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Mais le 7 avril, Changement de ton !
Alors qu’il recevait les responsables syndicaux de l’usine à l’Elysée, le président déclarait : "je n’ai pas réussi à faire changer d’avis monsieur Mittal...".
En clair, le président français reconnaissait son impuissance face à un milliardaire sur une question qui pourtant concerne l’intérêt national, la souveraineté industrielle et l’avenir de centaines de familles et d’une région déjà sinistrée.
A l’annonce de la déclaration présidentielle, c’est l’ancien directeur du site de Gandrange, Alain Grenault, qui se disait « désabusé » de voir capoter, contre les engagements présidentiels antérieurs, l’hypothèse d’un repreneur, avant de se faire le porte parole de toute une région, et plus, d’une classe sociale déboussolée et trompée, en questionnant : « A quoi ça sert de voter pour un président de la république s’il n’est pas capable de tenir ses engagements ? » .
L’enjeu du débat.
Dans cette affaire de Gandrange, la première question posée est bien celle du respect de l’engagement pris. Luc Chatel, secrétaire d’état à l’industrie et porte parole du gouvernement, a beau s’empresser contre l’évidence de déclarer « le Président a tenu parole » , personne ne peut être dupe.
Alors que Nicolas Sarkozy s’engageait clairement à « prendre les mesures » pour que l’emploi soit préservé sur le site, ce sont entre 370 et 450 salariés au bas mot, sur les 575 prévus, qui verront leur emploi supprimé après la décision de Mittal de fermer l’usine de Gandrange.
Face à l’enjeu, les mesures gouvernementales apparaissent aussi inconsistantes qu’inefficaces. Les 20 millions d’euros débloqués pour un fond d’investissement ne pourront empêcher que se rajoutent aux emplois officiellement supprimés des « dégâts collatéraux » qui concernent toute la région. Ce sont en effet 700 intérimaires ou salariés de sous-traitants qui devraient en plus être directement concernés.
Derrière ce premier constat, la seconde question qui surgit concerne les causes politiques qui impliquent gouvernements nationaux et construction européenne.
Les responsabilités de l’Europe
L’histoire de Gandrange est un « nouvel épisode » dans le film de la sidérurgie qui se joue depuis plus de 25 ans , et qui en 2002 voit la création d’Arcelor, produit de la fusion du français Usinor, de l’espagnol Acelaria, et du luxembourgeois Arbed. A l’époque, avant le rachat par le milliardaire indien de ce groupe sidérurgique, l’opération industrielle et financière "franco-espagno-luxembourgeoise" était présentée comme l’exemple de « fusion réussie » [1] sous les auspices de trois Etats européens, avec la bénédiction de la Belgique. La preuve, clamaient les europhiles de gauche comme de droite, de la marche inéluctable de la construction européenne, synonyme de dynamisme et de progrès.
Mais la fusion présentée comme la marche en avant de la construction européenne portait en elle la liquidation annoncée quelques années plus tard, après la reprise par le milliardaire indien. Elle est la conséquence de la soumission de l’Europe au capitalisme financiarisé. (Voir L’affaire Arcelor-Mittal, emblématique de la faillite européenne)
Avec Arcelor, la sidérurgie, dont la liquidation est engagée depuis plus de 20 ans, est soumise non aux impératifs industriels mais aux exigences du capital qui appartient à une multitude d’investisseurs qui cherchent une rentabilité immédiate, et dont seuls 40% sont localisés en Europe continentale. Voila ce qui a permis au milliardaire indien de faire main basse sur l’outil de production dont une partie est situé en France. Il a suffi de faire des propositions suffisamment alléchantes dont une belle prime aux actionnaires, une survaleur de 27% par rapport au cours de la Bourse pour arracher le morceau.
Comment dés lors était-il possible de résister ?
Dans le contexte de l’époque, pour parer le coup, il eut fallu que les états montent en première ligne en surenchérissant sur l’offre de Mittal. Ce qui se heurtait à deux obstacles : le premier concerne le coût. Mais qui veut peut. Le second concerne justement la volonté. Il aurait pour cela violer le sacro-saint principe européen selon lequel l’Etat ne doit plus intervenir dans les affaires. Donc affronter l’Europe dans son essence même.
UMP, PS et union européenne, encore et toujours !
