Dans la « pratique politique moderne », les déclarations de principes n’auraient de valeur que pour ceux qui voudraient bien les prendre au sérieux. Justement, nous sommes de ceux-là. Partir des idées n’est-il pas le meilleur moyen d’échapper aux relations qui ont cours bien souvent dans les formations politiques, qui substituent au débat sur le programme les ambitions des chefs, les batailles de personnes, les écuries qui se détestent…. Ainsi, l’analyse d’une des déclarations fondatrices du Parti de Gauche « la société que nous voulons » et sa comparaison à la déclaration de principes du parti socialiste adoptée le 14 juin 2008 méritent discussion pour tenter de cerner la trajectoire prise justement par le Parti de Gauche.
Première constatation : Dans l’une et dans l’autre, le lecteur trouvera très exactement, dans les expressions utilisées, des repères de « gauche », comme il est coutume de dire tant au Parti socialiste qu’au Parti de gauche. Par exemple, dans celle du parti socialiste, il notera que celui-ci « porte un projet de transformation sociale radicale ». Ce qui devrait en toute logique, si les mots avaient un sens, lui donner une place de choix dans le « front de transformation sociale » que les responsables du parti de gauche préconisent. Difficile là de trouver un clivage identifiant.
Deuxième constatation : les termes eux-mêmes semblent interchangeables.
- Le Parti Socialiste se déclare « républicain » pour une « démocratie politique et une démocratie sociale », le Parti de Gauche se prononce pour une « refondation républicaine de la démocratie ».
- le Parti Socialiste se dit « parti laïque » et « féministe ».Le Parti de gauche affirme son attachement à « la laïcité », « l’égalité entre hommes et femmes ».
- Le Parti Socialiste s’affirme au service des hommes et de la planète » et pour « le développement durable », le Parti de Gauche déclare sa détermination à « préserver les écosystèmes planétaires pour préserver l’humanité elle-même ».
- Le Parti Socialiste se dit « un parti européen » partisan d’une « Europe politique, démocratique, sociale et écologique », le Parti de Gauche –dont nous avons précédemment analysé les positions- affirme que « le changement de société auquel il aspire passe par une autre Europe » et dit vouloir « une réorientation profonde de l’Union européenne afin d’en faire un espace démocratique et social respectant la souveraineté populaire ».
- Le Parti Socialiste se prononce « pour la redistribution permanente des ressources et des richesses », le Parti de Gauche se prononce « pour une redistribution des revenus entre le capital et le travail ».
- Etc...
- Troisième constatation : les similitudes vont jusque dans les intentions affichées par l’un et par l’autre. Ainsi, le Parti de gauche « a vocation à devenir majoritaire et à prendre des responsabilités gouvernementales en s’appuyant sur une mobilisation massive, populaire et citoyenne » pendant que le Parti socialiste, « entend exercer les responsabilités de gouvernement, à tous les niveaux, afin de changer la société ». L’un et l’autre affirment d’ailleurs que la question est celle du leadership, le premier entraînant légitimement les autres. S’agit-il déjà de l’annonce de retrouvailles futures?
Une première conséquence s’impose. Pour permettre de s’y retrouver, il faut quitter les généralités et affirmer en quoi le nouveau parti de gauche se distingue, tranche avec le parti socialiste. Evidemment, les mots d’ordre, les priorités, les axes de bataille contre le gouvernement de Nicolas Sarkozy pourraient sembler suffisants. Mais là encore rien ne permet vraiment de distinguer l’un de l’autre. Qui a par exemple affirmé son intention « dans l’immédiat », de « nous opposer frontalement à la politique de la droite dans tous les domaines et par tous les moyens d’actions républicains à notre disposition » ? Le Parti de Gauche ? Le Parti Socialiste de Martine Aubry ? Les deux !
En réalité, la question qui se pose est de savoir si les similitudes entre la déclarations de principes du Parti de Gauche et du parti Socialiste ne sont qu’hasardeuses, ou au contraire, si elles expriment des convergences sur le fond. Cela pour le moins mérite discussion. En d’autre terme, la déclaration du Parti de Gauche est-elle en rupture avec celle du Parti Socialiste, ou est-elle de même nature ?
Pour nous éclairer, l’objectif affirmé par l’un et par l’autre permet d’y voir plus clair. Il dépasse la simple similitude des termes pour dégager une orientation politique assez proche l’une de l’autre.
- Le parti socialiste affirme : « Le but de l’action socialiste est l’émancipation complète de la personne humaine ».
- Le parti de Gauche affirme : « Nous voulons l’émancipation globale de la personne humaine ».
Mais qu’est-ce donc que cette « personne humaine » si chère à la fois à l’un et à l’autre ? La personne est une notion juridique et morale. Une personne émancipée est une personne qui jouit de toutes les libertés civiles et le cas échéant politiques. Pourquoi donc centrer, tant au Parti Socialiste qu’au Parti de Gauche[1] sur cette fameuse « personne humaine » dont soit dit en passant le capitalisme a réalisé l’émancipation globale en dégageant les individus des liens traditionnels de caste, d’obéissance aux lois de la famille, etc.… Mais le capitalisme a réalisé cette émancipation au compte de l’exploitation et de l’extorsion du profit. Et c’est cela que cache en réalité la « personne humaine ». Le concept de « personne humaine » aboutit à ne pas centrer le combat sur le système capitaliste lui-même qui organise l’aliénation et l’exploitation des individus vivants, à ne pas partir des classes sociales, donc des rapports de production. En effet, à l’émancipation « complète » de « la personne humaine » du parti socialiste, le parti de gauche aurait été plus inspiré d’opposer « l’émancipation des individus exploités et aliénés par le système capitaliste », en appuyant sur « l’émancipation sociale » qui place au cœur le combat contre les rapports sociaux de production capitaliste.
