L’opération n’était manifestement pas innocente. Scalfari [1924], qui fit ses armes journalistiques dans la presse fasciste, (la seule autorisée !), libéral, radical, puis socialiste, est devenu une figure majeure de la vie politique italienne. Joué par Giulio Bosetti, il est le journaliste du film sur Andreotti, "Il Divo" (2008). Il fut à l’origine et à la tête des deux grands organes du centre gauche, "L’Espresso" et "La Repubblica". On connaît le rôle de ce puissant groupe de presse dans le suicide du Parti communiste italien et, après quelques avatars, dans la naissance du PD (Parti démocrate), conglomérat de centre gauche à l’américaine.
Que dit Berlinguer ? Voyons, pour aller vite. Au sortir de vingt ans de dictature fasciste et de parti unique, la Constitution de la République portait une vision positive sur l’existence des partis, dont les oppositions sont utiles si elles concourent au bien public. Cf. son article 49 : « Tous les citoyens ont le droit de s’associer librement en partis pour concourir de façon démocratique à déterminer la politique nationale ».
Bien sûr, en constatant les scandales de corruption et malversations qui compromettaient tant de politiques, il anticipait la vague purificatrice de « Mani pulite » (Mains propres) à partir de 1992 ; (pour autant, les scandales n’ont pas cessé d’éclater jusqu’à aujourd’hui, et ne sont pas pour rien dans la désaffection des Italiens à l’égard des partis…) Mais après tout, la question de l’honnêteté suspecte de la classe dirigeante est un grand classique, voire un poncif. En fait, c’est sur un autre plan, bien plus grave encore, que Berlinguer posait la question politique, en dénonçant le fait que les partis (hormis le sien, qu’il met à part, et encore…), au lieu de concourir loyalement à l’intérêt général, dont l’État est dépositaire, étaient devenus avant tout « des machines de pouvoir et de clientèles », envahissant les institutions à tous les niveaux, et totalement déconnectées de la recherche du Bien commun.
Bien malgré lui, Berlinguer, ou plutôt l’icône moralisante qu’il est devenue pour beaucoup (y compris nombre de ceux qui le critiquaient avant sa mort, en 1984) apportait ainsi de l’eau au moulin des pourfendeurs des partis et de la politique, et confortait l’expérience gouvernementale Monti, initiée en novembre 2011.
Monti prétendait récupérer l’autonomie institutionnelle mise à bas par les partis. Avec l’avènement de son gouvernement technocratique et « apolitique », l’Italie était censée entrer dans l’ère du management économique, débarrassé des inefficaces et nuisibles luttes politiques.
Austérité aidant, le consensus populaire n’a duré qu’un temps. Et Monti, plébiscité début 2012 par une opinion anesthésiée, a péniblement atteint 10 % des suffrages aux élections de février.
Paradoxalement la manipulation de la parole du dirigeant communiste, aujourd’hui transformé en idole moralisante, a nourri le double mouvement de fond vers ce que les commentateurs appellent un peu facilement le « populisme ».
Certes, la remise au premier plan de « la question morale » n’a pas profité aux mouvements groupusculaires se réclamant d’une gauche civique et morale : ils sont balayés.
Qu’en est-il au centre gauche, qui menait campagne contre Berlusconi au nom de la morale et de la propreté ?
Les espérances du PD (Parti démocrate) se sont durement heurtées aux réalités. Bersani prétendait reprendre le flambeau moralisateur de Berlinguer en faisant de son parti l’instrument majeur d’une démocratie « propre » et « réaliste » en matière socio-économique. Mais la machine électorale que le Parti démocrate est devenue, privée de l’enracinement populaire réel qui fut celui du Parti communiste italien, n’a pas pu atteindre les scores historiques antérieurs de la Gauche.
Les grands vainqueurs sont ceux que la presse désigne du nom curieux de « populistes », alors qu’il s’agit de mouvements surfant sur le refus de la politique traditionnelle et sur le charisme de leurs leaders.
C’est d’une part la poussée des disciples de Grillo, qui ne se sont pas fait faute de s’abriter derrière les propos de Berlinguer, et ont ainsi récupéré une part de l’électorat « rouge » désabusé et impatient de donner une leçon aux anciens dirigeants communistes, devenus opportunistes du PD.
C’est d’autre part la remontée impressionnante de Berlusconi. Elle ne peut surprendre que les naïfs.
Un peuple qui majoritairement s’en est remis pendant des années à un démagogue « télécrate » dont la faconde et la vitalité dionysiaque fascinaient (Berlusconi a gouverné près de dix ans, en trois épisodes), un tel peuple n’était pas mûr pour des retrouvailles avec une démocratie dont il a perdu l’habitude et le goût. Et ainsi, un homme compromis de mille façons dans des scandales de toutes sortes a pu se refaire une virginité, si j’ose dire, en prétendant balayer les partis, sources de tous les maux dont souffre la malheureuse Italie !
vraiment curieux cette impossibilité des commentateurs à appeler un chat un chat et l'effondrement de tel ou tel parti de gauche comme le produit d'un échec et/ou d'une volonté délibérée de les détruire.
au début, ces leaders pourraient invoquer leur inexpérience ou leurs fautes, mais à la longue, l'honneteté devrait reconnaitre l'expression de politiques conscientes et deliberées.
directions "socialistes" et "communistes" des trente glorieuses et au delà ont ete les fossoyeurs de leurs propres partis . les électeurs, souvent militants d'un jour à quelques années n'ont pas eu la memoire courte.
reste aux generations suivantes à reconstruire en mieux.