Lors de sa création le PG a adopté par acclamation une stratégie concoctée dans les marmites de PRS depuis longtemps, la stratégie du « front de gauche » dont la première expression devrait être la constitution de listes unitaires du « front de gauche » lors des prochaines élections européennes. Cette stratégie suppose que les catégories de droite et de gauche aient gardé un sens, ce qui est loin d’être évident. Mais, même en admettant que ces catégories aient encore un sens, on peut tout de même questionner cette stratégie.
Quand on lit les documents du PG – peu explicites en général – il y a en gros deux formulations du front de gauche : le « front de la gauche de transformation sociale » et le front de « toutes les forces politiques à gauche qui combattent la ratification du traité de Lisbonne. » La première formulation est évidemment parfaitement creuse. Même le PS se dit pour la transformation sociale (voir sa dernière déclaration de principes). Et, à dire vrai, on trouve bien peu de partis qui seraient pour la non-transformation sociale. La droite elle-même se dit réformatrice et le mot « conservateur » est devenu un gros mot – c’est une des injures courantes qu’on adresse aux classes populaires que les extravagances des réformateurs de tout poil ne séduisent pas. On se permettra de rappeler que la principale force de transformation sociale, la force active, celle qui ne se contente pas de proclamations à la tribune des meetings, c’est le capitalisme lui-même. Dans le Manifeste communiste, on peut lire ceci qu’il faudrait méditer sérieusement : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. » Nous avons eu l’occasion de poser clairement les problèmes, mais aucune discussion ne s’ouvre dans ce « front de gauche ». Or, si on est pour « la transformation sociale », il faut dire clairement pour quelle transformation sociale on se bat, c’est-à-dire pour quel genre de société :
- Une société demeurée capitaliste avec de plus ou moins fortes corrections redistributrices et une intervention de l’État dans l’économie – en gros donc un keynésianisme social ;- Une société « socialiste » avec concentration de la propriété entre les mains de l’État (à la mode des ex-pays du « bloc socialiste » ;
- Une société communiste, c’est-à-dire basée sur la propriété commune des travailleurs (une « république autogérée », par exemple, selon la formule des camarades d’Utopie Critique ou toute autre formule de ce genre) ;
- Ou toute autre formule encore inédite – s’il est possible d’en trouver.
Cette question est loin d’être secondaire. Voilà une bonne quinzaine d’année que j’ai entrepris de critiquer les équivoques du néo-keynésianisme et de tous les bavardages sur l’antilibéralisme (il suffit de voir l’embarras et les contorsions de Cassen et Ventura dans leur dernier opus pour le comprendre). Comme par ailleurs peu nombreux sont ceux qui veulent rebâtir un socialisme du type de l’ex-URSS, il serait bon se demander ce qu’on veut et ce qui est possible. Évidemment, si on se propose seulement la énième combine électorale qui se terminera en déconfiture, toutes ces questions peuvent être balayées d’un revers de main. On peut mettre sur la même liste les Alternatifs, ultimes rescapés de feu le PSU et les communistes buffétistes, un groupuscule qui ne représente que lui-même (et encore) et s’occupe surtout de « sortir du nucléaire » et l’appareil d’un parti en voie de nécrose avancée qui s’arc-boute sur ses positions municipales et on baptise tout cela front de transformation sociale. Mais ce ne sera pas un front et il ne transformera rien.
Admettons maintenant que le front de gauche ne soit pas une stratégie à long terme mais une tactique à court terme pour une action unique : lutter contre la ratification du traité de Lisbonne. En ce cas, on voit mal pourquoi ce front se limiterait à la gauche. Pour la bonne cause, il faut être prêt à faire alliance avec le diable et même avec sa grand-mère. Certains groupes classés à droite sont tout à fait hostiles au traité de Lisbonne (par exemple le groupe du député Nicolas Dupont-Aignan). La réponse est connue mais non dite : pas d’alliance avec les souverainistes et pas d’alliance avec la droite. En fait pour le PG, c’est la souveraineté qui est le véritable problème. Et le « front de gauche » apparaît ainsi comme un front anti-souveraineté. On se demande aussi pourquoi l’alliance avec le MRC de Jean-Pierre Chevènement ne figure pas parmi les objectifs stratégiques du PG. Peut-être exactement pour les mêmes raisons.
Mais laissons encore de côté la composition du front. Comment peut-on lutter contre la ratification du traité de Lisbonne alors qu’il est déjà ratifié ! Il faudrait exiger la dénonciation du traité de Lisbonne, c’est-à-dire que le gouvernement français retire sa signature. Admettons maintenant que le gouvernement français dise : « D’accord, sénateur Mélenchon, comme les Irlandais n’en veulent pas, on arrête tout ». On sait que ce n’est pas la voie choisie puisque les Irlandais sont condamnés à revoter jusqu’à ce qu’ils votent bien. Mais faisons un peu de politique fiction. Admettons donc que le traité de Lisbonne soit annulé. Cela changerait-il quoi que ce soit à la situation des ouvriers, des employés, des services publics ? Non car la liquidation des services publics est actée dans un accord de 2002 (accord de Barcelone), signé par le gouvernement Jospin … dont Mélenchon était membre. Enfin on peut se demander même si la participation à ces élections pour ce pseudo « parlement » européen ont un sens. Après tout, nous avons voté en 2005 ! Pour quelle raison faudrait-il continuer de participer à des votes qui ne sont que des mascarades?
Donc la stratégie du « front de gauche » est confusionniste au plus haut dégré et n’ouvre aucune perspective indépendante sérieuse. Sauf à penser que la stratégie de Mélenchon est la même que celle de Lafontaine : agglomérer une «gauche de gauche» assez forte pour faire pression sur le PS et négocier le moment venu une alliance avec les amis de Martine Aubry… Le PG ne serait qu’une fausse sortie, préparant des alliances avec le PS, exactement comme Die Linke est allié au SPD à Berlin et collabore à la mise en œuvre d’une politique d’austérité contre laquelle les enseignants se sont dressés par la grève. On nous reprochera de faire des procès d’intention. Mais si les intentions étaient clairement affichées et non déguisées dans le vocabulaire équivoque et archi-usé de la vieille gauche, le PG ne risquerait pas de tels procès.
Ce qui m’avait frappé à la lecture des discours de JL Mélenchon et M Dolez lors du meeting de lancement du PG, c’est cette espèce d’amnésie quant au rôle réactionnaire joué par la gauche lors des 25 dernières années.
C’est pourquoi je me suis permis de rappeler que la création de la première franchise médicale, le forfait hospitalier, date de 1983.
On pourrait constater que, souvent, la gauche a innové (certains diront : brisé les tabous).
JL Mélenchon brandit comme un trophéela CMU mais se tait sur la politique qui l’a nécessité (curieusement le RMI considéré aussi comme un fleuron de gauche n’apparaît plus dans les discours, sans doute pour cause de RSA).
Evidemment, ce bilan critique, ne valoriserait pas l’action des ministres de gauche plurielle dont JL Mélenchon et MG Buffet, des fameux écologistes appelés très particulièrement à rejoindre les rangs du PG dans le discours de JL Mélenchon.
Au final, ne peut-on pas se poser la question sur un parti qui emploie toutes ses forces sur un front qui a pour seul but une élection traditionnellement peu investie par le peuple…tandis que celui-ci coule.