Mais la réalité est toute autre. La crise passée risque bien de n’avoir été qu’une répétition générale de cataclysmes à venir, que les économistes, pourtant peu habitués à reprendre des thèses subversives, s’accordent à prévoir[1].
La spéculation encore et toujours
Nous savons que les banques centrales et les états ont déversé depuis une année des centaines de milliards de dollars pour éviter le naufrage des banques et du secteur automobile. Ce qui était impossible pour les dépenses sociales sur lesquelles est régulièrement demandé un effort supplémentaire aux millions de citoyennes et citoyens, avant d’annoncer la liquidation de leurs acquis, retraites ou sécurité sociale en tête, était soudain réalisable du jour au lendemain.
Alors que les banques ont ainsi pu éponger une bonne partie de leur dette, les spéculateurs ont en même temps trouvé les moyens de repartir comme si rien ne s’était passé sur le terrain de la spéculation. Depuis six mois, « tout monte » constate Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez Natixis. Marchés boursiers, marchés obligataires, notamment sur les emprunts d’état, prix des matières premières flambent.
Ces hausses sont déconnectées de la réalité économique. A Shanghai par exemple, la bourse a progressé de 63% depuis le 1er janvier 2009. Patrick Artus constate qu’ « à la bourse de Taïwan, les valeurs des actions représentent 100 fois les bénéfices des sociétés, 90 fois en Australie contre 13 fois à la bourse de Paris ».
On retrouve dans ces chiffres les conséquences directes des soi-disant remèdes apportés pour combattre la crise il y a un an, en faisant tourner la planche à billet, en ouvrant les vannes du crédit avec des taux d’intérêt proches de zéro, en reprenant une partie des titres toxiques pour alléger les comptes des banques et soulager les établissements bancaires.
Les tas de billets qui ont été déversés permettent aujourd'hui aux banques qui hier étaient sur le point de déposer le bilan d'afficher des résultats "exceptionnels". Les profits sont là, comme si jamais la crise n'avait existé. Et les bonifications pour les traders et autres actionnaires sont au rendez-vous, évidemment.
Les bulles sauteuses
A l’heure du « grand emprunt », les chiffres donnent le tournis. Les Etats dans leur ensemble se sont endettés en empruntant sur le marché « des montagnes de dettes ». Selon les économistes de Barclays, il s’émettra en 2009 pour 1300 milliards de dollars, soit 875 milliards d’euros, de bons du trésor américains et quelques 900 milliards de dollars de titres d’emprunts en Europe.
Selon Patrick Artus, « la liquidité mondiale n’a jamais progressé aussi vite ». Il indique que de 1990 à 2007 la monnaie en circulation, estimée sur la base des bilans des banques centrales, progressait de 15% par an en moyenne. Aujourd’hui le rythme est de plus de 30% ». Il ajoute que « en 1990 la base monétaire représentait 4% du PIB mondial » et qu’aujourd’hui « c’est 21% ».
C’est ainsi que ce qui se dessine prend l’allure de « bulles sauteuses ». Ces montagnes d’argent doivent être investis pour dégager plus d’argent encore. Telle est la loi du capitalisme. Ainsi, les investisseurs se portent sur les marchés immobiliers, sur celui des matières premières, sur celui des actions ou des obligations notamment « souveraines », c'est-à-dire émises par les états, car jugées moins risquées.
Les remèdes apportés pour sauver le capitalisme du capitalisme lui-même portent donc en germe les maux censés être combattus, décuplés par rapport à ce qu’ils ont déjà fait connaître à la planète. Le libéral économiste et historien, Nicolas Baverez, dans le monde en date du 30 octobre, évoque « une reprise insoutenable ». « L’on réédite les erreurs commises en 2001 en reconstituant deux bulles spéculatives, sur les marchés d’action et de dettes des Etats ».
Mais pour aller au bout, s’il s’agit de bulles explosives concernant la dette des états, c’est bien une déflagration sans commune mesure avec ce qui s’est produit dans la dernière année qui se trouve devant nous. Imaginons en effet, pour percevoir ce qui se dessine, des Etats en cessation de paiement comme certaines institutions financières l’ont été.
Comment se fait-il que si peu de temps après l’explosion de 2008 les germes de la crise reviennent avec une telle puissance ? Contrairement aux propos sur la réforme éventuelle du capitalisme qui mélange morale et idéologie, c’est le capitalisme lui-même qui porte en lui l’orage. Ainsi, l’économiste Daniel Cohen, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, constate « qu’on vit dans un monde producteur de liquidités ». Les responsabilités attribuées à la politique monétaire de taux très bas attribuée à Alan Greenspan après l’éclatement de la bulle internet cachent en partie les véritables causes qui se trouvent dans l’économie elle-même. Le premier facteur que souligne Daniel Cohen pour expliquer l’excès d’argent est lié à « l’émergence de pays dont la balance des paiements est structurellement excédentaire, comme la Chine, qui inonde la planète de liquidités ». Le second facteur relève de pays producteur de matières premières qui sont « transformées à 95% en produits financiers ».
C’est donc l’ordre mondial capitaliste qui se trouve être au cœur des responsabilités des crises à répétition que subissent au premier titre, et de façon durable, les salariés, employés, ouvriers, travailleurs de la planète. Et dont devraient bénéficier les plus fortunés. L’endettement mérite d’ailleurs à ce sujet le détour. Car ceux qui prêtent s’enrichiront dans le temps sur le dos de ceux qui devront rembourser, à savoir la grande masse des contribuables qui ne bénéficient d’aucun bouclier permettant de se protéger.
Cynisme ou ignorance
Cette réalité conduit à revenir sur les inquiétudes du monde politique et économique qui frisaient dans les mois derniers le cynisme ou l’ignorance. L’intelligentsia s’étonnait en effet de l’absence de crédits apportés par les banques aux entreprises dans le besoin, notamment pour sauver les emplois. Cette interrogation, dans le droit fil du débat sur la moralisation du capitalisme, revient à nier la nature même des rapports sociaux capitalistes qui ne peuvent engendrer que crises au détriment du plus grand nombre.
De même, concomitamment, on entend les instances gouvernementales ou supra nationales s’étonner d’émeutes de la faim, ou demander des programmes pour y faire face. Mais là encore, la substitution de la morale et des bons sentiments affichés ne peut rien face à un système qui porte la responsabilité des famines sur la planète. La flambée des cours des matières premières –sucre ou céréales par exemple- n’est souvent que la conséquence de plusieurs facteurs, dont un des principaux est la spéculation consciente dans le seul but du profit[2].
Dans ce contexte, le débat se mène pour savoir s’il faudrait durcir les politiques monétaires afin de « vider » le monde de liquidités trop importantes, mais au risque de casser le début de reprise. Ou de laisser en faisant mine d’ignorer les nouvelles bulles qui grossissent au point d’exploser. Débat délicat qui incarne l’impasse dans lequel nous cantonne le système capitaliste.
Jacques Cotta
Le 7 novembre 2009
[1] On verra sur ce sujet le supplément économique du Monde en date du 3 novembre 2009.
[2] Voir « Riches et presque décomplexés » Fayard, 2008.
On est toujours sur la même ligne : "ajustements" qui font tomber les plus faibles. Donc les inégalités vont se creuser, au bénéficie des prédateurs. Le tout est de savoir si les classes moyennes seront touchées et à quel niveau. (www.citoyenreferent.fr)