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"Crise des banlieues: un débat nécessaire

DISCUSSION ENTRE DIDIER MEHL ("ALTERNATIFS", MILITANT ASSOCIATIF) ET DENIS COLLIN

Par Denis COLLIN • Débat • Mercredi 30/11/2005 • 0 commentaires  • Lu 1193 fois • Version imprimable


Ce qu’on a appelé la "crise des banlieues" au début novembre n’est qu’un épisode particulièrement dramatique d’un processus en cours depuis plusieurs décennies — les premières grandes explosions remontent au début du premier septennat de François Mittérand. Didier Mehl, un des responsables des "Alternatifs" à Evreux, militant associatif et politique de longue date sur cette ville nous a fait parvenir l’éditorial du prochain bulletin de son organisation. Avec son accord nous le publions sur notre site suivi d’une réponse qui a pour but d’engager un débat indispensable. Non seulement parce qu’Evreux a été une des villes qui a connu les plus graves incidents, non seulement parce que Didier Mehl et ses amis étaient à nos côtés avec beaucoup d’autres pendant la campagne pour le "NON" et en bien d’autres occasions, mais aussi et surtout parce que nous avons besoin de réfléchir sérieusement et posément à ce qui est en cause en évitant et les postures "révolutionnaires" bavardes et le préchi-précha sociologisant déversé d’abondance sur les principaux médias.

Denis COLLIN

 

DOUCE FRANCE, CHER PAYS DE MON ENFANCE.

L’embrasement de nombreux quartiers il y a un mois bouleverse les modes de pensées. Pourtant la violence ouvrière a toujours existé : des canuts lyonnais affamés qui détruisaient leur métiers à tisser aux ouvriers du textile ardennais licenciés qui menaçaient de déverser des produits dangereux dans les rivières. Les injustices ont toujours engendré les désordres. Oui, mais les jeunes aujourd’hui, pourquoi ? Ou plus exactement pourquoi pas avant ? Au delà de certains consensus « mous » ( parentalité, emploi, ...), peut-on s’interroger au delà ?

Urbanisme dépassé.

Les centre villes sont devenus bien souvent des musées, quelques fois en fête, les quartiers sont de relégation et la subpériphérie s’ennuie. Avec des plans qui se sont empilés ( HVS, DSQ, ZEP, DSU, GPU,ZUS,...) comme autant d’épitaphes dignes de figurer sur les panneaux d’entrée ( et de sortie) des quartiers en difficultés, aucune appropriation collective de l’espace ne s’est vraiment réalisée.

Dans les années 70, beaucoup se disaient : à quoi bon se battre seulement dans l’entreprise si tout est récupéré dans la vie quotidienne ( logement, consommation, santé,...) ? Un véritable syndicalisme du quotidien a existé créant à la fois des contre pouvoirs dérangeants pour de nombreuses baronnies locales mais créant aussi de multiples liens entre les habitants.

Associations instrumentalisées.

En trente ans, les associations du cadre de vie, d’éducation populaire, ...ont été asséchés de leurs meilleurs militants . Le fédéralisme qui les a caractérisées a été battu en brèche par des pouvoirs qui ont préféré le plus proche, le plus petit ( autonomisation ), parfois le plus communautaire au détriment de véritables débats, ferment de vie démocratique.

Enseignement délaissé.

L’école sur laquelle misent encore de nombreuses familles de ces quartiers est en crise. Le pouvoir ne veut plus y mettre le paquet et ses fidèles zélateurs du ministère de l’ Education continuent de vouloir empiler pour tous savoir sur savoir et en faire des sanctuaires ( en entrant laisser vos problèmes dans le bureau du principal ). Oh, bien sûr les enseignants les plus formés, expérimentés doivent se consacrer aux élèves les plus en difficultés , plus d’écoles « ghetto », etc... Dans une école non émancipée, le ministère de l’intérieur ( !) a prévu pour « ses rebelles » : centre d’éducation encadré par des militaires retraités , centre d’éducation renforcé (CER ), prison pour jeunes ( huit sont programmées ), 60 ans après les ordonnances de 1945 qui voulaient privilégier la prévention à la répression.

