La crise actuelle en Europe ne met-elle pas au grand jour l'aspect pour le moins paradoxal de la "construction européenne" ? L'imposition de la concurrence libre et non faussée à tous les pays signataires de Maastricht a entraîné leur désindustrialisation accélérée (génératrice de chômage de masse) et la chûte de tous les revenus à commencer par ceux du travail. Impactée aussi par cette politique l'Allemagne s'en sort mieux que les autres essentiellement du fait que l'euro ait été dès le départ indexé sur le deutsche mark. J'en profite pour relativiser l'exemple allemand dont on nous bassine. Le succès des exportations en Allemagne ne profite que très partiellement aux citoyens car les commentateurs omettent de préciser que les automobiles ou d'autres produits sont de plus en plus fabriqués dans des pays est-européens à bas coût de main d'oeuvre. Les grands bénéficiaires de ces exportations sont, bien entendu, les actionnaires.
A travers l'Acte Unique et le Traîté de Maastricht, le premier pas de la "construction européenne" consista, donc, à priver les Etats signataires des deux principaux outils d'une politique économique souveraine : la maîtrise de sa monnaie et la protection douanière. Bien d'autres mesures accompagnèrent depuis ce dispositif, tels que le démantèlement des monopoles publics et l'ouverture totale des frontières favorisant la mise en concurrence des salariés. Pendant un court moment, un semblant de relance fit illusion. L'abaissement généralisé du coût du travail et les privatisations dégagèrent momentanément de nouveaux marchés, beaucoup investissant dans ce que l'on nous présentait comme un nouvel eldorado : les services et les nouvelles technologies (« économie de l’immatériel »). On sait ce qu'il en advint. Tout cela se contracta très vite, en Europe d'abord de par la concurrence américaine (l'Etat fédéral soutenant les investisseurs en capital risque et leurs crédits faibles et de long terme), puis quand la bulle internet explosa. Des milliers de "startup" firent alors faillite dans le monde entier et singulièrement en Europe (dont l'Irlande, tigre de papier celtique dont les européistes faisaient grand cas). Sept ans plus tard, c'est la bulle immobilière qui explosait avec les conséquences que nous savons, particulièrement graves dans les pays qui s'étaient jetés à corps perdu dans ce secteur.
En vingt-cinq ans, l'Europe se retrouve exsangue au nom d'une idée : la supériorité de la mondialisation sur les Etats souverains. Ce que je reproche aux strauss-kahniens et à leurs semblables c'est de refuser de tirer aujourd'hui les leçons de l'échec de cette politique. On peut avoir cru de bonne foi dans "l'Europe" et dans le "village planétaire" de la mondialisation. Mais qui ne peut voir aujourd'hui que ces appareillages n'ont servi qu'une minorité : les marchés financiers ? Et l'idée qu'il fallait faire l'Europe au moins pour garantir la paix est définitivement battue en brèche par les crispations grandissantes nées de la concurrence libre et non faussée qui favorisent les mouvements populistes et extrémistes.
La construction européenne a ruiné les Etats et les strauss-kahniens nous proposent d'aller encore plus loin dans le projet pour nous relever. Car la faisabilité d'une harmonisation fiscale et d'un budget européen, surtout dans la situation de crise actuelle, n'est possible qu'à travers ce que nos strauss-kahniens appellent "plus d'intégration" et que Jean-Claude Trichet caractérise plus concrètement et plus franchement : un ministère des finances européen ou un droit de veto économique européen. En clair : un nouvel abandon de souveraineté aussi important que le fut le passage à l'euro. Pour nous guérir des conséquences de la construction européenne nous devrions lui donner encore plus de latitude.
La nuance entre ce point de vue des strauss-kahniens pur jus et celui de l'ensemble du PS était résumée ce matin sur France Inter par Pierre Moscovici : il faut continuer dans l'austérité mais en l’étalant davantage dans le temps que ne le fait Sarkozy. Voilà en quoi le PS se distingue de l'UMP. C'est pourquoi je n'en attends plus rien. Sans tomber dans le "tous pourris" et l'antipartisme, je ne vois plus guère aujourd'hui d'autre issue que dans la reprise en main de leur destin par les peuples eux-mêmes, partant de leurs propres besoins et avec les outils démocratiques qu'ils se choisissent, loin des chimères fédéralistes et mondialistes.
Pierre Delvaux , le 07 juin 2011
Il est temps en effet de faire le bilan. Je rejoins L'Islande est aussi un exemple significatif de la banqueroute de la mondialisation intéressant a étudier. Je rejoins sur les termes de votre analyse et votre conclusion sur les partis institutionnels.