Comme nos rédacteurs travaillent la semaine, ils rédigent surtout le week-end. Mais le dernier week-end a été occupé justement par le CA de Militant. D’où un certain retard dans le suivi de la situation politique. Cet inconvénient a au moins un avantage : maintenant que le gros de la séquence « François Hollande, son tournant supposé, son pacte, ses compagnes et leurs appartements » vient de se dérouler, nous pouvons en dégager l’essentiel.
François Hollande a été élu président en 2012 contre Sarkozy. Son élection n’aurait pas eu lieu si une courte majorité n’avait absolument voulu, à juste titre, se débarrasser de Sarkozy.
Moins de deux ans après, c’est devenu un lieu commun que de dire qu’il fait du Sarkozy, souvent en pire, pour la plus grande satisfaction de M. Gattaz et des capitaux côtés en bourse, et pour les pires conséquences sociales et politiques, sur le mode « après moi, le Déluge ».
C’est un faux débat que de savoir si ses trois interventions de ce début d’année 2014 cadrant toute la suite de la politique gouvernementale, celle du nouvel an, celle de sa conférence de presse et celle faite en Corrèze, matérialisent ou non un « tournant ». Elles prolongent et accentuent le scandale antidémocratique en cours. Nous ne nous dandinerons pas les neurones pour savoir si le tournant est « social-démocrate » ou « social-libéral ». En toute rigueur sémantique, il n’y a rien, rien de rien, ni de social, ni de démocratique, ni de porteur de liberté, dans la politique du président de la V° République Hollande.
L’élément le plus important de ses annonces est la décision selon laquelle ce sera « la fin » des cotisations patronales pour les Allocations familiales. C’est là la concrétisation de ce qui avait été annoncé lors du vote de la loi contre les retraites, qui, tout en faisant passer l’âge de départ à la retraite de facto à 68-70 ans pour le plus grand nombre, instaurait une hausse des cotisations salariales et une hausse des cotisations patronales mais prévoyait pour celle-ci une « compensation » sur le dos des allocations familiales. Elle est plus que compensée. Et, en proclamant que les allocations familiales n’ont rien à voir avec le salaire social, tout en lançant des « discussions sur le mode de financement de la protection sociale », président et gouvernement affichent un cap qu’aucun gouvernement, depuis 1945, de droite ou de gauche, n’avait osé afficher : celui de la destruction de la Sécurité sociale d’ici 2017. Et c’est François Hollande, c’est ce gouvernement là, appuyé sur sa majorité parlementaire PS-EELV, qui l’annonce.
Parallèlement à cette attaque centrale qui est appelée à vertébrer l’ensemble de la politique gouvernementale, 50 milliards d’économie supplémentaires sont annoncées sur le dos des services publics, l’Inspection du travail est démantelée, les élections prud’hommales supprimées cependant que les syndicalistes, souvent CGT, condamnés depuis les années Sarkozy et ayant gagné leurs procès, sont renvoyés en appel. Les plans de licenciements continuent à pleuvoir. Une éventuelle reprise des commandes industrielles, qui n’est pas garantie mais qui est possible sans que les fondamentaux de la crise du capitalisme ne soient pour autant surmontés, se ferait à travers de nouveaux plans de restructurations et commencerait par redoubler la vague de licenciements.
La question du chômage et de la précarité, de la misère qu’ils suscitent, de la destruction des droits sociaux, services publics et Sécurité sociale, qui accompagne et aggrave cette misère, est au centre de la situation politique et sociale.