En l’état, les termes utilisés par le Parti de Gauche peuvent sembler « gauchir » ceux du parti socialiste. Mais quid sur le fond ?
« Pour atteindre l'objectif d'émancipation que nous visons, nous ne pouvons ni accepter ce système, ni nous contenter de l’amender et de l’humaniser ; nous devons le dépasser et proposer un autre développement qui fixe de nouvelles limites à la sphère marchande, ouvre de nouvelles perspectives à la sphère publique, propose de nouvelles formes de propriété de l’entreprise plus démocratiques, transparentes et plus relocalisées » peut-on lire dans la déclaration du Parti de Gauche. On notera la volonté de ne « pas amender », mais on ne trouvera trace de l’objectif historique du mouvement ouvrier organisé « de renverser le capitalisme », de « transformer les rapports de propriété », de « socialiser les moyens de production et d’échange » comme le disaient pourtant les mêmes dans le PS lorsqu’ils en étaient l’opposition[2]. On parle de « dépasser le capitalisme ». Dépasser ? S’agit-il d’aller plus vite ? Encore un mot qui permet toutes les interprétations, les plus vagues, les plus contradictoires. L’objectif est de proposer « un autre développement qui fixe de nouvelles limites à la sphère marchande ». S’agit-il d’un capitalisme revivifié ? Sans doute pas puisque la volonté de ne pas humaniser le système, de ne pas l’amender est exprimée. Alors, de quoi s’agit-il ? Comment retrouver un nouveau développement sans remettre en cause les rapports de production, la propriété privée, sans remettre en cause en définitive, sinon parfois dans les mots, mais pas dans les faits, le capitalisme lui-même ? Et que signifient « les nouvelles limites à la sphère marchande » ? Nicolas Sarkozy s’y est déjà employé en élargissant la sphère en question. On nous indique qu’il faut de « nouvelles formes de propriété plus démocratiques ».
Ces flous, ces généralités permettent de dégager une cohérence. Les déclarations de principes ont bien toute leur importance contrairement à ce que peuvent dire tous ceux qui ont l’habitude de s’en affranchir. Elles bornent les réponses apportées aux situations précises, et donc à la situation actuelle. Si le Parti de Gauche ne dit pas ce qui pourtant, pour les héritiers de Jaurès, voire du Mitterrand d’Epinay, devrait être naturel, c’est parce que leur déclaration de principe l’interdit. Aussi, aujourd’hui, rien sur la nationalisation du système bancaire qui permettrait par exemple de soutenir le développement d’un système de coopératives ouvrières, soustraites à la spéculation, sur la nationalisation tout court d’entreprises qui délocalisent alors qu’elles font des bénéfices, rien sur les mesures protectionnistes minimales qui permettraient de sauver pans industriels et emplois, rien sur l’expropriation de grands spéculateurs et de grands propriétaires qui se trouvent au cœur de la crise… Le Parti de Gauche se donne de fait une coloration « social démocrate de gauche » décoré à la mode altermondialiste.
Revenons en effet au Parti Socialiste. « Les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux qui a pour finalité la satisfaction des besoins sociaux essentiels. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, un secteur public efficace, des services publics de qualité accessibles à tous, un tiers secteur d’économie sociale et solidaire ». Marc Dolez avait bien raison hier de refuser de voter cette nouvelle déclaration de principes. Mais aujourd’hui ? Malgré la reconnaissance de l’économie de marché explicite au Parti Socialiste, « régulée », avec l’affirmation de « la satisfaction des besoins sociaux et d’un secteur public accessible à tous », où se trouve réellement la différence avec la Parti de Gauche? Les militants qui ont vécu au sein du parti socialiste avant la rupture « n’en pouvaient plus » disent-ils. Ils trouvent sans doute un espace de liberté dans la création du Parti de gauche. Cela est bien compréhensible, mais n’est pas le sujet. Pour ouvrir une perspective nouvelle, donc pour bâtir un nouveau parti, la question est d’abord celle du programme, des principes. Une « social démocratie » rénovée et gauchie peut-elle constituer une réponse à la crise du mouvement ouvrier, sa décomposition politique et morale ? Peut-on y voir la possibilité de répondre au désarroi des militants, des sympathisants, des syndicalistes, des travailleurs, salariés, jeunes ou retraités, qui savent d’expérience que cette voie est sans issue et qui sont disponibles pour toute proposition sérieuse ?
Voila entre autre le débat qui aurait pu se mener dans la création du Parti de Gauche, si ce débat avait été organisé largement…
Jacques Cotta
[1] La seule différence d’adjectif « complète » pour le PS, « globale » pour le PG, rend la similitude pour le moins étrange.
[2] Par exemple la motion Dolez pour le congrès de Reims.
Chapeau bas ! Remarquable travail de fond. Peu habitué à ce type de discussion, j’en restais à m’agacer autour de la « personne humaine » qui peut aussi bien signifier le patron…
Merci.