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Souveraineté populaire contre gouvernance mondiale

En matière de politique intérieure, la grande affaire des médias français ces derniers jours réside dans cette question : que vont faire les strauss-kahniens ? Si la pérennité de ce groupe nous importe peu, les orientations qu’il défend sont au cœur du seul débat qui vaille et qui soulève des foules en Europe : gouvernance mondiale ou souveraineté populaire ?

Par Pierre Delvaux • Actualités • Samedi 04/06/2011 • 3 commentaires  • Lu 1813 fois • Version imprimable


Un collectif de strauss-kahniens a publié dans Le MONDE du 3 juin une tribune qui a le mérite de la clarté. Ces héritiers de « la Deuxième Gauche » qui prétendait en finir avec l’idéologie sont pour le coup ultra-idéologues.  Pour eux, tout est bon pour faire à tout prix « l’Europe » et sauvegarder sa monnaie. Comme tous les européistes, face à l’inextricable et fatale crise en Europe, la solution est la fuite en avant comme en témoigne cette citation de leur tribune dans Le Monde : « L’acceptation d’emprunts européens est un pas absolument nécessaire au bénéfice d’investissements d’avenir et de solidarité. Mais cela suppose d’harmoniser les politiques fiscales et d’aller plus loin dans l’intégration. Il ne peut pas y avoir d’union monétaire durable sans des formes d’union fiscale et de fédéralisme budgétaire. C’est aussi la condition de la relance du moteur franco-allemand». Le mot à la mode vient à l’esprit en lisant ces lignes : sidération. Le programme de ces messieurs-dames est tout simplement de nous mettre tous au « régime grec », de vendre ce qui nous reste d’industries et de service public, de réduire drastiquement salaires et doits sociaux pour que l’Etat soit en capacité d’emprunter auprès de l’Union Européenne et d’assumer des années de remboursement. Et pour pouvoir y parvenir, une seule solution avec l’euro : l’harmonisation budgétaire et fiscale européenne. Ce programme fait écho à la récente déclaration de Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, pour réclamer un ministère des finances européen ou un droit de veto européen sur certaines décisions économiques nationales. 

Conscients des dégâts sociaux de cette politique, nos strauss-kahniens proposent comme politique sociale ce qu’ils appellent « Social-Ecologie », en fait, le partage du sous-emploi et la gestion de la précarité au prétexte « d’un nouveau modèle de développement » basé sur « la durabilité, la qualité de la vie, la réciprocité… », bref les balivernes habituelles sur la décroissance destinées à habiller la Sécurité Sociale Professionnelle et son corollaire, le contrat-unique-tout-au-long-de-la-vie. Nous avons évoqué plus d’une fois ce dispositif revendiqué tant par l’UMP que par le PS, qui s’appuierait avant tout sur des ressources locales, le désengagement de l’Etat étant l’un des buts recherchés. Nos strauss-kahniens sont là aussi très clairs : « Nous devons faire confiance à l’expérimentation et au contrat pour aller vers un Etat moderne où tous les échelons des collectivités travaillent ensemble pour optimiser l’utilisation d’une ressource publique devenue rare ». La boucle est bouclée. Sachant que l’acceptation de la spéculation mondialisée vide les caisses de Etats, nos sociaux-démocrates germanopratins font mine de voir l’avenir de nos ressources dans la décentralisation, les « pôles urbains » et les « eurorégions ». Mieux encore, ils pensent pouvoir développer là-dessus nos exportations vers les « pays émergents » à travers « les secteurs économiques d’avenir, les énergies nouvelles, les biotechnologies, les industries numériques… ».

 

Depuis les années 80, nous savons tous ce qu’il en est du remplacement supposé de l’industrie lourde par ce genre d’activités. Des milliers d’ouvriers victimes des délocalisations industrielles à qui on avait promis ces « emplois nouveaux » peuvent témoigner de l’escroquerie. Mais pour nos strauss-kahniens, « le protectionnisme n’est pas la panacée » et « la démondialisation  serait une grave erreur. La bonne perspective est de s’engager dans la construction d’une gouvernance mondiale régulatrice et équilibrée entre les puissances d’aujourd’hui ».

