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Une vie décente pour tous

Manifeste pour un XXIe siècle plus heureux (I)

Par la-sociale • Débat • Lundi 09/07/2018 • 0 commentaires  • Lu 2426 fois • Version imprimable


Nous republions ici, partie par partie, les différents chapitres du Manifeste pour un XXIe siècle plus heureux rédigé par la rédaction de dans la perspective de la présidentielle. Ce Manifeste n'a rien perdu de son actualité et mérite d'être porté à la connaissance de tous nos lecteurs. Il en existe une version en forme de brochure qui peut être commandée directement à la rédaction.

L’urgence des besoins immédiats est celle qui tiraille quiconque prend le temps de réfléchir un peu à la situation que nous vivons quotidiennement. Dans tous les camps politiques, il est fréquent d’évoquer l’existence de 9 millions de pauvres en France, comme s’il s’agissait d’une fatalité déplorable dont l’origine serait mystérieuse, inscrite dans l’ordre des choses. Ainsi, nous n’y pourrions rien. Nous préférons quant à nous parler de 9 millions de travailleurs pauvres, car la pauvreté a une cause originelle, la relation au travail. Elle n’est pas le produit d’un choix délibéré. Précarité, emplois à temps partiel, emplois sous-payés, surexploitation, chômage : la pauvreté a une cause inscrite dans l’organisation économique et sociale de la société, dans les rapports sociaux.

 

Près de 9 millions de travailleurs pauvres en France, un nombre incalculable de nos concitoyens en situation de grande précarité pour se nourrir, se loger, se soigner, se vêtir, garantir l’éducation de leurs enfants… pour vivre tout simplement. Or se nourrir, se loger, se soigner, se vêtir, garantir l’éducation des enfants, et ce sans distinction de conditions sociales, c'est le premier et le plus vital des besoins sociaux. Ces besoins immédiats, les plus urgents, nécessitent dans l’urgence que la communauté politique soit apte à venir au secours de chacun. Il s’agit là d’une solidarité minimale entre citoyens qui vivent autour de règles communes dans un espace commun, que d’avoir le minimum d’engagements réciproques.

Or c’est précisément à rebours de cette dynamique solidaire essentielle que s’inscrit aujourd’hui la France. Il n’est qu’à voir ce qui se trame sur ces éléments centraux de la protection sociale nationale que sont la sécurité sociale ou les retraites. La Sécurité Sociale est pourtant l’héritière des premières sociétés de secours mutuel. Son périmètre ne doit pas être rétréci au profit d’un système d’assurances privées, mais bien étendu. Chacun cotise selon ses capacités et chacun reçoit selon ses besoins. Quel autre principe pourrait être juste dans la protection contre la maladie ? Qu’est-ce qui s’opposerait à cela ? Rien. Les États-Unis avec le système d’assurances privées dépensent par habitant 50 % de plus que les Français … pour un résultat catastrophique pour les moins bien nantis. Chaque année les chiffres indiquent que des millions d’américains, en « délicatesse » avec leur banque et leur carte de crédit ne peuvent accéder aux soins.

La retraite est quant à elle du salaire différé. Tout salarié reçoit en effet un salaire direct dont il dispose directement, et un salaire indirect, socialisé. D’ailleurs les patrons qui font entrer dans les « charges salariales » les cotisations sociales le savent bien. Pour eux, c’est bien du salaire. Tout nouveau recul sur les droits à la retraite est en réalité une nouvelle baisse de salaire, plus facile à imposer car plus discrète que ne le serait la baisse du salaire direct touché en fin de mois. Les réformes de la retraite (Balladur, Fillon, Ayrault et autres) ne sont qu’un hold-up sur les salaires au profit du capital. L’abrogation de ces réformes est une exigence. On nous demandera: « qui va payer ? » et on ajoutera aussi sec : « l’espérance de vie augmentant, il faut bien travailler plus longtemps ». À la première question on peut répondre facilement : rependre dans la poche des capitalistes ce qu’ils ont volé aux salariés depuis quarante ans et revenir au partage salaire/plus-value qui prévalait dans les années 70 résoudrait déjà une bonne partie du problème. Selon les chiffres officiels, ce sont entre 8 et 10% de la richesse créée qui a basculé du travail vers le capital depuis le début des années 80. En ce qui concerne la deuxième question : d’une part, la dégradation des conditions de vie des travailleurs commence à se faire sentir sur l’espérance de vie. D’autre part, dès lors que le travail n’est plus harassant, que la durée quotidienne et hebdomadaire du travail est drastiquement diminuée, beaucoup de travailleurs voudront sans doute continuer de travailler bien au-delà de 60 ans sur la base du volontariat et éventuellement d’horaires spécifiques. Cela n’a rien d’une vision idyllique. Déjà aujourd’hui deux retraités sur trois cherchent à agir bénévolement dans des associations. Que le travail devienne un objet non subi mais choisi, et des millions chercheront à y trouver le sens d’une vie destinée au bien-être collectif.

