La déliquescence des partis politiques
La critique des partis est ancienne : tout parti politique tend à s’autonomiser par rapport au peuple, et, le parlementarisme aidant, à se constituer en « oligarchie » (au sens de Robert Michels) ; tout parti tend à devenir une bureaucratie du fait de la spécialisation des tâches ; tout parti, dans la mesure où il vise à conquérir le pouvoir et plus encore lorsqu’il l’exerce, tend à faire prévaloir l’efficacité sur ses idées et son programme ; tout parti, pour se faire reconnaître des masses et les entraîner, tend à se donner un leader charismatique ; tout parti, lorsqu’il est au pouvoir, devient conservateur.
Il est aisé de voir que ces tendances ont été accentuées de nos jours. Le parlementarisme exigeait des députés chevronnés, des « professionnels de la politique », ayant accompli tout un parcours d’obstacles pour être élus. Les partis se sont beaucoup plus préoccupés de trouver des arguments électoraux simplistes que de programme et de stratégies. Le régime de la V° République, au départ hostile aux partis, les a transformés en écuries de course en vue de l’élection présidentielle, avec tout ce que cela implique d’intrigues, et aujourd’hui d’appels à des spécialistes des sondages et de la communication. Pire : les membres des partis se sont transformés en supporters, et ont passé beaucoup de temps et de parlotes à défendre leur candidat interne, comme dans un jeu-concours.
Si on entre dans une analyse fine, comme celle effectuée par Joël Martine[1], on constate que la lutte pour les postes, sources de pouvoir et d’avantages divers, accapare la plus grande partie du temps des élus internes aux partis, les incite à s’attacher les permanents, à recruter des « adhérents de complaisance » et à pratiquer le « cassage psychologique » des concurrents.
Enfin il faut voir que la soumission des partis à l’ordre établi est d’autant plus forte qu’ils se laissent influencer, voire tout simplement corrompre, passivement ou même activement, par l’oligarchie économique et ses relais dans la haute administration, le comble étant atteint quand, venus de cette administration, ils ont « pantouflé » dans les hautes sphères du privé. Alors en effet cette bourgeoisie d’Etat devient, pour reprendre l’expression de Marx, des « commis » de la bourgeoisie, ou du moins de secteurs de celle-ci, où ils trouvent des réseaux de soutien. Il n’y a alors plus qu’une seule politique possible, avec seulement des nuances, et de petits gestes en direction des autres classes (c’est ce qui est arrivé à la social-démocratie). Finie la République des professeurs et des avocats, voici la République des manageurs.
Tout cela, qui est désormais connu ou deviné, explique le discrédit et la méfiance dans lesquels sont tombés les partis que l’on disait « de gouvernement » par rapport aux partis dits irréalistes ou utopiques, voués à une contestation stérile. C’est de ce climat délétère et de cette soumission que la France insoumise a voulu s’émanciper. Et pour cela elle a pu trouver des inspirations dans les mouvements relevant de la « société civile » (une expression qui n’a d’ailleurs aucun sens).
La leçon des associations à caractère politique
Les dernières décennies ont vu une floraison d’associations avec des objectifs sociaux (la défense des sans logements, des chômeurs, des pauvres, des usagers des services publics, des consommateurs etc.), mais sans visée politique d’ensemble. Il y a, bien sûr, les syndicats, mais d’une part ceux-ci sont plus ou moins intégrés au système, parfois organiquement (dans les pays de tradition social-démocrate), et d’autre part ils reproduisent, à un moindre degré, les travers des partis politiques. Les associations auxquelles je pense sont « généralistes » et se sont constituées à l’écart des partis, depuis que ceux-ci se sont repliés sur eux-mêmes (le cas le plus flagrant étant celui du parti communiste, ayant perdu tout le réseau d’associations « populaires » qui gravitaient autrefois autour de lui). Je prendrai deux exemples, qui ont eu et ont toujours une influence non seulement par leurs idées et leurs campagnes, mais encore par leur modes d’organisation.
La Fondation Copernic n’est pas le think tank d’un parti, mais une association de réflexion et de propositions, associant universitaires et militants des mouvements sociaux, et élaborant des éléments de programme, les Notes et Documents, produits selon une méthode originale : des groupes de travail les rédigent et elles sont validées, après large discussion, par un Conseil d’orientation, émanation de ses membres. La manière dont a été constitué le programme des la France insoumise y ressemble : une équipe du programme a synthétisé les propositions venant de la base (les « groupes d’action » et les simples adhérents), puis de petites équipes spécialisées ont complété le programme par des livrets thématiques. La Fondation Copernic est aussi une association d’agitation, menant des campagnes sur tel ou tel sujet, tout comme «l’espace des luttes » de la France insoumise. Mais son action s’arrête là.
