La première imposture c’est de colorier des archives originellement en noir et blanc. A quelle crédibilité historique peut-on prétendre quand on travestit ainsi des documents originaux ? Procédé qui manifeste par ailleurs un mépris du peuple télévisuel supposé incapable de regarder des images en noir et blanc, ce qui condamnerait, entre autres, le tiers de l’Histoire du cinéma avec ses chefs d’œuvre fondateurs…
Plus grave est le traitement éditorial de cette page de l’Histoire, à savoir l’ascension politique d’Adolf Hitler et de son parti. D’une certaine manière, ce documentaire est le plus beau des hommages à la propagande mise en œuvre essentiellement par Goebbels. Ses auteurs ont visiblement sacrifié à la fascination savamment entretenue par le fuhrer. Tout le film tourne autour de cela et les experts invités après diffusion par Marie Drucker ne parlèrent que de cela : l’ascendant psychologique d’Adolf Hitler sur ses proches et sur l’ensemble du peuple allemand. Si la caractérisation psychologique d’Hitler joua un rôle indéniable dans ces événements, il est fallacieux d’en faire l’élément déterminant du nazisme et de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit là d’une approche de l’Histoire pour le moins parcellaire, fondée essentiellement sur des considérations sociaux-psychologiques qui plus est traitées de la plus grossière manière.
Le seul rappel historique fondamental que l’on peut reconnaître à ce programme est le Traité de Versailles avec ses conséquences. Après cela, la conjonction de soutiens subjectifs et objectifs de tout bord dont bénéficia Hitler n’est nullement explicitée. On nous parle surtout d’Hindenburg, un peu des Krupp mais rien sur les sociaux-démocrates (on évoque une révolution spartakiste sans jamais citer Rosa Luxembourg…), rien sur l’attitude de Staline, des démocraties européennes et des Etats-Unis. Il est vrai que dans un autre épisode de cette série consacré à la défaite française et à l’occupation, la déportation des juifs de France est expédiée en quelques phrases laissant entendre que les Allemands imposèrent leurs décisions, sans même préciser le rôle, en amont de l’occupant, de l’administration vichyste !...
Certes, n’attendons pas de la télévision le rôle qui incombe à l’école mais je trouve préoccupante la légèreté avec laquelle l’audiovisuel public traite aujourd’hui de tels sujets, privilégiant le spectacle sur la connaissance. C’est de l’apprentissage de l’Histoire que les jeunes générations feront leur avenir et il est des sujets qui ne souffrent pas l’approximation et le travestissement médiatique.
Pierre Delvaux , le 1er novembre 2011
Je n'ai pas vu le documentaire en question mais votre commentaire me laisse penser qu'il est conforme à ce qui se fait en ce moment. A savoir, document spectacle et présentation orientée. La récupération de l'histoire de la seconde guerre mondiale pose problème. D'abord par son omniprésence dans les médias officiels. L'occupation et la Shoah sont mélangées à toutes les sauces. D'une part, les autres périodes historiques sont largement occultées mais celle-la même est présentée de façon superficielle. L'histoire est largement récupérée et orientée pour justifier l'existence des traités européens.
Vous faites référence aux responsabilités et aux complicités qui ont permis l'accession d'Hitler au pouvoir. On pourrait étendre le sujet à l'après-guerre et au blanchiement des anciens nazis par Adenauer. L'Allemagne fédérale a été très largement fondée, nécessité de la guerre froide faisant loi, par le recyclage des anciens cadres nazis, les criminels de guerre bénéficiant d'une honteuse impunité. Pour un Eichmann pendu à Jérusalem, 100 criminels ont pu finir leur carrière tranquillement en RFA. Sur ce sujet, les lecteurs intéressés pourront se reporter à l'excellent ouvrage d'Alfred Wahl, La seconde histoire du nazisme.
Et ce n'est certainement pas la réforme de l'enseignement de l'histoire qui instruira la jeune génération.