En ce 1er janvier 2010 j’aurai bien aimé vous envoyer en direct des nouvelles de l’été chilien, mais je dois me contenter de quelques commentaires à la lecture du quotidien local : La Nacion.
Vous devinez que ma motivation tient au fait que tous les yeux sont braqués sur la date du 17 janvier, le deuxième tour de l’élection présidentielle et que depuis le premier tour les secousses politiques touchent presque tous les partis. Alors Frei ou Piñera ? Faut-il éviter le plus pire ?
Le sort de l’élection est entre les mains de l’électorat de MEO, (Marco Enríquez-Ominami) le candidat qui a fait 20% et a ainsi bousculé le face à face traditionnel imposé par la Constitution de Pinochet (voir mon article précédent). MEO a déclaré que les électeurs sont libres de leur vote et qu’en conséquence il ne donnait pas de consigne. Depuis, au sein de la Concertación qui présente Frei, il y a eu deux démissions de dirigeants de partis, mais pas pour les plus gros (PS et DC) qui préfèrent attendre le lendemain du second tour pour reconnaître leur défaite. Cette autocritique vise à faire reculer le risque d’abstention d’une partie de la gauche mais jusqu’à quel point ?
Autre secousse : Piñera a déjà récupéré deux piliers de l’équipe de MEO, son conseiller économique Paul Fontaine et un avocat Pedro Anguita. Ils pensent récupérer un quart de l’électorat de MEO ce qui peut suffire pour accéder à la victoire. Ces transfuges n’étonnent personne puisque le dit Paul Fontaine était depuis longtemps un ami de la famille Piñera dont il fut l’employé. Paul Fontaine vient de rappeler que déjà son père Ernesto était un ami de la famille en tant que professeur de José Piñera le frère du candidat actuel, et ancien ministre du travail de Pinochet. Bref, le 21 décembre 2009 autour d’un café pris dans le Starbucks d’Isidora Goyenechea le pacte entre les deux dirigeants a été signé. Mais alors que faisait-il dans l’équipe de MEO ? Frei qui veut se placer au-dessus des partis, espère que le réflexe anti-droite va d’autant mieux jouer et rassembler autour de lui assez d’électeurs et d’électrices pour créer la surprise du second tour.
Les victimes seraient-ils coupables ?
Là où l’argumentation des défenseurs de Frei me semble poser problème c’est quand, par avance, ils accusent les abstentionnistes de gauche du risque de défaite de leur candidat. En ne donnant pas de consigne MEO fait-il le jeu de la droite ? Etrange question de la part de gens de « gauche » qui depuis presque vingt ans, au quotidien et en étant au pouvoir, font le jeu de la droite ! Ils refusent de comprendre que le mouvement de MEO, dans son ambigüité, tente d’inventer un rapport non clientéliste à la politique. Ce membre du PS jusqu’il y a peu de temps encore, et dont Michelle Bachelet dit qu’il est en fait beaucoup plus proche de Frei que de Piñera, aurait pu aller demander un poste de ministre à Frei dans le cadre de négociations classiques d’entre deux tours, mais n’étant pas propriétaire d’un électorat, il préfère s’activer, par un nouveau voyage à travers le pays, un rare voyage d’après campagne, pour la construction d’une autre force politique. Les amis de Frei pensent que son refus de position le réduit à un animal politique mort alors que si Frei perd c’est dans son camp que les morts politiques vont se compter par milliers ! Une fois de plus il faudrait que les victimes de la politique des classes dominantes se culpabilisent, et il faudrait que les partis de gauche apportent de l’eau au moulin de cette culpabilisation en disant : votez pour le moins pire et ensuite nous le combattrons (ce que fait l’autre candidat de gauche Arrate). Après Berlusconi et Sarkozy nous avons là un autre exemple de piège tendu aux forces démocratiques : vite allons au moindre mal. Il est évident aujourd’hui qu’avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler les divisions de la gauche furent criminelles mais criminelles de la part de qui ? Il faut mesurer les différences de situation : Berlusconi a déjà été battu deux fois dans des élections, pas Hitler.
Frei fait de nouvelles promesses
Eduardo Frei ayant déjà été président qui peut croire ses nouvelles promesses ? En remerciant MEO d’avoir réussi à participer à l’élection, car sans lui Piñera aurait sans doute été élu au premier tour, il ferait mieux que des promesses, mais un candidat indépendant, ça dérange. Chacun attend à présent des surprises de dernière minute qui pourraient seules empêcher le retour d’un pinochetiste à la tête du Chili avec les conséquences pour tout le continent. Mais les moyens d’information de masse sont aux mains de Piñera puisque pendant vingt ans les seuls succès de la Concertación sur ce point furent la fermeture de journaux de gauche ! Le débat fait rage et son résultat fera école. L’électorat de droite a toujours été puissant au Chili, c’est la division à gauche qui est nouvelle. Le président de l’OEA, Insulza, est un Chilien socialiste qui avait pensé que sa destinée internationale lui servirait à accéder à la présidence mais les tractations internes l’éliminèrent. Tout un édifice est en jeu le 17 janvier. A suivre.
2-1-2010 Jean-Paul Damaggio