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Sarkozy n’est pas Le Pen

Par Denis Collin • Actualités • Dimanche 01/01/2006 • 2 commentaires  • Lu 3355 fois • Version imprimable


L’association Act’Up a cru faire un bon coup en diffusant une affiche représentant Nicolas Sarkozy et titrée « Votez Le Pen ». Détournement d’image douteux qui a surtout une signification politique précise sur laquelle il faut s’arrêter parce qu’elle va bien au-delà des provocations dont l’association est coutumière.

 

Commençons par Le Pen : la farce du fascisme

Le Pen joue un rôle bien défini dans la vie politique française depuis le début des années 80. C’est le croquemitaine pour faire obéir les enfants. De l’extrême gauche à la droite socialiste, tous y sont allés de leur couplet : Le Pen était la résurgence du nazisme contre lequel tous devaient faire bloc : « F comme fascisme, N comme nazisme » criaient à tue-tête la LCR et son satellite de « Ras l’Front ». En fait, l’antilepénisme a servi d’idéologie à une gauche en plein désarroi et dont la politique sociale se droitisait chaque jour un peu plus. Incapables d’attaquer la droite sur son programme - et pour cause : les convergences avec leur propre politique étaient visibles pour tous les citoyens - les socialistes l’ont accusée de « faire le jeu de Le Pen » ou encore la sommait de « refuser les voix lepénistes ». Au moment du référendum sur le traité de Maastricht (1992), la direction de SOS Racisme, Dray, Désir, Boutih and Co, appelait à voter « oui » au motif très subtil que Le Pen votait « non » et par, par voie de conséquence, les partisans du « non » ne pouvaient être que des crypto-lepénistes. Un argument qui a encore beaucoup servi le 29 mai 2005. Les médias ont joué leur partition : après avoir propulsé Le Pen, ils sont devenus anti-lepénistes, les bobos de Canal+ en tête.

L’histoire se répète toujours deux fois, la première comme tragédie, la seconde comme farce, disait (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte). Relativement aux tragédies du siècle dernier, le lepénisme n’était qu’une farce minable. Et ceux qui appelaient à refuser les voix du FN ont été les premiers en profiter : les analyses électorales montrent qu’au deuxième tour les électeurs du FN se répartissent dans une proportion de 60/40 entre la droite et la gauche. En 1997, la gauche revient par surprise au pouvoir grâce au maintien du FN dans une soixantaine de circonscriptions et Le Pen lui-même disait à qui voulait l’entendre qu’il préférait « l’internationaliste Jospin » au « traître Chirac ». Et quand Le Pen devance Jospin en 2002, il en est le premier surpris. Entre les deux tours, il confie à des journalistes que l’élimination du candidat socialiste est un coup de Chirac qui aurait propulsé la candidature Taubira, laquelle a pris à Jospin les quelques pourcents qui lui auraient permis d’être qualifié pour le second tour et peut-être de battre un Chirac qui ne réalisa que le score calamiteux de 19% des votants (14% des inscrits). On a appris par la suite que la candidature Taubira, comme celle de Besancenot, était le fruit des manoeuvres très subtiles de Jospin, conseillé en ce domaine par son vieux camarade Cambadellis, expert en élections depuis l’époque où il bourrait les urnes pour les élections de la MNEF...

Même si une partie de ses cadres fondateurs viennent du PPF de Doriot, le FN n’a jamais été un parti fasciste ou nazi. Les deux seuls vrais partis de ce genre, le PPF et le RNP de Marcel Déat n’ont jamais eu de base populaire et leur gloire éphémère s’est limitée à la période de Vichy. Ni les Croix de feu de La Roque, ni les Chemises vertes de Dorgères n’étaient à proprement parler fascistes et l’Action Française n’a jamais été plus qu’un groupuscule activiste. Le FN est l’héritier d’une partie du vieux courant réactionnaire, hostile à la démocratie et xénophobe qui a toujours existé dans l’histoire de la République en France. Mais il lui manque les caractéristiques essentielles des partis fascistes ou nazis.