Attac fonctionne de la même manière, mais d’une façon plus proche d’un parti politique, bien qu’elle n’en soit pas un : on y trouve un Conseil d’administration et un Bureau, élus par une Assemblée générale, mais la structure de base est constituée de groupes locaux autonomes, qui décident de leurs actions. De la même façon la France insoumise repose sur des groupes d’action (antérieurement « groupes d’appui ») autonomes, mais plus structurés et tenus par une Charte. Attac produit aussi des documents, élaborés par un Conseil scientifique composé de spécialistes d’origine très diverses, et mène des campagnes ponctuelles, tout comme la France insoumise possède un « espace du programme » et des « espaces de lutte ». Cette dernière a aussi son Assemblée générale, la « Convention », et prévoit de se doter d’une Assemblée représentative.
Les ressemblances s’arrêtent là, car la France insoumise n’est pas seulement un mouvement d’éducation populaire et d’agitation, mais une organisation politique, avec deux instances particulières, « un espace politique » et une « équipe opérationnelle » capable de mener des actions d’envergure. Il s’agit pour elle de conquérir le pouvoir, en présentant des candidats aux diverses élections. C’est ainsi qu’elle a aujourd’hui un groupe parlementaire de 17 députés.
On en vient aux deux questions suivantes : comment assurer une représentation la plus large possible, la plus démocratique, de la population ? Comment doter l’organisation d’une puissance d’action tout en préservant son caractère le plus démocratique possible ?
L’engagement populaire
Le premier défi à affronter est celui de l’engagement citoyen dans ce qui se veut un mouvement, à l’opposé de partis traditionnels qui reposent sur des militants, encartés et cotisants, et qui tendent naturellement à se constituer en structures hiérarchisées et, à l’intérieur de celles-ci, en chapelles. On pourrait penser que cela tient à ce qu’ils représentent les intérêts de telle ou telle classe et catégorie sociale, ce qui est vrai, mais n’explique pas qu’ils soient aussi généralement transclassistes, y compris à droite de l’échiquier politique. On le sait, par exemple, beaucoup d’ouvriers ont toujours voté à droite, et beaucoup votent aujourd’hui à l’extrême droite. Il y a à cela de nombreuses raisons d’ordre socio-psychologique qu’on ne développera ici, mais le fait est que les partis répondent à leur manière à un besoin de communauté très puissant, à la manière d’un club de supporters. D’ailleurs ils jouent sur cette fibre en se présentant comme des « familles » avec des « sensibilités » propres.
La France insoumise a considéré qu’en admettant des niveaux d’engagement très variés, depuis le simple clic d’adhésion sur internet jusqu’à l’engagement à temps plein, quand c’était possible, en passant par les contributions occasionnelles et le volontariat. Il est remarquable que, dans les différents « espaces » et aux différents niveaux de responsabilité, il soit fait appel systématiquement aux volontaires qui souhaiteraient s’y associer. C’est indéniablement mobilisateur.
Une deuxième innovation est l’usage systématique de boites à idées, à charge pour des responsables d’en opérer la synthèse, ce qui n’est pas facile, mais semble avoir été fait avec rigueur.
Une troisième grande innovation est l’usage du vote électronique sur les campagnes à mener et sur les formes même de l’organisation.
Enfin une grande nouveauté est le tirage au sort d’un certain nombre de délégués aux Conventions et, plus tard, à l’Assemblée représentative qui est en projet. J’y reviendrai dans un instant.
A considérer le nombre d’adhérents (550.000), la variété de leurs études et de leurs professions, le nombre de groupes d’action (plus de 5.000), la richesse de l’organigramme, le nombre élevé d’idées dans les boites et des votes électroniques, enfin l’efficacité dans l’organisation des manifestations publiques, on peut considérer que le défi de l’engagement populaire a été largement relevé. Mais il faut pointer les limites. Rien de tout cela n’aurait été possible sans internet (une plateforme numérique interactive met en relation les groupes et les « espaces ») et sans les réseaux sociaux. Or, outre ceux qui manient malaisément ces outils, il y a tous ceux qui n’ont pas la moindre motivation politique (il faut un acte volontaire pour aller sur ces plates-formes et sur ces sites), qui n’ont pas le temps, ou qui ont juste assez de temps pour leur usage privé ou leur divertissement. Il serait intéressant de savoir combien d’ouvriers, même jeunes, combien d’employés et combien de chômeurs ont cliqué, pour adhérer ou même simplement s’informer. Mais on soupçonne que rien ne remplacera les campagnes sur le terrain.