De tout bord, les responsables politiques se sont fait les apôtres de l’entreprise privée, de la mondialisation des capitaux, du développement international des entreprises françaises (dans le cas présent européenne), de la concentration recherchée par les actionnaires et leurs représentants au nom des économies, de la rentabilité, du retour sur investissement.
L’union européenne est donc apparue comme une machine de guerre au service de ces intérêts et au détriment de tout projet industriel sérieux. La commission n’a donc eu de cesse de mettre en garde contre toute tentative de « protectionnisme » et a érigé en principe auquel tous les autres devaient être soumis celui de la libre concurrence.
Concrètement, sur le terrain sidérurgique, la conséquence était immédiate. La Commissaire néerlandaise à la concurrence se déclarait « contre les champions nationaux ! Et contre les champions européens ! Mais pour les champions globaux...basés en Europe » . Mittal en Europe sous prétexte que son siège est aux pays bas ! Il fallait y penser... Pourtant tout le monde sait que l’implantation d’un siège social est d’abord lié à des exigences fiscales notamment et n’a rien à voir avec des préoccupations industrielles ou sociales. L’histoire de Mittal, le milliardaire indien, est là pour nous le rappeler.
Lakshmi Mittal, milliardaire indien, un poisson en eaux européennes
Un bref retour sur l’empire de lakshmi Mittal présente l’intérêt d’illustrer au mieux les effets de la libre concurrence, principe inviolable de la construction européenne.
En 30 ans, Lakshmi Mittal a fait fortune dans l’acier. Au départ il s’appuie sur la petite aciérie indienne héritée de son père pour devenir un géant mondial a coup de multiples opérations de rachat. Au cours des cinq dernières années, il a procédé à plus de vingt opérations, souvent des actifs en mauvais état qu’il a restructurés. Le rachat d’International Steel Group, en 2004 fait partie avec Arcelor de ses plus beaux coups.
Avant Gandrange, il est intervenu notamment dans les anciens pays de l’Est (Roumanie, Pologne) et dans d’anciens Etats de l’Union soviétique (Ukraine, Kazakhstan). Or, dans tous ces cas, les restructurations ont été bon train. C’est ainsi qu’on sépare les actifs rentables des autres, qu’on s’appuie sur ceux-ci pour liquider ceux-là en jetant à la rue des dizaines de milliers d’ouvriers et leurs familles.
Signe des temps, la recette permet les réussites financières tous azimuts. De Bernard Tapie à François Pinault, le même processus permet d’atteindre la fortune. Logique industrielle ou financière ? Poser la question en l’occurrence c’est y répondre. Derrière Mittal apparaît clairement que la désindustrialisation de régions entières, dont la France, et l’abandon par les nations de biens stratégiques, président à la construction européenne.
Mittal Homme cynique ? Ou simplement financier qui met de son côté tous les atouts nécessaires au succès de son entreprise ? il acquiert donc l’européen Arcelor à l’issue d’une OPA pour un montant de 25,3 milliards d’euros. Il promet de garder le cap d’Arcelor pour calmer les timides interrogations sur l’avenir de l’acier européen. Il promet même le maintien de l’emploi. Mais les promesses n’engagent-elles pas que ceux qui ont la naïveté, ou simplement l’intérêt, de bien vouloir y croire ? Il ne suffira en effet que de trois mois pour prendre le contrôle total de l’entreprise, annoncer les dividendes gonflés, engraisser les actionnaires, c’est-à-dire lui et sa famille au premier titre puisque les Mittal constituent l’actionnaire majoritaire. Le sort des ouvriers de Gandrange ne peut aujourd’hui surprendre parmi les responsables politiques que ceux qui ont décidé de jouer la surprise.
Les emplois et Gandrange en particulier ? Bien sûr, Le milliardaire indien, 5ème plus grosse fortune mondiale [2] , s’était engagé sur le maintien des emplois dans cette usine rachetée en 1999 à Usinor pour le franc symbolique. Il faisait d’ailleurs valoir des résultats largement bénéficiaires de Mittal-Steel pour l’année 2007 [3]. Mais le N°1 de l’acier mondial dont les méthodes connues pour son « dynamisme », son « pragmatisme », sa capacité à « engager les restructurations pour développer ses profits », a découvert qu’il pouvait gagner plus encore en liquidant le site et en allant là où le prix du travail est moins cher. Pourquoi donc s’interdire d’appliquer ce que les gouvernements et les institutions européennes légitiment et encouragent ?