Tout d’abord, il ne se présente pas comme un parti « révolutionnaire » mais bien comme un parti de conservation des « valeurs traditionnelles », avec une forte empreinte xénophobe. Le Pen a commencé sa carrière avec Pierre Poujade - dont on a oublié la virulence réactionnaire et les attaques antisémites contre Mendès France - et il est le digne héritier de ce courant auquel il a réussi à amalgamer la rancoeur tenace de certains rapatriés d’Algérie. Le programme lepéniste est d’ailleurs non pas un programme fasciste mais le programme « national libéral » du boutiquier qui ne veut pas de la bureaucratie, des impôts et de tous ces paresseux de fonctionnaires, mais souhaite un État fort pour le protéger contre les dangers extérieurs.

Une composante essentielle du fascisme et du nazisme est l’action violente, fondée sur des milices bien organisées et capables de faire régner la terreur. Tout cela manque aussi au FN. Son service d’ordre central est très fort quand il s’agit de jeter à la Seine un immigré isolé, mais ne s’est jamais risqué à s’en prendre aux locaux syndicaux, à casser les grèves ou à attaquer les mosquées. Les occasions ne lui ont pas manqué : par exemple les grèves dans les services publics auraient pu être le terrain rêvé pour des provocations fascistes. Mais le FN n’a pas osé. Les quelques rassemblements « d’usages mécontents » en 1995 ont tourné à la pantalonnade et le FN du reste n’en était pas l’organisateur ! Le FN est comme un poisson dans l’eau dans les campagnes électorales et le plus grand plaisir de son chef est d’y semer la perturbation par ses déclarations. Mais Le Pen reste un vieux routier de cette IVème république qu’au fond de lui il doit regretter.

Pour toutes ces raisons, le FN est incapable de mobiliser une frange significative de la jeunesse. C’est une troisième caractéristique qui le distingue des partis fascistes. Ses relais dans l’intelligentsia sont ridicules. Les forces sociales qui l’appuient sont surtout un agrégat de mécontents complètement dépassés par l’évolution de la société et dont les ressorts sont la peur et le ressentiment. Ce ne sont en aucun cas des forces sociales aptes à renverser la démocratie et à établir un régime fasciste. La haute finance ne mise pas un dollar sur le FN. Enfin, en dehors des élections, il n’a réussi aucune percée réelle chez les ouvriers qu’il n’organise pas. Marine Le Pen a tenté de moderniser le discours du FN de façon à mieux s’orienter vers les « forces vives » (jeunes, salariés) mais elle a été très vite disgraciée.

Au total, le FN n’est un danger véritable que pour ceux qui s’amusent à se faire peur ou utilisent cette peur pour de minables manoeuvres. Une récente enquête TNS-SOFRES a donné lieu à une intéressante manipulation médiatique de la part de l’ineffable Le Monde. L’enquête réalisée après les « émeutes » de novembre traduit nettement le recul du terreau idéologique classique du FN, ce qui n’a pas empêché le scribouillard de service d’expliquer que les chiffres marquaient la « lepénisation des esprits ». Qu’on en juge.

Le première question demandait si « on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France » - question bien vague et derrière laquelle on peut mettre ce qu’on veut [1]. Sur cette question, le pourcentage est stable depuis 2000. « La justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants » : 71% d’accord en 2003 ... et 70% aujourd’hui, juste après les émeutes ! Et là encore, il n’est pas nécessaire d’être lepéniste pour le penser. « Il y a trop d’immigrés en France » : là on passe de 59% à 63%, mais le contexte de l’enquête doit y être nettement pour quelque chose. Cependant à la même question 71% des Français répondaient « oui » en 1995. Plus intéressant : à la question « Il faut donner beaucoup plus de pouvoir à la police », le pourcentage des avis favorables passe de 64% à 49% entre 2000 et 2005 tandis que les opinions opposées passent de 32% à 48% et ce, encore une fois, immédiatement après les émeutes. Des chiffres sans appel qui montrent que le scribouillard du Monde est un trafiquant de statistiques. Sur le rétablissement de la peine de mort, les opinions favorables chutent sur la même période de 45% à 34% et les opinions opposées passent de 53% à 63%. Terminons par le terrain favori du FN, la préférence nationale. 79% des sondés (contre 51% en 2000) pensent « qu’il n’y a pas de raison de faire de différence entre un Français et un immigré en situation régulière » en matière d’emploi. Et ils sont 76% (contre 52% en 2000) à affirmer qu’il n’y a pas de raison de faire de différence en matière de prestations sociales.