Si nous vivons ensemble, partageons les charges de cette vie commune, c’est aussi parce qu’il y a des biens communs qui incarnent cette communauté. L’école publique et le patrimoine culturel de la nation sont des richesses également partageables entre tous. Et il y a aussi ces biens communs de premières nécessités que sont l’eau, l’électricité, l’assainissement, les transports publics ou encore tout ce qui permet de se protéger des nuisances – lutte contre la pollution, etc. – tout cela doit être, rester ou revenir dans la sphère du contrôle politique des citoyens. Ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est donc pas la privatisation des services publics, mais bien leur mise en commun, par exemple par la nationalisation ou leur renationalisation.

Cet « environnement » (protection sociale, éducation gratuite, services publics) sont des éléments indispensables d’une vie bonne, d’une vie dans laquelle on peut disposer d’une certaine sécurité, d’une garantie contre les aléas de l’existence. Ce sont de plus les éléments incontournables pour combattre les injustices insupportables qui frappent toujours plus des millions de nos compatriotes. L’abandon des services publics et de la protection sociale mutuelle au contraire défont le lien social. Un seul exemple suffit : dans la retraite par capitalisation (modèle qu’on veut nous imposer) chacun ne cotise que pour lui-même ; dans la retraite par répartition, chacun cotise pour ses aînés, certain que, son tour de retraite venu, d’autres plus jeunes cotiseront pour lui. On le voit : les choix en ce domaine ne sont pas budgétaires et techniques mais bien politiques et moraux ! On nous objectera que la retraite par répartition va très vite devenir impossible vu le nombre de chômeurs et le déficit de cotisations. Cela revient à considérer le chômage comme une fatalité alors qu’il n’est que le produit d’une organisation délibérée de la société. Outre le dumping social, la baisse des rémunérations, l’organisation de la concurrence mortifère au sein du monde du travail, le chômage organisé et entretenu sert les intérêts privés incarnés par les fonds de pension, fonds financiers, ou autres grandes compagnies d’assurance.

Et c’est précisément cette dimension humaine fondamentale du choix de société que nous voulons pour l’avenir, qui tend à être évacuée par ceux qui détiennent les rênes du pouvoir avec des vues de plus en plus conformes à leur intérêt particulier comme de si nombreux exemples en témoignent. L’idéologie qu’ils déploient, des ministères jusque dans les salles de presse, a été parfaitement résumée par l’ancien vice-président du Medef, Denis Kessler, en octobre 2007 dans le journal Challenges :

« Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde !

Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. (…) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Il faut bien lire et relire cet extrait d’un immense cynisme. Non seulement, ce qui s’appliquait à l’époque pour les gouvernements Sarkozy, s’applique identiquement pour les gouvernements Hollande. Mais encore et surtout, tout est dit de la volonté délibérée de détruire ce qui a été le cœur de notre reconstruction républicaine au lendemain de la seconde guerre mondiale, au motif que trop de réformes « partageuses » auraient alors été mises en œuvre. Il ne s’agit de rien d’autre que de reprendre au peuple ses droits sociaux fondamentaux et briser son aspiration démocratique essentielle. En termes plus clairs, il s’agit de nous empêcher de vivre dignement, en nous mettant tous en compétition les uns avec les autres.

Nous sommes à la croisée des chemins. La destruction des services publics, réduits en de nombreux points du territoire à leur portion congrue (fermeture d’hôpitaux de proximité, de bureaux de postes, de classes, de gendarmeries, de lignes de transport…), crée des citoyens de catégories inférieures qui n’ont plus les mêmes droits sur le territoire national. C’est la communauté nationale qui est atteinte, menacée de dislocation et d’explosion par une politique constante qui sous les gouvernements successifs, de « droite » comme de « gauche », relaie la volonté marchande, lorsqu’ils ne la devancent pas, des institutions supranationales au service du capitalisme financier, l’Union Européenne, la Banque centrale européenne ou encore le FMI. C’est le territoire lui-même, c’est-à-dire ses habitants et leur coexistence, qui se trouvent mis en danger. C’est ce mouvement qu’il s’agit non seulement de stopper mais d’inverser radicalement. Les citoyens qui y ont intérêt et qui peuvent s’y employer constituent une immense majorité dans notre pays.

Il ne s’agit pas de construire un monde utopique où il suffirait de cueillir les fruits généreusement offerts par on ne sait qui. Il s’agit simplement d’assurer une vie commune décente, dans laquelle chacun peut préserver et développer une vie décente, digne d’être vécue et où chacun est appelé à remplir ses devoirs sociaux et à faire valoir son mérite.

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