Sarkozy en galère dès le premier tour. En galère parce qu’il savait très bien qu’il n’était pas en mesure de réussir son OPA de 2007 sur le FN vu les échecs de sa politique. Car en fait une élection est là d’abord pour juger d’une politique, d’une réalité politique.
Depuis 2007, TOUTES les élections ont permis de vérifier qu’une partie flottante des citoyens avaient voté à la présidentielle pour une politique qui se révélait être une illusion. Mais faut-il faire abstraction de la « crise » ? En principe, gouverner c’est prévoir, et quand un homme politique élu en 2007 se fait surprendre par la crise en 2008, c’est qu’il n’est pas élu pour gouverner mais pour s’adapter aux injonctions de ceux qui gouvernent vraiment en pensant à leurs dividendes. Souvent les déplacements de voix se font donc à l’intérieur de chaque camp plus que d’un camp à l’autre. Il est frappant d’observer comment 1936 est désigné comme une victoire de la gauche alors que ce fut une avancée de la droite. En 1936 la caractéristique a été une recomposition au sein de la gauche avec le début de la fin pour les radicaux. Inversement, depuis 1981 nous assistons à des victoires de la frange droite de la gauche. Est-ce que les résultats de 2012 marquent un arrêt de cette tendance longue ? Seules les législatives peuvent donner la réponse, législatives qui risquent de ridiculiser enfin l’élection présidentielle, même après les avoir placées sous le contrôle du président !
24-04-2012 Jean-Paul Damaggio