Ainsi les choses commencent à se mettre en place. La succession de Hollande devrait se faire sans rupture de continuité autour de l’opération Macron. Tout cela n’a sans doute pas été combiné par avance, mais chacun retrouve sa place. Fillon a été suffisamment carbonisé, inutile d’en rajouter – il s’est carbonisé tout seul et nul doute que les officines de l’Élysée y ont joué leur rôle. Une partie de ses troupes n’a aucun envie de faire campagne pour lui. Une autre partie s’est radicalisée sur une ligne anti-Etat parfaitement absurde. Et surtout Fillon fait le plein des voix chez les retraités aisés et plutôt catholiques, ce qui aura du mal à faire un majorité.
Le ralliement de Bayrou à Macron ouvre la voie à l’élection d’un président qui assumera la continuité de la politique de Hollande et Valls, c’est-à-dire en mettant en œuvre une politique européiste, de déréglementation « libérale » et de soumission à l’Allemagne qui était celle de Sarkozy et que Hollande avait reprise en la badigeonnant un peu de rose… L’opération peut fonctionner. Elle dispose de puissants soutiens, ceux du patronat, non seulement le groupe BNP (Bergé-Niel-Pigasse) qui domine une partie des médias, non seulement Brahi, l’autre grand des médias, mais aussi Gattaz lui-même (mezzo voce) et ouvertement l’ex-chef du MEDEF, Laurence Parisot. Sans parler du ralliement encore discret de nombre de vieux barons de droite et de gauche.
Les pièces du puzzle s’assemblent assez bien. Ainsi le succès « inattendu » de Benoit Hamon à la primaire de la « BAP » (cache-sexe du PS) s’éclaire-t-il d’un nouveau jour. Valls candidat du PS aurait été un obstacle sérieux sur le chemin de Macron. L’Élysée a donc fait tout ce qui était en son pouvoir pour faire battre Valls afin de s’engager franchement demain ou dans deux semaines dans le soutien à Macron. Mon ami Vincent Présumey, les militants de D&S (le groupe de Gérard Filoche) et quelques autres pensent que Valls a été battu parce que les « masses » ont investi la primaire socialiste pour « dégager Valls » et la loi El Khomry. On se demande sur quels faits objectifs cette analyse a été construite. Elle n’explique d’ailleurs pas pourquoi c’est Hamon et non Montebourg qui a bénéficié de la mauvaise humeur des « masses » socialistes contre Valls. Les positions des Montebourg, quelques critiquables qu’elles fussent étaient clairement anti-UE et orientées vers la défense du travail. Hamon au contraire est parfaitement de la ligne européiste de Hollande et des chefs du PS. Il est bobo-compatible, ce qui n’était pas le cas du néo-chevènementisme de Montebourg. Revenu universel plus cannabis, ça c’est cool. Enfin Hamon a été un bon et fidèle ministre de Hollande et il a joué un rôle non négligeable dans la mise en place des contre-réformes de l’Éducation Nationale. Dans la stratégie d’organisation de la succession sans crise de Hollande, Hamon était l’homme adéquat à la juste place. Assez à gauche pour siphonner des voix à Mélenchon et suffisamment dans la ligne générale pour se rallier facilement à Macron au second tour. Il n’est pas candidat pour être élu mais pour racoler pour le vote Macron au second tour et prendre le PS en récompense de ses bons et loyaux services.
Le spectacle de ces manœuvres peut duper une large partie des citoyens pendant un bon moment. La représentation est d’ailleurs si réussie qu’elle reçoit le renfort de figurants bénévoles, les partisans de la « candidature unique de la gauche ». Mais si bon soit-il, le spectacle ne peut empêcher que se poursuivent les processus réels qui minent les fondements et de la Ve République et de l’Union Européenne. Personne ne peut affirmer que Marine Le Pen ne sera pas élue présidente en mai prochain et la crise serait alors une crise ouverte dont tout, y compris le pire, peut sortir. Si Fillon l’emportait, il serait un président par défaut et délégitimé dès avant son accession à la présidence et on se demande bien comment, sans coup de force, il pourrait passer son programme de purges massives. Si Macron l’emportait, du même coup serait jeté à terre le système droite-gauche sur lequel repose la stabilité toute relative des institutions bonapartistes de la Ve République. Dans tous les cas de figure, la question de la liquidation des institutions actuelles serait posée brutalement devant toute la nation.
Je suis assez frappé, Denis, de la disparition quasi totale de la dimension de crise, ainsi que de l'intervention des masses, dans ce dernier article de ta part. Tout serait donc manigancé d'en haut ? Allons donc ...
Valls aurait bien plus convenu que Hamon, non pas parce que Hamon est Hamon, mais parce qu'il est là à cause de la défaite de Valls, pour ouvrir la route à Macron. Mélenchon l'avait d'ailleurs bien compris ...
Il ne faut pas surinterprêter le fait que ce soit Hamon qui ait été investi plutôt que Montebourg. Ce dernier était beaucoup plus connu, à grande échelle, pour son rôle gouvernemental (jusque dans l'accession de Valls à Matignon). Hamon est évidemment l'héritier de Rocard et de Aubry, on est d'accord là dessus. Les courants "jeunes" anti-loi travail (UNEF et Caroline de Haas) ont aussi joué pour lui. Mais la primaire avait été conçue pour Hollande, puis pour Valls. Dire que tout a été tiré d'en haut serait faire une erreur analogue à ceux qui ont expliqué, outre-Atlantique, de Sanders était une créature de Clinton ... (ce qui n'implique aucun enjolivement de Valls).
Autre remarque : la quasi disparition du facteur de crise mal contrôlée de la situation réelle dans ton article te conduit à tenir pour pratiquement acquise, ici, l'élection de Macron (et tu réinserre d'ailleurs la perspective de la crise de régime en relation avec cette élection - certes, c'est possible qu'il en soit ainsi, cela dit cela n'ira pas vers une issue démocratique). Du coup la possibilité, tout à fait réelle et qui n'a rien à voir avec le fait de jouer à faire peur pour "voter utile", d'une élection de M. Le Pen semble écartée. Il est pourtant temps d'en examiner sérieusement l'éventualité, car Macron ne semble pas à même d'attirer le vote des couches "populaires" véritables de droite, de gauche ou d'ailleurs ...