- Le combat pour une « Europe démocratique » ne relève-t-il pas du simple mot d’ordre dans les faits vide de sens, dés lors que nul ne dit la forme que cette Europe peut et doit prendre. Et pour cause. En réalité, une « Europe démocratique », cela signifie un cadre dans lequel s’impose le pouvoir de la majorité des Européens. Et là commence le casse-tête. Quelle solution en effet pour y parvenir ?
-Première solution pour tenter d’asseoir le pouvoir démocratique des européens : la dissolution des nations et le regroupement des différents peuples, réunifiés pour l’occasion sous le label de peuple européen, dans un espace plus vaste. Nul n’indique comment parvenir à un tel objectif. Pas plus le Parti de Gauche, car tout le monde comprend bien le caractère fictionnel d’un tel scénario. Il faudrait pour cela balayer quelques centaines d’années d’histoires diverses, jeter par-dessus bord les spécificités qui ont permis aux différents peuples de se constituer comme tel, balayer pour ce qui nous concerne les grands moments qui vont de 1789 à 1848, de la commune de Paris à 1936… Soit dit en passant, c’est bien au nom d’une telle conception de l’Europe soit disant démocratique qui devrait passer sur le corps de la république que les gouvernements successifs tentent d’imposer, traités après traités, la constitution européenne que le peuple français a rejetée….
-Deuxième solution pour asseoir le pouvoir démocratique des européens, l’expression de la volonté majoritaire par le biais des gouvernements élus dans chaque pays. Mais la conséquence est alors immédiate : les volontés du peuple français exprimée le 29 mai 2005, du peuple Hollandais, ou dernièrement du peuple Irlandais ne pourront être reconnues. A supposer que les gouvernements des pays concernés respectent le mandat donné par le peuple, comme ils sont minoritaires dans l’assemblée des chefs d’état de l’union européenne, c’est donc une politique radicalement opposée à celle qui correspond à la volonté populaire qui serait légitimement appliquée. Une telle solution entraînerait de facto la mise en œuvre de la constitution rejetée. Là encore la souveraineté des peuples serait bafouée !
Il ne sert à rien de tourner, par souci d’adaptation au climat et au débat général, autour du sujet : quel que soit le cas de figure retenu, on ne peut réclamer le respect de la volonté DES peuples et en même temps mettre en avant le mot d’ordre d’Europe démocratique. Il y a contradiction, l’Europe étant une entité qui s’oppose à quelque niveau que ce soit à la souveraineté populaire. Cela parce qu’il n’existe pas un peuple européen, mais différents peuples dans un espace géographique qui se nomme l’Europe et dans lequel existe, comme produit de l’histoire, des nations. Dés lors, la question de la démocratie en Europe est-elle séparable de la démocratie dans les nations qui constituent l’Europe ? N’est-ce pas là que la question doit être posée, dans la reconnaissance des nations appelées à coopérer entre elles sur les sujets qui correspondent à la volonté des différents peuples européens.
- Le combat pour une « Europe sociale », bien qu’apparemment plus simple, pose en réalité les mêmes questions. Le Parti de Gauche préconise la rupture avec le traité de Lisbonne, au nom du vote français et de l’opposition au principe de « concurrence libre et non faussée ». Encore un petit effort, aurions-nous envie de proposer, sous forme de boutade. Car, comme nous l’avons exprimé ici même, notamment sur la question des « services publics et de la liquidation du bien commun » - Lisbonne n’est qu’un moment dans la pléiade de traités européens qui remettent en cause les droits et acquis des peuples. C’est toute la construction européenne depuis le début, souvent laissé de façon très consensuelle sous silence, qui est en cause. De l’article 3 du traité de Rome[1] à l’article 30[2], de l’article 37[3] à l’article 67[4] sans oublier l’article 85[5] qui instaure la fameuse « la concurrence libre et non faussée », ou l’article 90[6] qui organise la liquidation des services publics.
En réalité, comment appréhender la question européenne sans partir des impératifs politiques précis. La reconquête des services publics, la remise sur pied d’un vaste plan de développement industriel, la sauvegarde de notre système de santé et de protection sociale, l’emploi et le salaire, l’éducation nationale et la laïcité, pour ne citer que quelques objectifs sociaux immédiats nécessitent non une « Europe sociale » fantasmée, mais une rupture radicale avec la construction européenne inscrite dés le départ dans les traités constitutifs, depuis celui de Rome.
Il n’y a là rien d’autre que le contenu du vote exprimé le 29 mai 2005. Le respect de la souveraineté populaire n’impose-t-il donc pas d’affirmer :
-que nous avons des besoins.
-que les moyens existent pour les satisfaire.
-que tout n’est que choix politique, de la nécessité de prendre des mesures protectionnistes ciblées aux coopérations décidées librement.
-que le cadre national est le cadre naturel qui permet d’établir les nécessités et de combattre pour les satisfaire.
-que l’internationalisme hors de la reconnaissance de ce cadre n’a aucun sens.
Sous cet angle, la présentation de listes aux élections européennes mérite discussion. Il est toujours possible de présenter des listes à toute élection, dés lors que le programme est clair. Jaurès n’avait-il pas lui-même indiqué l’utilité du jet d’encrier à la chambre, pour marquer sa différence ? Mais hors d’une position clairement affirmée, partant des besoins qui imposent la rupture, la présentation de listes qui s’assigneraient le gauchissement de l’institution n’a-t-elle pas pour sens la caution à une construction européenne contraire à la souveraineté populaire ? Dés lors, pour qui voter ? Le camp majoritaire du peuple français qui d’élection européenne en élection européenne a décidé de ne pas en faire son affaire ne dégage-t-il pas la voie la plus cohérente pour les scrutins à venir ?
Jacques Cotta
[1] Cet article indique notamment « l’abolition, entre les états membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». Dans le même article, est fixé l’objectif de « l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun ».
[2] L’article 30 interdit toute restriction aux importations.
[3] Cet article décide de mettre fin « aux monopoles nationaux présentant un caractère commercial ». C’est à partir de là que les privatisations des services publics ont été engagées et considérées comme légitimes, leur maintien à terme comme illégal.
[4] Il indique « Les états membres suppriment progressivement entre eux, pendant la période de transition et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les restrictions aux mouvements de capitaux appartenant à des personnes résidant dans les états membres ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement ».
[5] Cet article stipule que « Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’association entre entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun… ».
[6] Cet article dit clairement : « 1-Les états membres en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 7 à 94 inclus. 2-Les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt économique général présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence. 3-La commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en tant que besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres ».
Sans esprit de polémique, lier le changement social à une « Europe » - et il n’y en a qu’une qui existe : celle des traités de Rome, Maastricht, Amsterdam et Lisbonne - jugée incontournable par UMP et le PS, est curieux et aberrant.
C’est vouer la classe ouvrière française (la problématique serait la même pour un autre pays de l’U.E) à une impuissance certaine.
Donner en perspective prioritaire un « front » sur ce mot d’ordre peut peut-être faciliter une forme de « leadership » sur toutes les formations, et elles sont nombreuses, à commencer par le PCF, qui ont une orientation proche mais ne résout pas la question : comment répondre aux besoins des salariés ?
Une telle constellation ne fera pas pâlir la couronne mariale.