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Cacciari et l’Italie en miettes

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Mercredi 01/06/2011 • 0 commentaires  • Lu 1680 fois • Version imprimable


Certains penseront que les week-end se suivent sans se ressembler. Hier, les socialistes espagnols buvaient la tasse au point que la droite demande des élections législatives anticipées. Aujourd’hui Berlusconi est au tapis au point que la gauche italienne demande des élections législatives anticipées.

Milan, comme toute l’Italie, possède un mouvement social puissant depuis longtemps, mais la domination de Berlusconi rendait inexistant, pour les médias dominants, Giuliano Pisapia, le nouveau maire. Je ne sais combien de Unes ont été consacrées à Silvio depuis qu’un jour de 1985 il est venu en France acheter la première télé privée française au gouvernement socialiste ! 

Donc, grâce aux quelques milliers d’électeurs qui ont quitté la droite, s’agirait-il de parler de la gauche ? Par une coïncidence étrange La Reppublica du 30 mai donne la parole à Massimo Cacciari, ce que fait aussi Libération du 31 mai… Avant que ce philosophe (j’ai deux de ses livres dans ma bibliothèque[i]) ne devienne maire communiste de Venise j’avais été favorablement impressionné par son style et son souci de la réalité. J’ai donc suivi son évolution qui n’a pas été du côté du renouvellement de l’engagement « communiste » mais du côté du glissement à droite jusqu’au centre actuel. L’heure serait-t-elle au centre ? 

Or la surprise à Milan comme à Naples, c’est la victoire d’hommes de gauche atypique. Que L’Italie des valeurs (le parti de Di Pietro) l’emporte à Naples me paraît aussi important que la victoire d’un membre de la gauche du Parti Démocratique à Milan. 

L’Espagne et l’Italie ont un point commun : parmi les miettes électorales l’écologie politique est absente (pas la préoccupation écologiste). Pour le reste nous sommes face au même éclatement : territorial, idéologique, social. Voilà que certains vérifient une évidence oubliée : Berlusconi était à la tête d’une coalition qui va éclater. La Ligue du Nord sort des élections moins affaiblie que le parti de Berlusconi sauf que sans Berlusconi elle a moins de poids ! Et cette « anomalie » italienne nous renvoie à Cacciari qui indique dans Libération : « Il faut aussi rappeler qu’à l’époque, Silvio Berlusconi a gagné grâce aux erreurs incroyables de la gauche. Si, par exemple en 1994, le centre gauche avait été capable de comprendre la situation et d’ouvrir un dialogue avec la Ligue du Nord sur un projet fédéral, le parti d’Umberto Bossi n’aurait pas scellé une nouvelle alliance avec Berlusconi et on n’aurait jamais plus entendu parler de lui. »

Cacciari croit en effet au fédéralisme qu’Umberto Bossi appelle« La Padanie » soit un pouvoir toujours plus grand des riches sur les pauvres ! Un racisme qui depuis n'a pas baissé la garde ! Aussi je comprends très bien qu’il puisse dire ensuite : « Il est difficile de penser pouvoir transposer sur toute l’Italie la victoire de Giuliano Pisapia ». Sa stratégie d’union vers le centre serait alors marginalisée ! 

Donc nous avons : plusieurs tendances au centre, plusieurs tendances au sein du Parti démocratique, l’Italie des valeurs, le cas d’une gauche plus authentique avec Nicki Ventola ; plusieurs tendances à droite avec l’hypothèse d’un remplaçant pour Berlusconi mais si ce remplaçant est Tremonti, le bras droit de Fini, la Ligue ne peut pas suivre, car Fini reste sur une ligne « nationale ». Berlusconi avait l’avantage d’équilibrer les deux courants. 

Pourquoi cet éclatement alors qu’en même temps on parle du développement du bi-partisme ? Le bi-partisme made in USA n’a rien à voir avec le nôtre. Aux Amériques il est celui de la domination d’un Empire, en Europe il est celui d’une marginalisation du politique. Ainsi la victoire de la gauche à Milan signifie la fin d’une alliance entre patronat et Berlusconi (il date de deux ans). Alors que la victoire de la gauche à Naples signifie le début d’une alliance entre les citoyens et le politique contre la Mafia. Toute la question est donc partout la même : comment le politique, de droite ou de gauche, peut-il relever la tête face au pouvoir économique sans chercher à refonder la démocratie ? Giuliano Pisapia établit un lien en ligne droite de la place Tahrir au Dôme de Milan. S’il s’agit d’évoquer des peuples en quête de pouvoirs, je suis d’accord ; s’il s’agit de masquer que derrière les peuples les forces économiques tiennent toujours en main le pouvoir en question, je suis inquiet. Pour le moment en Tunisie comme en Egypte personne ne sait qui va gagner les élections. Pour le moment en Espagne ou en Italie les défaites sont électorales (un coup pour la gauche, un coup pour la droite) sans qu’on sache comment la crise sera affrontée. Quel projet politique peut faire avancer un projet économique favorable au peuple ? Car, chacun le sait, il n’y a pas d’économie sans politique. Sur El Pais du 30 mai, Almudena Grandes commence son billet du lundi par une citation de Lénine : « La première obligation d’un révolutionnaire c’est de comprendre la réalité. » Pour l’Espagne, elle en déduit que la gauche ayant déjà perdu en 2012, elle doit repartir de zéro pour reconstruire un projet d’avenir avec autre chose que les analyses de 1870. Et je pense que la victoire de la gauche italienne ne la dispense pas de la même attitude comme celle de la gauche française en 2012. Sinon, les têtes vont changer mais comme dans une chasse à courre, les forces économiques vont conduire tout le monde dans le même réduit, celui de l’exploitation maximale du travail humain.
2-06-2011 Jean-Paul Damaggio

 


[i] Icônes de la loi, Christian Bourgeois, 1990 (traduit d’un livre de 1985)

Déclinaison de l’Europe, Editions de L’Eclat, (1996, traduit d’un livre de 1994 que j’ai aussi en version italienne ; Geo-philosofia dell’europa, Adelphi). Arnaud Spire s’était fait un plaisir de présenter le livre dans l’Humanité le 19 avril 1996. « Un franc-tireur de la pensée progressiste » dit-il.


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