Ici et là fleurissent toutes sortes de programmes électoraux qui réclament « une autre Europe », une Europe « sociale », une Europe « démocratique », et ainsi de suite. Et tous ces discours omettent soigneusement d’employer le mot « nation », un mot qui sent mauvais pour tous ces gens modernes et « post-nationaux ». Ainsi par exemple, une simple lecture des discours du meeting de lancement du « front de gauche » révèle que le mot « nation » est absent, qu’il n’est aucune trace de la souveraineté des nations et qu’on ne trouve que « nationaliste » (dérive à combattre) ou « national » dans les expressions qui indiquent que ce n’est pas le bon cadre…
Tous ces gens prétendent être les porteurs du « non » de 2005 et de l’opposition au traité de Lisbonne … en oubliant que dans les deux cas c’est la souveraineté nationale qui a été bafouée, souveraineté qu’ils continuent de bafouer à leur manière de gauche « branchée », de gauche « moderne », etc.
Rappelons tout de même à ces ignorants un bon vieux texte :
Article III - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
(Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée en 1789 et jointe à la constitution de la République française)
Donc le Front dit de gauche, comme les fronts de droite, du centre et du PS, se contrefout de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, rien que ça !
Le souci de la paix et de la collaboration entre les peuples d’Europe est évidemment légitime. Mais il n’y a pas un peuple européen, pas une démocratie européenne, mais des peuples avec des régimes et des traditions politiques qui sont les leurs. Les rêveurs fédéralistes auraient voulu une véritable constitution fédérale, une proclamation commençant par « Nous, peuple d’Europe », sur le modèle américain. Mais aucun mouvement populaire n’existe qui pourrait soutenir un tel projet. Seule une confédération est possible, c’est-à-dire une association libre de nations qui se gouvernent elles-mêmes, décident de ne plus jamais se faire la guerre et décident de mettre en commun et sous contrôle certains des attributs de leur souveraineté. La condition d’existence d’une telle confédération pourrait être calquée sur le Traité de paix perpétuelle de Kant :
1/ La constitution républicaine de chacun des États, partie prenante de l’association, constitution républicaine étant entendue ici comme souveraineté populaire et séparation des pouvoirs.
2/ La reconnaissance de la souveraineté de chaque nation qui reste libre de décider elle-même de son propre sort – y compris, le cas échéant de sortir de l’union et, en tout cas, de n’obéir qu’aux règles auxquelles elle a librement consenti.
3/ La reconnaissance de certains droits de citoyens européens à tous les ressortissants de l’union, comme, par exemple, la liberté de circulation, la liberté d’établissement, la liberté d’adopter une autre nationalité que sa nationalité d’origine en cas d’installation prolongée dans un autre pays et, éventuellement, la possibilité de recours à une juridiction européenne pour faire respecter ses droits fondamentaux.
La construction européenne actuelle ne reconnaît que le troisième de ces points, et à condition que les droits en question ne soient pas des droits sociaux. Si elle défend (parfois) les droits individuels, l’UE se moque comme d’une guigne des droits politiques des peuples. À bien des égards, par son fonctionnement même, elle est un puissant accélérateur des évolutions oligarchiques consubstantielles au capitalisme. L’alternative pour les peuples européens est donc entre une union de républiques libres et une construction néo-impériale libre-échangiste qui signerait la fin de la liberté politique. Mais une telle construction libre-échangiste est vouée à l’impuissance et à la désagrégation, comme le montre, pour qui sait voir, l’évolution actuelle de l'UE face à la crise économique.
L’internationalisme mais non le « supranationalisme » : voilà ce qui seul peut refonder une opposition résolue à cette prison des peuples qu’est l’UE. Et l’internationalisme suppose la liberté des nations.
Que la social-démocratie qui a toujours eu partie liée avec l’impérialisme, et notamment avec l’impérialisme dominant, n’aime pas la liberté des nations, cela ne nous surprend pas. Que ceux qui prétendent construire un nouveau parti de gauche gardent avec la social-démocratie un lien sur cette question est hautement révélateur.
Pas faux concernant l’UE. Mais qui pourrait affirmer qu’un produit historique est lui-même indépassable ?