Premier point : la république. Pierre Delvaux se prononce pour « gouvernement de restauration de l’unité républicaine ». J’avoue ne pas très bien saisir ce que pourrait être un gouvernement de restauration de l’unité républicaine. S’il s’agit de revenir sur toutes ces lois qui font que la loi n’est plus la même pour tous, il va de soi qu’on ne peut être que pour « l’unité républicaine ». Mais autrement je ne vois pas beaucoup de sens à cette formule. Car nous sommes confrontés à une question décisive : le lexique républicain est redevenu dominant dans le discours politique, mais le plus souvent il ne s’agit que d’un habillage de « la loi et l’ordre », c’est-à-dire le retour en force de l’autoritarisme bonapartiste paré des couleurs de la république. Un exemple : la société SFR (un de ces parasites qui vivent de la destruction du service public des télécommunications) attaque le syndicat SUD en mettant en cause sa représentativité au motif que SUD « ne reconnaît pas les valeurs républicaines » car SUD prône « la négation de l’employeur et de la liberté d’entreprendre» ! Or SFR fonde sa plainte contre le syndicat sur la loi de 2008 qui modifie les critères de représentativité. Les règles de représentativité syndicale doivent en effet respecter plusieurs critères dont le premier (loi du 30 août 2008) est désormais « le respect des valeurs républicaines ». Cette loi, résultat d’un accord entre Sarkozy, Thibault et Chérèque, n’a pas d’autre but que de liquider tous les syndicats qui ne voudraient pas systématiquement servir la soupe au pouvoir... On a déjà vu la mise en œuvre de ces principes à l‘éducation nationale : le ministre ne voulait recevoir que les syndicats signataires d’un préaccord sur le « constat partagé ». Autrement dit, les bons syndicats, vraiment républicains, sont ceux qui partagent les vues du pouvoir.
Bref dès qu’on avance un peu, on s’aperçoit que « la république », ça veut dire beaucoup de choses plutôt contradictoires. Pour les « républicains » de droite, du centre et pour une bonne partie de ceux du PS, la république inclut la libre entreprise et la propriété capitaliste. Mais pour les républicains de Force Ouvrière, par exemple, elle inclut « l’abolition du salariat et du patronat » qui figure dans la Charte d’Amiens qui reste le texte fondateur de cette confédération... Comment faire l’unité républicaine de ceux qui sont pour la libre entreprise et de ceux qui sont pour l’abolition du salariat et du patronat ?
On pourrait évoquer le précédent du Conseil National de la Résistance, où droite et gauche se sont entendues sur un programme républicain social. Mais c’était précisément une époque où même une partie de la droite (les gaullistes, les démocrates chrétiens) était convaincue que la restauration du pays nécessitait que soient portés des coups à la propriété capitaliste et que soit instauré un État social. C’est pourquoi d’ailleurs l’article I de la constitution française affirme encore que la république française est laïque, démocratique et sociale.
Donc si restauration de l’unité républicaine il y a, celle-ci doit être laïque, démocratique et sociale ! On ne peut, cependant, se contenter de ces formules. J’ai eu l’occasion de montrer, dans Revive la République (A. Colin, 2005), comment on pouvait faire le lien entre républicanisme et revendications sociales. Dans cet ouvrage je me proposais de « définir ce que nous pourrions appeler – en dépit des risques de confusion avec les querelles politiques en cours et des appellations historiques contrôlées – un nouveau consensus que l'on pourrait appeler radical-socialiste. Ses bases seraient celles d’un accord entre le républicanisme et le socialisme, un républicanisme reformulé à partir de l’expérience du siècle écoulé et des acquis de la philosophie politique – pensons en particulier au libéralisme politique de Rawls ou au républicanisme de Skinner et Pettit – et un socialisme raisonnable capable de tirer les leçons d’une histoire douloureuse, dans laquelle le bilan reste encore à faire, tant est-il qu’on a souvent jeté le bébé avec l’eau sale du bain. » Je ne peux que renvoyer aux propositions détaillées que j’avais faites dans cet ouvrage en vue de donner un contenu concret a cet accord républicaniste/socialiste.
Il ne s’agit pas de faire de « l’expropriation des expropriateurs » la condition d’un accord politique. Mais il me semble difficile de garantir les conditions de vie des « foyers français » sans mettre un grand coup sur la tête de la « liberté d’entreprendre ». Tu dis qu’il faut un vrai travail et un vrai salaire pour tous. C’est excellent. Mais cela suppose qu’on mette un coup d’arrêt aux délocalisations et qu’on protège le marché intérieur par des barrières douanières ou autres, toutes choses qui se heurtent violemment aux intérêts des « républicains » partisans de la libre entreprise. Et on peut continuer ainsi dans tous les domaines.
Donc, il faut garder en tête l’idée que la seule vraie république est la sociale ! C’est d’ailleurs l’intitulé de notre site et ce n’est pas par hasard. Et donc lié les revendications sociales concernant les salaires et les droits sociaux aux revendications républicaines. S’il y a un espoir de régénérescence républicaine dans ce pays, c’est des luttes sociales qu’il viendra et pas d’un accord entre partis.