Didier Mehl, enseignant, associatif quartier (anc. Pt syndicat de cadre de vie, centre socio-culturel ). Evreux

Quelques remarques, pour ouvrir le débat

1. Cerner ce qui est en cause

D.Mehl a parfaitement raison d’éliminer les explications trop générales. Les injustices engendrent le désordre, mais toutes les victimes de l’injustice ne brûlent pas la voiture de leur voisin, la pharmacie du quartier et ne "caillassent" pas le magasin du commerçant turc du coin. Avant d’en venir aux explications proposées par l’article, il est important de noter que s’il s’agit bien d’une révolte, c’est une révolte foncièrement a-politique, en ce sens qu’elle ne vise pas des adversaires politiques ou sociaux mais tout simplement le cadre des vies des révoltés eux-mêmes. Les paysans de 1789 brûlaient les châteaux, les "luddistes" anglais détruisaient les machines à vapeur qui les mettaient au chômage, les anarchistes espagnols s’en prenaient aux couvents et aux monastères. Ici rien de tel. Les profiteurs de l’injustice ont pu continuer à dormir sur leurs deux oreilles. On n’a guère brûlé de Mercédes ou de BMW (peut-être même pas celles des "dealers") mais seulement des voitures souvent fort âgées. On n’a pris d’assaut aucun palais, aucune demeure luxueuse d’un quelconque nabab de la finance, mais seulement des commerces de proximité et des écoles pour les enfants du quartier.

On a dit ces émeutes manipulées. Mais par qui ? Les dealers n’y avaient aucun intérêt : le désordre attirant la police sur le terrain des opérations n’est pas bon pour le business. Les islamistes ? Là où ils sont forts (comme à Mantes la Jolie) les quartiers sont restés à peu près calmes. Les choses sont plus simples et plus tragiques : les "émeutiers" s’en sont pris à eux-mêmes, à l’image d’eux-mêmes renvoyée par leurs quartiers. à l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de formuler des revendications politiques. Révolte auto-destructrice et révolte aliénée de bout en bout et dans tous les sens du terme.

2. L’urbanisme

La première explication avancée par l’article porte sur l’urbanisme. On ne peut que suivre Didier Mehl sur ce point. La ville comme lieu de sociabilité, comme lieu politique par excellence, est en pleine décomposition. La banlieue pour ceux qui sont mis au ban de la société, les centres réservés à la classe moyenne supérieure, avec l’explosion du cours de l’immobilier. La rénovation des quartiers sous toutes ses formes a échoué parce qu’elle n’a jamais été autre chose qu’une entreprise de peinture et de ravalement des façades, laissant intact le fond du problème.

Mais l’urbanisme ne fait que refléter des transformations sociales plus profondes. L’accroissement extraordinaire des inégalités sociales, la "révolte des élites" contre la solidarité et la redistribution, et même les moyens de communication physiques (TGV, avion) ou virtuels (internet haut débit, ect.) transforment progressivement nos sociétés en sociétés de castes où ceux "d’en haut" peuvent maintenant vivre sans plus jamais croiser "ceux d’en bas". La ségrégation spatiale — voir les discours sur la "mixité sociale" — n’est qu’un aspect d’un processus global dont les racines résident dans les transformations du mode de production capitaliste.

3. Les associations transformées en relais du pouvoir

D.Mehl dénonce à juste titre encore l’instrumentalisation du mouvement associatif. Le mouvement associatif (associations de locataires, associations d’éducation populaire) s’est construit comme une partie du mouvement social, lié souvent aux syndicats et aux partis de gauche. Au fil des années, il s’est transformé en substitut de l’action gouvernementale dans le domaine social. Disons le nettement : ce sont gouvernements de gauche qui ont enclenché le mouvement, vidant ainsi l’associatif de sa charge démocratique et le transformant en courroie de transmission des pouvoirs publics, les responsables des associations se transformant en chasseurs de subventions et de partenariats. Il faut dire aussi que cette transformation est liée à l’affaissement des partis de gauche traditionnels, vieillissant, perdant leurs militants qui étaient souvent les piliers de ce mouvement associatif. Là encore la solution demande sans aucun doute de reconstruire une perspective politique globale.

4. L’école

C’est sur ce dernier point que l’article de D.Mehl pose vraiment problème. Il écrit ! "L’école sur laquelle misent encore de nombreuses familles de ces quartiers est en crise." Rien de plus juste. Mais la suite est fort discutable. "Le pouvoir ne veut plus y mettre le paquet et ses fidèles zélateurs du ministère de l’ Education continuent de vouloir empiler pour tous savoir sur savoir et en faire des sanctuaires ( en entrant laisser vos problèmes dans le bureau du principal )."