La France insoumise le sait bien, qui entend aller au contact et se montrer « utile » au quotidien, non pas pour d’abord pour enrôler ou mobiliser, mais pour informer les gens sur leurs droits et leur donner un coup de main (c’est ce à quoi servent notamment les « caravanes »). Quoiqu’il en soit, elle est devenue certainement le mouvement le plus populaire, de par sa base, que la France ait connu. Il serait intéressant ici de la comparer avec l’organisation et la pratique de Podemos (on aimerait bien un article dans La sociale) et avec le Mouvement 5 étoiles, qui ne fonctionne, semble-t-il (un autre article serait bienvenu) que par internet, et qui, tout en paraissant assez peu démocratique et bien chaotique, est également très populaire.
Tirage au sort versus expérience
La démocratie par tirage au sort est une bien mauvaise idée. Comme Denis Collin l’a parfaitement montré (http://la-sociale.viabloga.com/news/le-tirage-au-sort-est-il-democratique), elle ressemblerait au mieux à un sondage d’opinion, les tirés au sort n’ayant eu aucun effort à faire pour réfléchir et convaincre. C’est pourquoi je ne suis pas du tout favorable à la proposition institutionnelle d’Attac de créer un Sénat composé de personnes tirées au sort. Dans le cas présent, je pense pourtant que le tirage au sort peut se justifier, non pas tant parce qu’il permettrait de mieux représenter la diversité sociologique des insoumis, mais parce qu’il peut inciter les simples adhérents, qui ont déjà de la sympathie pour le mouvement, dont ils partagent quelques idées, à s’impliquer davantage, sans qu’ils y soient contraints (on peut refuser). On peut considérer aussi que c’est un bon antidote à la bureaucratisation.
Ceci dit, même et surtout un mouvement a besoin de cadres expérimentés, qui aient, si je puis dire, fait leurs classes. Qu’on le veuille ou non, la hiérarchie des tâches appelle une forme de hiérarchie au sein de l’organisation, sauf à tomber dans l’amateurisme. Les députés de la France insoumise par exemple n’ont pu se montrer actifs et efficaces que parce qu’ils avaient une longue expérience militante derrière eux, et il leur a fallu quand même apprendre à toute allure les arcanes de la vie parlementaire. C’est pourquoi le tirage au sort ne peut jouer qu’un rôle limité, à mon avis plus restreint que celui qui a cours actuellement (ils étaient une large majorité lors de la dernière Convention, et seraient également en majorité dans l’Assemblée représentative qui est en projet). Le problème, surtout pour un mouvement politique qui ne se veut pas figé, n’est pas tant la « professionnalisation », au sens de l’expertise, que la bureaucratisation, et les remèdes sont connus : la limitation de la durée dans une fonction et la rotation entre les diverses fonctions. La France insoumise, mouvement jeune, n’en est pas là, mais le problème se posera assez rapidement.
Le rôle essentiel du programme
Dans les partis traditionnels, le programme n’est qu’une couverture idéologique, résultat d’une multitude de compromis, et c’est pourquoi il est généralement confus et vague, hormis quelques mesures symboliques. A l’épreuve du pouvoir, et plus encore dans le cas d’alliances purement électorales, il débouchera sur des mesures non annoncées et oubliera facilement ses quelques promesses. D’où le discrédit. Macron l’a bien compris, en détaillant à l’avance un train de mesures, mais en se gardant bien d’en découvrir le logiciel idéologique, remplacé par un discours verbeux.
Le problème, pour un mouvement plus que pour un parti, est de se doter d’un programme unificateur, à la fois clair dans son idéologie et précis dans ses propositions. Comme le dit Mélenchon, c’est « le cœur du réacteur ». Et on peut dire que cela a été une réussite : l’Avenir en commun est un programme complet, structuré, précis, et même chiffré. C’est une grande première. Il semble bien qu’il ait été précédé de nombreuses consultations d’une base qui était en voie de constitution, et appuyé sur des spécialistes qui venaient autant du monde des universitaires, des chercheurs et des hauts fonctionnaires que de militants aguerris des mouvements sociaux. Ce programme n’est pas cependant une Table de la loi close sur elle-même, puisqu’il se complète de livrets thématiques qui pourront être source de modifications à venir.