 

Le programme est clair : parachever le démantèlement de l’Etat-nation centralisé pour créer au plus vite un Etat fédéral européen supposé seul capable d’affronter la concurrence grandissante des pays émergents. Ce qui suppose un alignement du coût du travail européen sur celui de ces pays. C’est dit à demi-mot dans le 6e paragraphe consacré à la « social-écologie » que j’évoquais plus haut.

 

Même si l’on s’inscrit dans cette logique d’adaptation sociale du capitalisme mondialisé, la réalité invalide le programme proposé. L’évolution de la situation des pays européens les plus endettés montre clairement à tout un chacun qu’il s’agit d’une spirale spéculative inexorable. D’un côté, les institutions européennes et leurs Etats-laquais prétendent redresser les pays en difficulté par le remboursement de leurs dettes et la réduction de leurs déficits (au prix de la destruction des emplois et des droits sociaux). Et de l’autre côté, les agences de notation ne cessent de monter plus haut la barre de la crédibilité de ces Etats tandis que les traders spéculent sur la faillite des mêmes. C’est en quoi la proclamation de nos strauss-kahniens balance entre le pathétique et la mauvaise foi.

 

Mais, pour finir, le plus préoccupant dans tout cela c’est que le programme du PS ne dit guère autre chose. Les strauss-kahniens ont simplement le mérite d’aller un peu plus loin dans le détail et de revendiquer franchement le choix politique.

 

Pierre  Delvaux  -  le 04 juin 2011


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Commentaires

par LEMOINE le Lundi 06/06/2011 à 10:28

Il faudrait que vous soyez plus précis dans votre analyse car le lien n'est pas évident entre la citation que vous faites et les conclusions que vous en tirez. Pourquoi une harmonisation fiscale devrait-elle nous mettre tous au "régime grec"? Pourquoi un budget européen serait-il nécessairement synonyme d'austérité?


PARADOXALE HARMONISATION par Pierre Delvaux le Mardi 07/06/2011 à 14:31

Merci de me donner l'occasion de préciser et d'aller plus loin. C'est tout l'intérêt de notre site.
La crise actuelle en Europe ne met-elle pas au grand jour l'aspect pour le moins paradoxal de la "construction européenne" ? L'imposition de la concurrence libre et non faussée à tous les pays signataires de Maastricht a entraîné leur désindustrialisation accélérée (génératrice de chômage de masse) et la chûte de tous les revenus à commencer par ceux du travail. Impactée aussi par cette politique l'Allemagne s'en sort mieux que les autres essentiellement du fait que l'euro ait été dès le départ indexé sur le deutschmark. J'en profite pour relativiser l'exemple allemand dont on nous bassine. Le succès des importations en Allemagne ne profite que très partiellement aux citoyens car les commentateurs omettent de préciser que les automobiles ou d'autres produits sont de plus en plus fabriqués dans des pays est-européens à bas coût de main d'oeuvre. Les grands bénéficiaires de ces exportations sont, bien entendu, les actionnaires. A travers l'Acte Unique et le Traîté de Maastricht, le premier pas de la "construction européenne" consista, donc, à priver les Etats signataires des deux principaux outils d'une politique économique souveraine : la maîtrise de sa monnaie et la protection douanière. Bien d'autres mesures accompagnèrent depuis ce dispositif, tels que le démantellement des monopoles publics et l'ouverture totale des frontières favorisant la mise en concurrence des salariés. Pendant un court moment, un semblant de relance fit illusion. L'abaissement généralisé du coût du travail et les privatisations dégagèrent momentanément de nouveaux marchés, beaucoup investissant dans ce que l'on nous présentait comme un nouvel eldorado : les services et les nouvelles technologies. On sait ce qu'il en advint. Tout cela se recontracta très vite, en Europe d'abord de par la concurrence américaine (l'Etat fédéral soutenant les investisseurs en capital risque et leurs crédits faibles et de long terme), puis quand la bulle internet explosa. Des milliers d'entreprises de service et de "startup" firent alors faillite dans le monde entier et, singulièrement en Europe (dont l'Irlande, tigre de papier celtique dont les européistes faisaient grand cas). Sept ans plus tard, c'est la bulle immobilière qui explosait avec les conséquences que nous savons, particulièrement graves dans les pays qui s'étaient jeté à corps perdu dans ce secteur. En vingt-cinq ans, l'Europe se retrouve exsangue au nom d'une idée : la supériorité de la mondialisation sur les Etats souverains. Ce que je reproche aux strauss-kahniens et à leurs semblables c'est de refuser de tirer aujourd'hui les leçons de l'échec de cette politique. On peut avoir cru de bonne foi dans "l'Europe" et dans le "village planétaire" de la mondialisation. Mais qui ne peut voir aujourd'hui que ces appareillages n'ont servi qu'une minorité : les marchés financiers ? Et l'idée qu'il fallait faire l'Europe au moins pour garantir la paix est définitivement battue en brêche par les crispations grandissantes nées de la concurrence libre et non faussée qui favorisent les mouvements populistes et extrémistes. La construction européenne a ruiné les Etats et les strauss-kahniens nous proposent d'aller encore plus loin dans le projet pour nous relever. Car la faisabilité d'une harmonisation fiscale et d'un budget européen, surtout dans la situation de crise actuelle, n'est possible qu'à travers ce que nos strauss-kahniens appellent "plus d'intégration" et que Jean-Claude Trichet caractérise plus concrètement et plus franchement : un ministère des finances européen ou un droit de veto économique européen. En clair : un nouvel abandon de souveraineté aussi important que le fut le passage à l'euro. Pour nous guérir des conséquences de la construction européenne nous devrions lui donner encore plus de latitude. La nuance entre ce point de vue des strauss-kahniens pur jus et celui de l'ensemble du PS était résumée ce matin sur France Inter par Pierre Moscovici : il faut continuer dans l'austérité mais en la réétalant davantage dans le temps que ne le fait Sarkozy. Voilà en quoi le PS se distingue de l'UMP. C'est pourquoi je n'en attends plus rien. Sans tomber dans le "tous pourris" et l'antipartisme, je ne vois plus guère aujourd'hui d'autre issue que dans la reprise en main de leur destin par les peuples eux-mêmes, partant de leurs propres besoins et avec les outils démocratiques qu'ils se choisissent, loin des chimères fédéralistes et mondialistes.