Il me semble que cette appréciation est erronée à plusieurs points de vue. Tout d’abord l’idée que l’école empile de plus en plus de savoirs est fausse. Elle empile de plus en plus d’occupations para-scolaires et de pseudo-savoirs au détriment des savoirs fondamentaux. Les "réformes" successives ont laminé l’enseignement du français, c’est-à-dire du moyen de comprendre la réalité et d’exprimer ses idées et ses revendications. L’enseignement scientifique lui aussi a été largement sacrifié et, après le bac, on assiste à une véritable "crise des vocations" scientifiques. La "pédagogie moderne" avec "élève au centre" a causé des ravages considérables, laissant les enfants désemparés, sans repères, sans habitudes de travail. Le "tout internet" qu’on pratique de plus en plus non seulement aggrave l’écart entre ceux qui ont des parents "branchés" et ceux dont les parents sont "out" mais il désapprend à lire et à penser. Les premières victimes ne sont évidemment pas les enfants de la "upper middle class" qui trouvent dans le milieu familial de quoi compenser ce que l’école n’enseigne plus, mais les enfants des pauvres qui ont moins de chances que jamais de réussir scolairement. Si on veut sérieusement s’attaquer à la crise de l’école, il faudra mettre sur la table le bilan de la politique de gauche (reprise par la droite), le bilan des ZEP, le bilan des réformes empilées les unes sur les autres qu’on se refuse à évaluer. Et comprendre enfin que le "pédagogisme" et "l’apprenant qui doit apprendre par lui-même" ne sont que les variantes scolaires de l’idéologie néolibérales qui a empoisonné les cerveaux de beaucoup de militants et responsables de gauche.

En second lieu, il y a belle lurette que l’école n’est plus un "sanctuaire". Les intervenants extérieurs ne cessent d’y défiler sous les prétextes les plus variés. Les entreprises viennent y faire leur marché. Les groupes de pression se multiplient. Les inégalités de contenus enseignés s’aggravent suivant les villes, les quartiers. S’il faut faire quelque chose, ce n’est pas ouvrir encore plus l’école, ce n’est pas la transformer encore plus en champ de bataille, c’est la "re-sanctuariser" ! C’est-à-dire en refaire un endroit de paix, le plus à l’abri possible du monde extérieur, un endroit où les enfants ne sont pas là parce qu’ils sont marqués "ZEP" ou autre chose, un endroit où on étudie, on s’instruit des choses de l’esprit et aussi un endroit on peut enseigner la littérature classique aux enfants d’immigrés africains autant qu’aux fils et filles des médecins, ingénieurs, avocats et professeurs qui, connaissant les bonnes stratégies, ont des niches ménagées exprès pour eux à l’intérieur de "l’école unique". Et si on veut que les professeurs restent dans les collèges de ZEP, ne fassent pas ce métier pour avoir des points supplémentaires pour la mutation, le mieux est de supprimer les ZEP, redessiner la carte scolaire, organiser le brassage et rétablir l’ordre, notamment dans les collèges. Bref, reconstruire l’école républicaine, vouée à l’instruction publique et non aux farces et attrapes modernistes.

Cette question est un concentré des questions sociales et politiques. Il faudra tout de même qu’un jour les gens de gauche et d’extrême gauche se demandent pourquoi leurs géniales inventions "libertaires" en matière scolaire ont été récupérées avec autant de rapidité et même de gourmandise par la droite et le patronat.

En conclusion

Sur toutes ces questions, nous avons du mal à agir et à mobiliser fondamentalement parce que nous n’avons pas les idées claires. Alors commençons par le commencement, c’est-à-dire par savoir ce que nous voulons. A l’échelon local, c’est parfaitement possible. Dans notre bonne ville d’Evreux, par exemple, nous pourrions aisément nous mettre d’accord, au-delà de nos divergences et de nos sensibilités parfois différentes, pour trouver des lieux et des temps de réflexion commune. Et c’est comme cela, par en bas, que pourra se construire le programme de reconstruction d’une gauche véritable, républicaine, progressiste et socialiste.

Denis COLLIN

 


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