Mais François Hollande ne s’en tient pas là. Toute politique capitaliste frappant les pauvres pour enrichir les riches doit avoir son volet autoritaire. Dés le nouvel an, il a annoncé qu’il gouvernerait au maximum par ordonnances, et les « éléments de langage » repris par les divers porte-paroles leur font ânonner qu’il est plus efficace de prendre des ordonnances que de discuter et voter des lois. Voila pour la manière dont les lois doivent être adoptées : par oukaze présidentiel et gouvernemental. Et corrélativement, F. Hollande annonce que les Régions auront un « pouvoir réglementaire » renforcé et que, en outre, leur nombre serait appelé à diminuer. Plusieurs facteurs se combinent ici pour concourir à un résultat toujours plus réactionnaire. Le « 3° acte de la décentralisation » à peine mis en route connaît des difficultés, alors que l’objectif central est de réduire massivement les effectifs de la fonction publique territoriale. Nous n’en sommes plus à la simple tentative de liquider les départements et les communes au nom des régions et des communautés de communes, supposées plus « européennes » et non entachées d’être des cadres connus par les populations et issus de la Révolution. On en arrive, depuis la « loi métropole », à la cassure de l’unité de tout cadre administratif territorial quel qu’il soit : les « métropoles » prenant purement et simplement la place des communes et des départements et s’appropriant l’ensemble des fonctionnaires de leur territoire en essayant de pouvoir les licencier et les muter sans aucune limite. Là des baronnies, ici des vicomtés. Alain Rousset, président de la Région Aquitaine, déclare lors de ses vœux pour 2014 que « le moment est bien plus proche qu’on ne le croit où les enseignants seront des fonctionnaires territoriaux. »
Soit dit en passant, quel culot dans ces conditions de nous chanter les louanges de l’adoption tardive de la loi sur le non-cumul des mandats d’ici 2017 ! On ne veut comme députés que des portes-savates à la botte de l’exécutif, pendant que les sinécures et les prébendes sont massivement regroupés dans les « métropoles » et les Régions.
Casser la sécurité sociale, précariser plus encore que jamais l’emploi et le travail, et pour cela porter la V° République au sommet historique de sa logique autoritaire, où centralisation de l’exécutif et prétendue « décentralisation » des baronnies se complètent parfaitement pour pressurer le bon peuple et, en prime, lui faire la morale du matin au soir. Mais il y a, comme chacun sait, un dernier aspect saillant et marquant dans les actes du président Hollande en ce début d’année 2014.
Qu’il se rende en scooter la nuit pour aller rencontrer une actrice dans un lieu de rendez-vous discret, ne pose en soi aucun problème, et même, compte tenu de la dimension monarchique du président dans l’inconscient collectif et la réalité institutionnelle, le fait que le roi ait des maitresses et des favorites ne lui est nullement défavorable politiquement, bien au contraire. Cependant, la révélation facile de ses exploits par un magazine people a lancé des rumeurs justifiées sur le rôle des grands flics sarkozystes, du ministre de l’Intérieur et, finalement, sur le fait que nous sommes bien, décidemment, dans la V° République : l’appartement dévolu aux ébats présidentiels est lié à la mafia, au gang de la « brise de mer » et à tout un milieu où grand banditisme et show-business se rejoignent. Cet aspect, V° République oblige, a été censuré avec la complicité des journalistes présents lors de la conférence de presse présidentielle. Par ailleurs, la première dame officielle (hé oui, « officielle » : personne ne l’a élue, mais c’est la V° République, cette monarchie honteuse ! ) fut hospitalisée, puis reléguée à la Lanterne dans le parc de Versailles, ça ne s’invente pas ! Le tout aux frais non de la princesse, mais du bon peuple appelé à des sacrifices. Quel que soit l’étouffement immédiat de ces développements, c’est une bombe à fragmentation, un cycle d’ « affaires » typiques du régime de la V° République, qui sont ainsi amorcés. Au cas où, quelle qu’en soit la raison, l’actuel « locataire de l’Elysée » devait ne pas finir son mandat, les gamelles sont en place pour l’accélérer. En attendant, qu’il serve : M. Gattaz fils a le sourire.
Gouvernement et président vont exiger un vote du parlement sur le « pacte de responsabilité ». Pascal Cherki, député PS de Paris souvent critique et qui, par ses déclarations plus que par ses votes, exprime le mécontentement de ses électeurs, déclare à ce sujet : « Je le voterai, parce que le gouvernement engagera sa confiance. Donc, si je ne vote pas la confiance au gouvernement, je renverse le gouvernement. » Les députés Front de gauche annoncent qu’ils voteront contre, quoique le plus notoire d’entre eux, André Chassaigne, ait trouvé « inélégant » que ce vote soit annoncé à l’avance par J.L. Mélenchon au sortir de sa rencontre avec Paul Laurent. Impossible pour eux ne serait-ce que de s’abstenir, et ce vote contre, dont on ne se plaindra pas, aura malheureusement peu de poids, arrivant fort tard.