Le programme n’est pas seulement le logiciel de rassemblement du mouvement et un label en vue d’élections, mais ce qui rend possible une discipline dans l’action. C’est une question si importante qu’il convient de la développer.
La discipline et le consensus
Ce sont des principes qui ont mauvaise presse aujourd’hui dans les organisations classées à gauche. Elles rappellent l’embrigadement et l’unanimisme des anciens partis communistes, qui survivent plus ou moins dans ceux d’aujourd’hui. En outre l’atomisation dans la société et l’individualisme stimulé par le libéralisme régnant font que chacun ne veut agir que selon ses désirs et ses idées. C’est le grand mérite de la France insoumise que de ne pas vouloir céder à ces préventions et à ces injonctions.
D’abord c’est évidemment une question d’efficacité. Si le mouvement est constitué de tendances (ou fractions, ou pôles etc.), s’il a ses chapelles et ses frondeurs, il n’a plus qu’une image confuse dans l’opinion et l’action se divise et s’affaiblit d’autant. En outre les batailles internes sont sans fin et épuisent l’énergie, surtout quand elles se traduisent finalement par des votes dans des Congrès, pour le gain desquels tous les moyens sont bons (le Parti socialiste en a donné la plus caricaturale des illustrations).
Le programme rend possible, s’il n’a pas été élaboré d’en haut et au sein de commissions fermées, une discipline collective, mais le programme n’est pas tout. Il y a toutes les initiatives locales à favoriser et toutes les décisions à prendre au quotidien. Dans la France insoumise, l’autonomie des groupes d’action est, comme dans les associations politiques sus mentionnées, la règle, tout en étant encadrée par une charte. Or le principe annoncé est celui de la recherche du consensus, dans des groupes de petite dimension pour le faciliter : éviter autant que possible l’opposition et le vote entre une majorité et une minorité, ce qui prend certes du temps, mais pare au sentiment de victoire de la première et à la frustration de la seconde. Cela permet aussi de faire prévaloir les comportements que l’on souhaite pour la société tout entière : la coopération plutôt que la concurrence, la fraternité plus que la rivalité.
Mais l’on connaît la critique récurrente d’un fonctionnement imposant une discipline finale et reposant sur la recherche du consensus. Il favoriserait l’unité autour de la figure d’un chef, et, au sommet, d’un leader charismatique. Que faut-il en penser ?
Le mauvais et le bon charisme
Le mauvais charisme est bien connu, c’est celui d’un personnage qui séduit et fascine par une autorité qui semble naturelle, et qui joue sur les émotions, souvent les plus frustes, de son entourage et de son public, en les dirigeant contre des ennemis. Il trouve ses racines profondes dans le patriarcat et dans le sentiment de toute puissance issu de la petite enfance chez le leader (favorisé, selon Winicott, par la « mère trop bonne »). Je ne développe pas. Il peut aboutir à ce que l’on sait : l’hystérisation de la société par un gourou de type Hitler, le culte de la personnalité d’un « petit père du peuple », le caudillisme, entre autres. Mais, à cela, il faut opposer un bon charisme, qui repose sur un pouvoir de conviction appuyé sur des arguments rationnels. J’ai remarqué que les leaders qui suscitent avant tout de l’estime sont ceux qui sont de vrais pédagogues, qui sont des apprenants et qui expliquent pour justifier leurs positions, sans se faire pour autant donneurs de leçons. Personnellement c’est ce qui m’avait frappé aussi bien chez un Mendès-France que (eh oui !) chez un Chavez, que j’ai eu une fois l’occasion d’écouter en personne à Caracas (pendant 5 heures !), parlant avec le sérieux et la patience d’un instituteur. Or, pour moi, Mélenchon est de cette trempe. D’ailleurs ceux qui le lisent ou l’écoutent reconnaissent volontiers son talent de pédagogue. Je ne veux pas dire, pour autant, qu’un bon leader n’est que cela. Après tout, comme nous ne sommes pas, et heureusement, des êtres purement rationnels, il convient aussi de savoir parler à nos sentiments et, à l’occasion, de nous amuser par un humour de qualité (pas les saillies forcées d’un Sarkozy ou les niaiseries de « Monsieur petites blagues »). Donc laissons dire ceux qui préfèrent ne reconnaître en Mélenchon que la qualité d’un tribun pour ne pas entendre ce qu’il dit. Mais le problème de la personnalisation du mouvement la France insoumise, si l’on veut bien oublier que les médias ne s’intéressent qu’à cela, n’est pas réglé pour autant, car il s’agit de savoir si elle a ou non, sur la base d’un programme ayant été élaboré de manière ascendante, un centre qui prend les grandes décisions et les fait descendre vers la base.