Deuxième point : l’Europe. Pierre Delvaux affirme qu’il faut une rupture franche : « Il m’apparaît indispensable d’en finir totalement avec l’U.E. pour faire le pas historique de progrès auquel nous aspirons. Non seulement je crois que rien n’est à sauver de cet ensemble mais je crois aussi que toute persistance institutionnelle d’une de ses parties constituerait un obstacle à la mise en œuvre d’une véritable alternative. » Mais il ajoute, un peu plus loin : « il me paraît tout aussi évident que la rupture avec ce système ne se décrète pas dans son entièreté du jour au lendemain, surtout si, au départ, elle n’est le fait que d’un seul pays. Par parenthèse théorique, la philosophie qui en découle est que pour parvenir à un objectif révolutionnaire de fait par rapport au présent, la meilleure méthode est celle de la réforme, celle de l’exercice gouvernemental. » Moi aussi, je me suis souvent défini comme un réformiste en matière européenne et donc j’adhère assez volontiers à la deuxième partie des propositions de Pierre Delvaux. Mais du coup, je ne vois plus bien ce que signifier la première, pratiquement. Pierre Delvaux n’est pas d’accord avec Andréani en théorie mais en pratique il se peut qu’il ne dise quelque chose de différents des propositions d’Andréani.
Il me semble cependant nécessaire de fait l’état exact de la situation – l’analyse concrète de la situation concrète – faute de quoi nous pourrions bien nous retrouver avec des formules creuses demain. Par exemple, nous pouvons discuter à perte de vue pour savoir si on pourrait faire de l’euro une bonne chose ou si, au contraire, c’était un projet irrémédiablement mauvais. Chevènement, avant l’entrée dans l’euro, s’était prononcé pour une monnaie commune et contre une monnaie unique. J’avais fait campagne avec le MDC et le PCF à l’époque sur ce thème, et je crois que cela reste une bonne idée, même si le fait d’avoir deux monnaies en cours en même temps nous semble étrange, il faut rappeler que c’est la situation de beaucoup de pays et qu’historiquement ce genre d’arrangements dans la gestion de la monnaie a longtemps prévalu. Mais il est bien possible – tout dépendra de la situation économique – que cette question soit tranchée par l’histoire, par exemple si la Grèce était contrainte de sortir de la zone euro, auquel cas nous pourrions bien en venir à un double système, des monnaies nationales et une monnaie commune, le cours des monnaies nationales en euro étant révisable en cas de nécessité.
En ce qui concerne les questions plus générales, nous avons pu voir, et je l’ai souligné dans quelques articles, combien l’évolution de l’UE était aujourd’hui très chaotique. Derrière les grandes déclarations, chaque gouvernement joue son propre jeu. Plus que jamais les Allemands jouent « perso » et sont décidés à sauver leur place comme pays exportateur en faisant payer la note par leurs partenaires. Sarkozy n’est pas le dernier dans ce chacun pour soi – et on a vu comment l’Europe s’est trouvée aux abonnés absents à Copenhague. Berlusconi joue lui aussi sa propre carte – car il n’est pas seulement le clown qu’on nous présente complaisamment dans les médias français. Et ainsi de suite. L'Union Européenne ne fonctionne réellement que tant que les gouvernements sont d’accord. En cas de désaccord, elle n’existe plus et ses règlements se révèlent des chiffons de papier. On avait gravé dans le marbre maastrichtien la limitation des déficits publics à 3% et tout cela a volé en éclat dans les premières semaines de la crise. Il me semble que le problème principal n’est pas de mettre en cause le carcan de l’UE mais la soumission volontaire de notre gouvernement à des règles européennes qui n’existent que parce que NOTRE gouvernement les demande. En bon vieux léniniste – si j’ose dire ! – je m’en tiens au principe: « l’ennemi est dans notre pays ». L’ennemi principal n’est pas à Bruxelles mais à Paris. Bruxelles n’est qu’un épouvantail agité par les gouvernements français, allemands, anglais, etc., pour justifier la politique qu’ils mènent en toute conscience parce que c’est leur propre politique. La privatisation des services publics, c’est le gouvernement français qui en est le responsable, pas Bruxelles. La privatisation des autoroutes, celle de l’énergie, et l’entrée des mutuelles dans le système de la concurrence, c’est notre gouvernement qui en est responsable, et, en l’occurrence c’est le gouvernement de Jospin dans lequel siégeaient des ministres PCF et Mélenchon !
