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Un an après l’explosion de la crise économique et financière, si le pire était devant nous !

Ou lorsque une brochette d'économistes qui ont pignon sur rue tirent entre les lignes le signal d'alarme...

Par Jacques Cotta • Actualités • Lundi 09/11/2009 • 5 commentaires  • Lu 2901 fois • Version imprimable


Un an après l’explosion de la crise économique et financière aux Etats-Unis et sa propagation à l’économie du monde entier, les discours qui se veulent apaisants vont bon train. Après le président Nicolas Sarkozy qui eut l’occasion de devenir le meilleur de tous les alter mondialistes, préconisant la chasse aux paradis fiscaux ou aux bonus excessifs, découvrant les "parachutes dorés" ou "retraites chapeaux", désignant les traders, ces fonctionnaires du système capitaliste, à la vindicte populaire, se prononçant pour une réforme du capitalisme, nous serions enfin sortis de la spirale et l’économie repartie sur de bonnes bases.

Outre son caractère fallacieux, ce discours a quelque chose d’indécent. Il propose en effet de passer bien peu de temps après les faits par pertes et profits les millions de victimes qui à travers le monde ont tout perdu, emploi, travail, salaire, et logement. Oubliées les centaines de milliards évanouies. Oubliées les entreprises liquidées. Oubliés les moyens de production détruits. Oubliée la misère propagée.

Mais la réalité est toute autre. La crise passée risque bien de n’avoir été qu’une répétition générale de cataclysmes à venir, que les économistes, pourtant peu habitués à reprendre des thèses subversives, s’accordent à prévoir[1].  

La spéculation encore et toujours

Nous savons que les banques centrales et les états ont déversé depuis une année des centaines de milliards de dollars pour éviter le naufrage des banques et du secteur automobile. Ce qui était impossible pour les dépenses sociales sur lesquelles est régulièrement demandé un effort supplémentaire aux millions de citoyennes et citoyens, avant d’annoncer la liquidation de leurs acquis, retraites ou sécurité sociale en tête, était soudain réalisable du jour au lendemain.

Alors que les banques ont ainsi pu éponger une bonne partie de leur dette, les spéculateurs ont en même temps trouvé les moyens de repartir comme si rien ne s’était passé sur le terrain de la spéculation. Depuis six mois, « tout monte » constate Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez Natixis. Marchés boursiers, marchés obligataires, notamment sur les emprunts d’état, prix des matières premières flambent.

Ces hausses sont déconnectées de la réalité économique. A Shanghai par exemple, la bourse a progressé de 63% depuis le 1er janvier 2009. Patrick Artus constate qu’ « à la bourse de Taïwan, les valeurs des actions représentent 100 fois les bénéfices des sociétés, 90 fois en Australie contre 13 fois à la bourse de Paris ».

On retrouve dans ces chiffres les conséquences directes des soi-disant remèdes apportés pour combattre la crise il y a un an, en faisant tourner la planche à billet, en ouvrant les vannes du crédit avec des taux d’intérêt proches de zéro,  en reprenant une partie des titres toxiques pour alléger les comptes des banques et soulager les établissements bancaires. 

Les tas de billets qui ont été déversés permettent aujourd'hui aux banques qui hier étaient sur le point de déposer le bilan d'afficher des résultats "exceptionnels". Les profits sont là, comme si jamais la crise n'avait existé. Et les bonifications pour les traders et autres actionnaires sont au rendez-vous, évidemment.

Les bulles sauteuses

A l’heure du « grand emprunt », les chiffres donnent le tournis. Les Etats dans leur ensemble se sont endettés en empruntant sur le marché « des montagnes de dettes ». Selon les économistes de Barclays, il s’émettra en 2009 pour 1300 milliards de dollars, soit 875 milliards d’euros, de bons du trésor américains et quelques 900 milliards de dollars de titres d’emprunts en Europe.

Selon Patrick Artus, « la liquidité mondiale n’a jamais progressé aussi vite ». Il indique que de 1990 à 2007 la monnaie en circulation, estimée sur la base des bilans des banques centrales, progressait de 15% par an en moyenne. Aujourd’hui le rythme est de plus de 30% ».  Il ajoute que « en 1990 la base monétaire représentait 4% du PIB mondial » et qu’aujourd’hui « c’est 21% ».

C’est ainsi que ce qui se dessine prend l’allure de « bulles sauteuses ». Ces montagnes d’argent doivent être investis pour dégager plus d’argent encore. Telle est la loi du capitalisme. Ainsi, les investisseurs se portent sur les marchés immobiliers, sur celui des matières premières, sur celui des actions ou des obligations notamment « souveraines », c'est-à-dire émises par les états, car jugées moins risquées.