Les centrales syndicales sont invitées à s’intégrer au « pacte de responsabilité » : il faudrait « négocier » les contreparties de la suppression des cotisations patronales à la branche Familles de la Sécu ! La CFDT est partante. FO, qui organise un meeting central le 29 janvier à la halle Freycinet à Paris, déclare, par la voix de J.C. Mailly : « … le pacte de responsabilité, FO n’en sera pas. » tout en précisant : « On dira ce qu’on a à dire, on donnera notre avis si on nous le demande, mais il n’y aura pas de la part de Force Ouvrière de logique d’unité nationale. » T. Lepaon pour la CGT, juste après que son organisation ait, malgré lui, décidé de ne pas signer l’accord sur la formation professionnelle (signé par FO et par la CFDT), déclare qu’il ne pratiquera pas « la politique de la chaise vide ». La CGT, souvent soutenue par la FSU, organise une « journée d’action » le 6 février présentée comme « une étape d’action mise à la disposition des salariés », ce qui n’en précise guère le cadre on en conviendra. Solidaires généralement n’y participera pas, s’estimant exclue des pourparlers nationaux ayant abouti à une déclaration commune CGT-CFDT-FSU-UNSA qui ne dit mot d’aucune des annonces de Hollande et demande des mesures pour l’emploi, mais qui se conclut en annonçant que "les organisations signataires porteront ces revendications et objectifs communs lors des discussions qui se dérouleront dans le cadre du pacte de responsabilité."
C’est donc le brouillard ou pire la collaboration active du côté des forces issues de la gauche et du côté des organisations syndicales, quand à la nécessaire union contre la politique de Hollande et du gouvernement. Au stade où nous en sommes, il faut maintenant dire une chose bien claire. Si Hollande doit tomber parce que le monde du travail se soulève contre sa politique, qu’il tombe. Ce n’est pas là faire le jeu de la droite et de l’extrême-droite. Ce jeu, c’est lui qui le fait. Maintenant ça suffit. Oui, il va falloir s’organiser, oui il va falloir agir, oui il va falloir s’unir, pour se défendre. Et là, aucun argument du genre « mais si je vote contre je fais tomber mon gouvernement », « ça fait le jeu de la droite », « c’est inélégant », ne saurait être entendu.
Unité contre les ordonnances et le pacte de responsabilité !
Syndicats, il n’y a rien à négocier !
Stop aux plans de licenciements !
Ils veulent casser la Sécu, l’école et les services publics, unité pour les en empêcher !
« Son élection n’aurait pas eu lieu si une courte majorité n’avait absolument voulu, à juste titre, se débarrasser de Sarkozy »
Je pense que c'est là l'erreur principale de tous ceux qui, comme moi, en voulant absolument se débarrasser de Sarkozy ont voté Hollande au second tour. L'adage veut, dans un scrutin à deux tours, qu'« au premier tour on choisisse, au deuxième on élimine ». Sous-entendu on élimine le pire des deux restants. Aveuglés par la volonté de se débarasser de Sarko, l'immense majorité de ceux qui avaient voté à gauche - mais pas socialiste - au premier tour, ont voté Hollande au second.
Pourtant, durant la campagne, tous ceux-là avaient convenu qu'avec Hollande, la politique suivie serait la même qu'avec Sarko, certains même pensaient que ce serait pire. Je faisais partie de ces derniers, et pourtant j'ai voté Hollande. Pourquoi une telle différence entre la réflexion et les actes ? Sûrement à cause de ce réflexe quasi pavlovien qui veut que quand on « est de gauche », on ne peut pas voter à droite. Sauf que là, on devait choisir entre la droite et... la droite.
On ne vas pas revenir sur les raisons qui faisaient que Hollande allait forcément poursuivre la politique de Sarko. Il suffisait, pour s'en convaincre, de voir ce qu'avaient fait les socialistes grecs, espagnols ou portugais par exemple, quand ils on été au pouvoir quelques années auparavant. (On pouvait aussi lire les bouquins de Denis Collin ou Jacques Cotta ;-).
Mais il était certain que ce serait pire. Quand le PS est au pouvoir, toute contestation cesse. Exemple : nous étions des millions dans les rue, et pendant des semaines, contre la réforme des retraites à la mode Sarko, et quasiment personne contre la réforme des retraites à la sauce Hollandaise, qui n'en était pourtant que la continuité et le renforcement. Pourquoi ? A cause du même réflexe qui veut que quand on « est de gauche », on ne manifeste pas contre un gouvernement « de gauche ».
Cela est d'ailleurs bien compris par le MEDEF, dont un responsable a récemment souligné que « c'est beaucoup plus facile de réformer sous un gouvernement de gauche que sous un gouvernement de droite ». Et d'ajouter « Le problème serait que la gauche redevienne de gauche ! » Il est de coutume de dire que le clivage gauche-droite n'existe plus. C'est exact. Mais ce n'est pas le clivage qui a disparu, mais la gauche.