Lorsque le gouvernement français, pris d’un sursaut de patriotisme économique, a en effet publié un décret le 31 décembre 2005, destiné à protéger un certain nombre de secteurs considérés comme stratégiques [4], la Commission européenne, dans la foulée de la commissaire néerlandaise à la concurrence, ruait dans les brancards contre « une discrimination au profit des entreprises françaises ». Le sens général de son intervention ne laisse de doute : sa conception est celle d’un Etat minimal contre toute entrave à la concurrence libre et non faussée.
Nationalisation, appropriation collective, respect de la souveraineté nationale !
Gandrange est révélateur des questions et exigences posées au niveau national, dans la sidérurgie, mais aussi dans les autres secteurs clés de l’économie.
Site industriel viable, c’est donc par pur intérêt immédiat actionnarial que Lakshmi Mittal a décidé d’en fermer les portes. Dés lors deux logiques s’affrontent.
> Le respect de la propriété privée des moyens de production qui en l’occurrence conduit à accepter les licenciements, l’abandon de la production d’acier qui revêt un caractère stratégique, au compte des profits dont une petite minorité peut jouir.
> Le respect des milliers de travailleurs qui n’ont que leur force de travail pour vivre, qui produisent et qui permettent à l’entreprise de faire des profits, même s’ils sont jugés insuffisants par les actionnaires, et qui malgré cela risquent de se retrouver à la rue avec leur famille, dans la précarité et la misère.
Bien sur, la préoccupation républicaine et sociale conduit à choisir le respect du peuple et non les intérêts des actionnaires. Dés lors se pose la question des moyens politiques d’un tel choix. Ne serait-il pas légitime que la sidérurgie soit renationalisée pour permettre à la Nation de bénéficier de ses ressources vitales pour son développement ? Que la propriété collective assure aux citoyens les conditions de vie que le capital financier veut leur ôter ?
Avec l’histoire de la sidérurgie, ne faut-il pas constater que l’Europe néo-libérale et libre échangiste est le principal obstacle à la volonté et aux intérêts des peuples dont la souveraineté est bafouée au compte du capital financier ?
Là encore, deux orientations inconciliables assez claires s’affrontent.
> D’un côté, les partisans de la construction européenne basée sur les traités successifs, de Maastricht à Lisbonne, sans oublier le traité constitutionnel que le peuple a rejeté en 2005, dont le cœur est la concurrence libre et non faussée dont on voit les effets.
> De l’autre, les opposants à la construction européenne de ces traités, synonymes de profits accrus pour le capital financier, et de liquidation des acquis des peuples, dont en France, du pacte social issu de 1945. Tous ceux qui ont fait partie de la majorité du 29 mai 2005 et qui se veulent respectueux de la souveraineté nationale et populaire.
Là se trouve le véritable clivage.
Là se trouve le combat politique pour apporter la réponse au président de la république qui concluait son entretien avec les syndicalistes de Gandrange par ces mots : « Si vous trouvez quelqu’un qui peut mieux faire vous me l’amenez » .
La bonne question est-elle « quelqu’un » ? Ou plutôt « quelle autre politique » ?
Et peut-il exister une autre voie que celle de la rupture avec l’Europe des traités qui produisent inévitablement les désastres à la Gandrange....
[1] Expression du PDG de l’époque, Guy Dollé.
[2] Selon le magazine Forbes, Lakshmi Mittal aurait une fortune évaluée en 2007 à 32 milliards de dollars. Il arrive juste derrière le suédois Ingvar Kamprad qui possède Ikea et dont la fortune est évaluée à 33 milliards, le mexicain Carlos Slim Helù qui dans la communication a accumulé 49 milliards, puis Warren Buffet qui dans la finance « pèse » 52 milliards et enfin le N°1 Bill Gates auquel la technologie a rapporté 56 milliards.
[3] Le numéro un mondial de l’acier a en effet réalisé un bénéfice net de 2,96 milliards de dollars soit 2,155 milliards d’euros, au troisième trimestre 2007, en hausse de 35,6 % par rapport à la même période en 2006. De son côté, le chiffre d’affaires sur la même période a progressé de 15,6 % à 25,524 milliards de dollars soit 17,47 milliards d’euros.
[4] Les investissements étrangers devaient y être soumis à autorisation préalable (on pouvait donc refuser une OPA) et une entreprise française ne pouvait délocaliser une activité sensible également sans autorisation.