Pierre Delvaux


dépasser les parcours personnels par c_berthier le Lundi 13/06/2011 à 19:30

1 - On passerait sa vie à commenter les parcours et paroles des hiérarques du PS...et ceux du PCF, et d'autres encoe. Les spéculations présidentielles n'ont plus aucun intérêt quand tous sont d'accord pour faire payer les dettes (de qui et de quoi ?) avec les salaires des contribuables sans responsabiliser les membres des conseils d'administrations des banques "endettées", devant plus qu'elles ont prêté à d'autres entreprises aujourd'hui insolvables, dans et hors les frontieres.
2 - il faut faire apparaitre leur fausse opposition aux plans de Sarkozy dans le refus d'en abroger les lois et de rétablir, de développer les acquis issus de 1945.
3 - Elle est fausse la promesse d'abrogation des lois territoires du PS quand le président PS des régions de France en appelle à faire main basse sur les fonds sociaux des départements et les communautés de communes sur le peu qui reste aux conseils municipaux
4 - mensonge et faux semblants aussi au sujet des interventions et Afghanistan et en Libye
5 - silence hypocrite de toute la gauche politico-syndicale d'en haut sur les projets de financement de la "dépendance".
6 - Silence hypocrite sur toute mesure propre à reduire le chomage, à recruter de nouveaux personnels statutaires pour satisfaire les besoins d'enseignement, de santé, reconstituer les services techniques prefectoraux et les services publics.
Ce dont il faut maintenant parler c'est du programme qu'il faudrait présenter aux français dès maintenant, de la manière dont chaque citoyen pourrait se servir du mot d'ordre de "constituante" et pas seulement au niveau des maires, caporalisés par les préfets, mais des 500 000 conseillers municipaux, des conseils municipaux, forme permanente des assemblées communales, anciennement des "paroisses" et des "villages" consultés en 1789 pour les etats generaux dans l'expression de leurs doleances.
Confrontés aux blocages et à la corruption des élus d'en haut, ceux qui le refusent, quel qu'en soit le "niveau" et l'étiquette, conseillers généraux, maires, conseilleurs municipaux doivent en appeler à leurs électeurs et le plus vite sera le mieux. Car aucun d'entre eux n'a plus maintenant les moyens politiques et financiers de réalier les programmes sur lesquels ils ont été élus. Partout, et à tous les niveaux, il faut retourner devant le peuple.



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