Les remèdes apportés pour sauver le capitalisme du capitalisme lui-même portent donc en germe les maux censés être combattus, décuplés par rapport à ce qu’ils ont déjà fait connaître à la planète. Le libéral économiste et historien, Nicolas Baverez, dans le monde en date du 30 octobre, évoque « une reprise insoutenable ». « L’on réédite les erreurs commises en 2001 en reconstituant deux bulles spéculatives, sur les marchés d’action et de dettes des Etats ».

Mais pour aller au bout, s’il s’agit de bulles explosives concernant la dette des états, c’est bien une déflagration sans commune mesure avec ce qui s’est produit dans la dernière année qui se trouve devant nous. Imaginons en effet, pour percevoir ce qui se dessine, des Etats en cessation de paiement comme certaines institutions financières l’ont été.

Comment se fait-il que si peu de temps après l’explosion de 2008 les germes de la crise reviennent avec une telle puissance ? Contrairement aux propos sur la réforme éventuelle du capitalisme qui mélange morale et idéologie, c’est le capitalisme lui-même qui porte en lui l’orage. Ainsi, l’économiste Daniel Cohen, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, constate « qu’on vit dans un monde producteur de liquidités ». Les responsabilités attribuées à la politique monétaire de taux très bas attribuée à Alan Greenspan après l’éclatement de la bulle internet cachent en partie les véritables causes qui se trouvent dans l’économie elle-même. Le premier facteur que souligne Daniel Cohen pour expliquer l’excès d’argent est lié à « l’émergence de pays dont la balance des paiements est structurellement excédentaire, comme la Chine, qui inonde la planète de liquidités ». Le second facteur relève de pays producteur de matières premières qui sont « transformées à 95% en produits financiers ».

C’est donc l’ordre mondial capitaliste qui se trouve être au cœur des responsabilités des crises à répétition que subissent au premier titre, et de façon durable, les salariés, employés, ouvriers, travailleurs de la planète. Et dont devraient bénéficier les plus fortunés. L’endettement mérite d’ailleurs à ce sujet le détour. Car ceux qui prêtent s’enrichiront dans le temps sur le dos de ceux qui devront rembourser, à savoir la grande masse des contribuables qui ne bénéficient d’aucun bouclier permettant de se protéger.

Cynisme ou ignorance

Cette réalité conduit à revenir sur les inquiétudes du monde politique et économique qui frisaient dans les mois derniers le cynisme ou l’ignorance. L’intelligentsia s’étonnait en effet de l’absence de crédits apportés par les banques aux entreprises dans le besoin, notamment pour sauver les emplois. Cette interrogation, dans le droit fil du débat sur la moralisation du capitalisme, revient à nier la nature même des rapports sociaux capitalistes qui ne peuvent engendrer que crises au détriment du plus grand nombre.

De même, concomitamment, on entend les instances gouvernementales ou supra nationales s’étonner d’émeutes de la faim, ou demander des programmes pour y faire face. Mais là encore, la substitution de la morale et des bons sentiments affichés ne peut rien face à un système qui porte la responsabilité des famines sur la planète. La flambée des cours des matières premières –sucre ou céréales par exemple- n’est souvent que la conséquence de plusieurs facteurs, dont un des principaux est la spéculation consciente dans le seul but du profit[2].

Dans ce contexte, le débat se mène pour savoir s’il faudrait durcir les politiques monétaires afin de « vider » le monde de liquidités trop importantes, mais au risque de casser le début de reprise. Ou de laisser en faisant mine d’ignorer les nouvelles bulles qui grossissent au point d’exploser. Débat délicat qui incarne l’impasse dans lequel nous cantonne le système capitaliste.

 

Jacques Cotta

Le 7 novembre 2009 



[1] On verra sur ce sujet le supplément économique du Monde en date du 3 novembre 2009.

[2] Voir « Riches et presque décomplexés » Fayard, 2008.


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Commentaires

Quand la mer se retire par Peretz le Lundi 09/11/2009 à 21:11

On est toujours sur la même ligne : "ajustements" qui font tomber les plus faibles. Donc les inégalités vont se creuser, au bénéficie des prédateurs. Le tout est de savoir si les  classes moyennes seront touchées et à quel niveau. (www.citoyenreferent.fr) 


Re: Quand la mer se retire par jcotta le Mercredi 11/11/2009 à 11:17

oui, en effet, le problème se pose ainsi. Nous avons d'ailleurs déjà quelques indications qui ne poussent pas à l'optimisme. Lorsqu'il y a deux ans je titrais "7 millions de travailleurs pauvres" certaines critiques concernaient le nombre qu'on m'accusait d'exagérer -on est aujourd'hui à plus de 8 millions- et d'autres le fait de parler des travailleurs. Evoquer les pauvres en général avec compassion permet de disculper le système. On ne saurait d'où ils viennent. Mais les travailleurs, ayant un emploi, ou sans emploi éjectés par le système, pose la responsabilité des rapports sociaux, du capitalisme qui crée les bataillons de pauvres. Parmi eux, évidemment, les classes moyennes tirées vers le bas. La crise des "subprimes" aux USA et ses prolongements à travers le monde en est un bon exemple... Les études montrent que pour la première fois les parents aujourd'hui, parmi les classes moyennes surtout, considèrent que les conditions de vie de leurs enfants seront inférieures à celles qu'ils ont connues... 