Nous sommes toujours aussi souverains d’avant les traités européens – car les traités eux-mêmes sont un acte de souveraineté. Le problème, c’est que le représentant du peuple souverain utilise le mandat qui lui a été confié pour asservir le peuple. Rêvons quelques minutes – comme c’est bientôt la nouvelle année, c’est le moment adéquat. Supposons qu’un gouvernement vraiment républicain et social arrive au pouvoir le 1er janvier 2010 au matin. Ce gouvernement pourrait immédiatement arrêter le processus de privatisation de la poste sans que Bruxelles, ni Merkel, ni Brown puissent y trouver à redire. Il ne serait nullement nécessaire de dire « nous dénonçons immédiatement le traité de Maastricht ». Il suffirait de dire: « nous gardons la poste comme service public et d’ailleurs nous reconstituons une ministère des PTT » et personne ne nous enverrait de troupes pour nous faire obéir aux « diktats » de Bruxelles. De même nous pourrions dire très simplement à nos amis européens : « soit on rétablit un tarif européen unique pour protéger l’Europe de la concurrence déloyale de la Chine, par exemple, et ce n’est que l’application d’une règle européenne, soit nous allons le faire nous-mêmes. À vous de choisir ! » Cela ouvrirait une crise. Mais l’Allemagne, dont le premier partenaire est la France, changerait assez vite de ton si elle avait en face d’elle un gouvernement décidé à mettre fin au double jeu de Mme Merkel, européiste enragée sur le dos des autres européens.
Donc, tout bien pesé, il me semble que le problème n’est pas l’UE en tant que telle, car elle n’est qu’un colosse de papier doté d’un budget ridicule dont la plus grande part va à l’agriculture – ce que les Anglais qui ont exterminé depuis longtemps leurs propres paysans lui reprochent assez. Le problème, c’est le gouvernement, et pour chaque pays d’Europe, c’est son gouvernement. Le président de l’UE, un personnage sans la moindre importance et dont tout le monde ignore le nom n’est qu’un fantoche. Sarkozy et Merkel incarnent des pouvoirs réels. Il me semble donc préférable de concentrer les objectifs politiques là et même des citoyens qui espèrent « une autre Europe » pourraient s’accorder avec le « souverainistes » sur les objectifs politiques nationaux et le type de relation avec les autres pays européens que nous proposons.
DC. 30/12/2009
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Merci Denis pour cette riche réponse qui nous permet d'avancer.
D'abord sur l'objectif politique que nous pourrions partager. Ce que j'essaie de développer depuis quelque temps c'est que face au degré de destruction de la politique sarkozienne, l'urgence est d'enrayer ce processus pour, au minimum, revenir aux grands équilibres des trente glorieuses (toute comparaison gardée dans un contexte historique très différent...). Il ne s'agit donc pas de poser les bases de ce que tu appelles "radical-socialisme" (à quoi je crois pouvoir adhérer). Mon ambition du moment est plus modeste. Elle ne remet pas en cause la liberté d'entreprendre mais son omnipotence ("la concurrence libre et non faussée"). Sur cette base, je crois qu'il est possible de s'allier avec des républicains du centre et même de droite. Face aux ravages de la mondialisation dans leurs circonscriptions, beaucoup ont été amenés à revoir leurs positions libérales traditionnelles. Cela nous relie à la question européenne car, là aussi, la crise économique a ébranlé beaucoup de certitudes européistes. Elle a relancé de manière spectaculaire les tiraillements entre Etats, décomplexant beaucoup d'élus par rapport à la machinerie supranationale. Ma position là-dessus par rapport à celle de l'ami Andreani n'est pas contradictoire mais différente dans sa conclusion. Nous nous accordons sur un recouvrement de souveraineté progressif par une succession de réformes mais il semble demeurer attaché à une union européenne et, dans ce sens, vouloir conserver des lambeaux de celle-ci. Je suis, pour ma part, partisan d'une totale remise à plat en Europe à l'issue de cette série de réformes. Pour des raisons qui m'échappent un peu, tu sembles toi aussi chagriné par l'idée de voir s'éteindre totalement cette union européenne et je ne vois pas pourquoi on n'attaquerait pas de front Sarkozy et les institutions européennes. S'il est incontestable que le premier fait lui-même le choix de soumettre la France aux injonctions des deuxièmes (avec, certes, quelques bémols), il me semble primordial de dénoncer le caractère antidémocratique et l'omnipotence de la BCE et de la Commission Européenne. L'U.E. est le dieu sacré au nom duquel Sarkozy et Merkel mènent leur politique. Il n'est pas anodin qu'on demande ainsi aux peuples de se soumettre à une identité immanente ! Par ailleurs, sauf à en rester sur un plan purement juridique,on ne peut pas raisonnablement dire comme tu le fais que les traités eux-mêmes sont un acte de souveraineté vu comment on nous les a fait avaler ! Après cette forfaiture qui est restée en travers de la gorge de l'immense majorité de nos concitoyens, tous comprennent très bien que la remise en cause de leurs droits fondamentaux provient de la politique de Sarkozy qui s'inscrit elle-même dans celle de l'Union Européenne. Sarkozy est l'exécuteur d'un projet politique antidémocratique et antisocial. On ne peut combattre l'exécuteur sans s'opposer à ses inspirateurs. C'est ce qui se passe actuellement en Iran.
Parce que je suis sûr que cette vision est majoritairement partagée dans le pays, je crois à la possibilité de mettre en échec Sarkozy par une alliance républicaine comme on en a déjà vu dans notre histoire. Pas pour réaliser le socialisme mais pour vivre mieux et plus libres.