Si les chiffres ont un sens, ils traduisent non pas la « lepénisation » des esprits mais au contraire la « délepénisation » massive et rapide dans la population française. Ce qui pour les exploiteurs de trouille est une vraie catastrophe ! Mais pour tous les républicains un encouragement à poursuivre le combat.

Venons-en à Sarkozy : ce n’est pas une copie de Le Pen

Comme l’octogénaire Le Pen ne fait plus recette, on a décidé que Sarkozy était une copie - en plus jeune - de Le Pen. Nouvelle bêtise ou nouvelle manipulation. Non que Sarkozy soit moins à craindre que Le Pen, puisque nous avons montré que la crainte du lepénisme était sans fondement. Les idées de Sarkozy diffèrent profondément de celles de Le Pen sur quelques points fondamentaux. Le ministre de l’intérieur est favorable à la discrimination positive (c’est l’exact opposé de la « préférence nationale de Le Pen) et au droit de vote des immigrés aux élections locales. Il veut réviser la loi de 1905 pour permettre le financement public des mosquées et il est dans les meilleurs termes avec les islamistes dont il a assuré la promotion institutionnelle. Alors que Le Pen joue au nationaliste, Sarkozy est sans complexe pro-américain et a pour le modèle anglo-saxon les yeux de Chimène. Sur quelques points essentiels donc, il n’est pas la copie mais plutôt le négatif de Le Pen.

Voilà qui est très ennuyeux pour la gauche libérale ou pour la « gauche radicale » pro-communautariste : on pourrait s’apercevoir que ces « adversaires implacables » ont plus de points communs qu’il ne semble ! Et c’est pourquoi, pour continuer les petites affaires d’avant, il faut déguiser le tonitruant ministre de l’Intérieur en Le Pen. Sarkozy est un homme de droite, sans complexe, décidé à réintégrer dans le giron de la droite tous ceux que le gaullisme d’abord, le lepénisme ensuite avaient plus ou moins marginalisés. Il est démocrate, à condition que la démocratie reste ce qu’elle a été le plus souvent, une machine pour exploiter politiquement le peuple au profit des possédants. Il est libéral, parce que l’État doit être le veilleur de nuit qui protège les possédants et communautariste pour renforcer le poids des autorités traditionnelles, notamment religieuses. Bref, sur bien des points, il ferait un dirigeant convenable pour le parti républicain des États-Unis !