Re: Quand la mer se retire par Serge_Gomond le Mercredi 11/11/2009 à 13:23

cher Jacques,
tu écris : « ...Lorsqu'il y a deux ans je titrais "7 millions de travailleurs pauvres" certaines critiques concernaient le nombre qu'on m'accusait d'exagérer... »

Il s'agissait d'«alternative économique », et d'ailleurs la critique était tellement infondée qu'il ne produisait pas de contre-analyse et ne signalait pas d'autres sources. Ce chiffre de sept millions a largement été corroboré, et à plusieurs reprises, y compris par « alternative économique » ; comme tu le fais remarquer, ce chiffre est largement dépassé (la crise est passée par là) et même revu à la hausse notamment dans d'autres ouvrages ou articles.

J'avais laissé un message concernant cette critique, qui à mes yeux était totalement infondée, ils n'ont pas daigné répondre...


PS : présentement j'ai mis de côté ton dernier message, mais il est en gestation ; d'ailleurs dans l’un des textes concernant « Pour la sauvegarde de nos droits fondamentaux », il y était question de cahier de doléances couronné d'une marche sur Paris (n'est-ce pas là l'exemple d’un texte qui mène à l'action ?)



Re: Quand la mer se retire par jcotta le Mercredi 11/11/2009 à 23:33

Cher Serge,

Je vois que tu as bonne mémoire, concernant "Alternative économique"...
Si mes souvenirs sont bons, c'est un céfedétiste qui se revendique comme tel qui n'avait pas apprécié certains développements, et qui plutôt que d'en parler pour débattre, avait pris le problème sur le chiffre de 7 millions comme tu l'indiques...

Pour les textes qui mènent à l'action, ton exemple concernant l'appel "pour nos droits fondamentaux" est assez bon. D'autant qu'il s'agit d'une initiative directe que nous avions prise. Mais outre un engagement de ce type, je crois que des papiers sur le développement des évènements qui se déroulent sous nos yeux mériteraient d'être écrits. Les licenciements, la résistance là où elle s'organise, le combat dans les services publics, à la RATP par exemple aujourd'hui, à France Télécom, etc...

Bien amicalement
Jacques


par pilotin le Vendredi 18/12/2009 à 20:18

Il est clair qu'on se moque de nous vis à vis de la crise... on en sortirait déjà parrait il.
Que vois je moi personnellement ?
Il suffit d'ouvrir les yeux :
- des arrêts maladie pour raisons de dépression nerveuse sur le lieu de travail, suite au nombre incalculable d'harcelements moraux, et de pressions subies
- des entreprises qui ferment encore et toujours... cela ne s'est pas réellement ressenti en region parisienne parce que l'economie marche bien ( reseaux de communication, proximité entre les entreprises, administrations et simplement Paris, capitale où les profits se réunissent entre maisons mères ), mais croyez moi, en Lorraine par exemple, l'ambiance est la même qu'à l'âge des fermetures de corons dans le NPC à l'epoque où le pétrole a surmonté le charbon.
- des maisons en vente partout... retour aux grands ensembles, qui se remplissent... à cause des licenciements et du manque de moyens sans doute
- une qualité des produits complêtement nulle, car cela coute cher, il y a un manque de main d'oeuvre, alors on se dépêche, on garde une production stable pour des profits plus élevés, de par la rapidité.
- Le gouvernement qui ne cache plus du tout son manque de bien séance... preuve que tout le monde en a marre et qu'on ne pense plus du tout à jouer avec les mots pour plaire... on fonce, on s'en fiche, peu importe si intel est content de ce que j'ai dit. Je mache plus mes mots

Et pour finir, je vais faire un rapprochement entre deux débats : celui de la crise bien sur, mais aussi celui de la superbe reflexion sur l'identité nationale.
En temps de crise, il faut bien inculper des responsables.
On a un panel : la jeunesse décadente depuis cette maudite année 68 ? Les immigrés et descendants d'immigrés qui nous pompent notre argent et n'aiment pas la France ? Ou peut être encore la Gauche qui a fait de trop de social et a rendu les travailleurs fainéants ? ( voyez ici dans mes propos de l'ironie bien sur... je reprends juste les mots qu'on entends un peu partout dans les bus et les discussions de famille )




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