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Whiplash, un film nauséabond

Par Tony Andréani • Actualités • Jeudi 15/01/2015 • 0 commentaires  • Lu 2377 fois • Version imprimable


Je me dois de dire à mes lecteurs que je leur conseille vivement de ne pas aller voir ce film encensé par la critique, Grand Prix dans deux festivals, et présenté comme oscarisable, sauf s’ils sont titillés par une curiosité d’ethnologue pour certaines mœurs états-uniennes ou par un goût malsain pour la violence sadique.

En deux mots c’est l’histoire d’un jeune homme passionné par la batterie qui s’inscrit à une sorte de master class dans un Conservatoire new-yorkais. Il s’y fait maltraiter et humilier en permanence par son professeur, directeur d’une formation de jazz, qui veut décrocher un prix dans un concours. Et ceci sous le prétexte d’en faire un musicien de haut niveau et aguerri. La méthode consiste à le faire souffrir par tous les moyens : les brimades, les gifles, les insultes les plus scatologiques (compter le nombre de fois où il se fait traiter de merde), les plus macho-sexistes (vous devinez) et les plus homophobes (vous devinez aussi). Tous les autres apprentis musiciens subissent la même avalanche de vociférations et d’injures, sans broncher le moins du monde, car ils veulent être sélectionnés. Mais notre jeune batteur est particulièrement assaisonné, car il est le « puceau » du band. Et le maître ne recule devant rien pour mettre ses élèves sous sa botte. Ainsi lorsqu’il accuse un pauvre instrumentiste de jouer faux et le somme de le reconnaître jusqu’à le faire sortir en larmes, pour claironner ensuite devant les autres qu’en réalité il jouait juste, mais qu’il voulait l’éprouver. Je ne décrirai pas davantage le monceau de vilénies dont le personnage se montre capable.

 

Nous savons bien que, pour être un excellent musicien, comme dans d’autres disciplines artistiques, il faut beaucoup de précision, de reprises, de corrections. Mais là, il s’agit de terroriser les élèves, avec les mêmes procédés que ceux du sergent des marines dans Full Metal Jacket. Encore, dans ce dernier cas, on pourrait arguer que l’objectif est de préparer des soldats à la guerre, et même à la plus sale des guerres (on sait le comportement de la soldatesque américaine en Irak). Or en l’occurrence on veut former…des musiciens de jazz. Pour ceux qui, comme moi, aiment le jazz, on ne peut imaginer pire hérésie. Le jazz, même symphonique, c’est de la rigueur certes, mais aussi ces petites doses de liberté qui font les moments de magie. Comment des élèves, dressés à la schlague, en seraient-ils encore capables ?

 

Tout au long du film, je me suis dit : pourvu que cela ne se termine pas bien, qu’il y ait une manière ou une autre de dénonciation de ces pratiques sadiques et perverses (auxquelles je ne vois pas d’objection de principe qu’un scenario soit consacré). Eh bien non, le film s’achève en glorification. Je vous raconte brièvement. Un ancien élève, reconnu par la profession et le public, s’est suicidé. Notre tortionnaire s’est bien gardé de le dire devant sa classe, versant au contraire une larme, parce qu’il serait mort dans un accident de voiture. La famille du malheureux a fait témoigner anonymement notre batteur contre le Maître, et celui-ci à vu ses fonctions résiliées. Mais voilà que le hasard les fait se retrouver et que le batteur, qui ne bat plus, accepte d’être réembauché pour un autre concours, et que, à nouveau, le Maître lui fait un coup pendable : jouer une partition qu’il ignore, au lieu des standards annoncés. Alors il se venge en public en improvisant un solo qui laisse le Maître pantois et désarçonné.  Mais, in extremis, après s’être toisés, ils se retrouvent dans une connivence virile. Alléluia.

 

Oui, vraiment, ce film est à vomir. Et le pire, si je puis dire, est que les spectateurs cossus qui se trouvaient dans la salle en ce milieu d’après-midi se sont mis à applaudir. Snobisme ou fascination devant cette petite anthologie de certains aspects de la société états-unienne, faits de culte de la violence, de compétition féroce, où tous les moyens sont bons pour arriver, de soumission, de mièvrerie, de langage réduit à quelques grognements et quelques mots (cf. l’insigne pauvreté des échanges entre le batteur et sa copine, qu’il largue pour se consacrer pleinement à son ambition). Qu’est-ce qui fait donc que des Français, en principe dignes et cultivés, puissent trouver à leur goût pareille ignominie, quelle que soit la virtuosité technique de la réalisation ?

 

 

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