Le problème avec Sarkozy, c’est qu’il casse le jeu droite/gauche qui s’était instauré depuis les années 80. L’idée était que les démocrates de droite ou de gauche partageaient les mêmes valeurs, ce qui les opposait aux « extrémistes » et créait le terrain d’une « démocratie pacifiée » pratiquant l’alternance droite-gauche sans que rien ne change d’essentiel, le débat se réduisant aux affrontements sur les questions « sociétales ». Mais aujourd’hui, ça ne marche plus. Sarkozy le sait et il appelle à la rupture. Rupture définitive avec le gaullisme moribond - qui se survit à peine dans la chiraquie. Rupture avec « l’État social » protecteur. Rupture avec les principes de la république tels qu’ils sont encore inscrits dans notre loi fondamentale (égalité, laïcité, etc.). En matière de répression, notamment contre les immigrés, il n’est pas pire que Debré ... ou Vaillant. On ne devrait pas oublier de garder un minimum de sens de la mesure historique. Ceux qui se souviennent des années De Gaulle (avec la censure, la répression, la chasse aux distributeurs de tracts, les nervis pour casser la gueule des colleurs d’affiches de gauche), de Marcellin, ministre de l’Intérieur de Pompidou, ou encore de Peyrefitte et sa loi « sécurité-libertés » se disent simplement en considérant l’action du ministre de l’Intérieur actuel, qu’on en revient aux tropismes classiques de la droite. Du reste, au petit jeu des comparaisons, on s’apercevrait que Sarkozy n’est pas - ou pas encore - ce qu’on a fait de pire ! Bref, Sarkozy n’est pas un fasciste, ni un lepéniste. Mais simplement le représentant de la vraie droite de toujours qu’on avait fait sembler d’oublier. Il rend plus difficile cette espèce d’union nationale délétère qui, d’alternance en cohabitation a contribué à décomposer le mouvement ouvrier et le républicanisme de progrès. Et si la gauche veut le combattre, elle ne pourra pas le faire avec des caricatures stupides, mais en s’attaquant à son programme - qui, du reste, ne diffère guère de celui de Villepin ! - c’est-à-dire en défendant la laïcité, la protection sociale, le code du travail et en reprenant à sa source l’idéal républicain de la liberté comme non domination, comme protection par la loi des plus faibles face aux empiètements des plus forts. Pour les socialistes synthétisés, ce sera difficile : en effet, européistes fervents, ils vont être très ennuyés pour s’en prendre au programme « libéral » de Sarkozy qui découle entièrement des directives de l’Union européenne. Amis de Blair et Schröder (le nouveau président de Gazprom), les socialistes synthétisés sont également dans l’embarras pour s’en prendre en France à quelqu’un qui ne fait pas autre chose que ce que font leurs amis anglais ou allemands...

À la différence de Le Pen, Sarkozy a une véritable base sociale. Les « bobos » qui penchaient à gauche sont séduits par son modernisme libéral. Le patronat y voit un homme sûr. Il trouve un certain écho dans les classes populaires confrontées à la faillite de l’État républicain tel qu’il fonctionne depuis une vingtaine d’années. Il peut trouver des appuis chez les citoyens français musulmans - car il a compris, lui, qu’ils étaient maintenant nombreux à voter. Tout comme Bush aux États-Unis, il peut cristalliser une véritable coalition de droite avec une base populaire réelle (n’oublions pas que, aux États-Unis, les États pauvres ont voté Bush et les États riches ont voté Kerry) mise au service d’une politique encore plus favorable à la minorité riche. Au-delà, ce serait un nouveau et durable coup de barre à droite qui serait donné dans notre pays. Le véritable danger est là, pas dans la résurrection des billevesées « antifascistes » de l’ère Mitterrand. Combattre Sarkozy, on ne le peut en agitant des chiffons (même rouges), mais en rassemblant l’immense force qui s’est manifestée le 29 mai, l’immense majorité du peuple qui veut défendre les acquis sociaux et la république laïque, démocratique et sociale.


[1] Les animateurs de quant à eux trouveraient plutôt qu’on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles républicaines et encore moins celles du mouvement ouvrier. Hostiles à l’éducation moderniste, nous sommes plutôt pour la défense de l’instruction publique, ce qui suffit, dans certains milieux à nous faire traiter de conservateurs voire de réactionnaires

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Commentaires

Lien croisé par Anonyme le Lundi 04/01/2016 à 23:43

PCF Bassin d'Arcachon 61 bis, Avenue de la Libération 33380 Biganos - pcfbassin : "- Sarkozy n’est pas Le Pen - 01/01/06"


Lien croisé par Anonyme le Jeudi 30/06/2016 à 21:44

Le journal de BORIS VICTOR : "Sarkozy n’est pas Le Pen - 01/01/06"



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