La centralité ou le « polycentrisme »
Manifestement la France insoumise ne veut pas du centralisme démocratique, d’inspiration léniniste, qui n’était érigé en doctrine que dans les partis communistes ou d’extrême gauche, mais en fait était pratiqué dans tous les partis, de manière plus ou moins hypocrite. Alors elle entend se dégager des rapports de subordination, être un mouvement horizontal et « polycentriste », articulant un « espace opérationnel » (à plusieurs pôles), « un espace du programme » (et des livrets thématiques), un « espace des luttes », et un « espace politique » (regroupant des individus, groupes et partis qui l’ont soutenue pendant les campagnes électorales), et enfin le « groupe parlementaire ». Il n’y aurait donc point de centre, mais des centres qui coopèrent et se coordonnent. Quant à Mélenchon, il se refuse à être le chef, ne revendique que le titre de Président élu du groupe parlementaire, et, s’il admet exercer un pouvoir d’influence, c’est uniquement par ses écrits (ses livres, son article hebdomadaire et sa « Revue de la semaine » en vidéo sur son blog, ses discours et ses interventions diverses à l’Assemblée ou dans les médias).
Aucun des espaces n’est censé chapeauter les autres, aucun ne semble avoir de pouvoir de décision global. Qu’ils aient une autonomie, on veut bien le croire, mais il est douteux que l’un ne soit pas plus important que l’autre. Je ne peux rien affirmer, n’étant qu’un simple adhérent de base, mais je suppose que l’espace « opérationnel » est bien plus qu’opérationnel, et que le groupe parlementaire est plus que l’exécutant fidèle de la stratégie et du programme. Il doit bien y avoir une cabine de pilotage, probablement constituée surtout de fidèles de Mélenchon, à laquelle on doit l’efficacité globale indéniable du mouvement.
Un problème particulier concerne « l’espace politique », dont il est dit qu’il n’est qu’un espace de conseil et de proposition. Ouvert à tous, il peut comporter aussi des groupements et partis politiques. Mais, le but du mouvement était de ne pas se constituer comme un cartel de partis cherchant des compromis boiteux, et se disputant des postes de responsabilité, comme dans le défunt Front de gauche, des conditions extrêmement exigeantes sont posées pour y participer, telles que partager le programme de la France insoumise, promouvoir son mode d’organisation et appliquer les décisions des Conventions. Dans ces conditions cela reviendrait pour ces groupes et partis politiques quasiment à s’y dissoudre, en sorte qu’on ne voit guère que des individus (en dehors du Parti de gauche et de la Nouvelle gauche socialiste) pour y participer, avec une double casquette difficile à porter.
Le polycentrisme aurait quand même un centre, ce sont les Conventions, au moins annuelles, où tous les espaces sont représentés, mais aussi, comme on l’a vu, une majorité de personnes tirées au sort, et même tous les adhérents qui peuvent intervenir par internet (c’est ce qui s’est passé lors de la Convention des 25 et 26 novembre dernier). Mais ces Conventions ne décident rien : elles ne font qu’entériner le résultat de votations sur internet (en l’occurrence sur la charte des groupes d’action, sur les programmes prioritaires et sur les principes de la France insoumise) et procéder à des échanges d’expériences et à un vaste brainstorming.
Je ne pense pas que ce polycentrisme puisse être pérenne, d’une part parce qu’il y a des décisions importantes à prendre au jour le jour, d’autre part parce que, le but du mouvement étant d’exercer le pouvoir, il faudra bien décider des candidats aux élections (un comité ad hoc est prévu, mais désigné comment ?). Alors viendra la question lancinante des alliances électorales, probablement sous la forme de désistements réciproques, et l’on sait que ce ne sera pas une petite affaire. Enfin si la France insoumise, avec ou sans alliés, devait conquérir une majorité électorale et se trouver au pouvoir, les décisions devraient nécessairement être prises, in fine ou dans l’instant, par un centre opérationnel.
Epilogue
Je me garderai bien de conclure. La France insoumise a indéniablement innové, mais il est difficile de voir si elle constitue un mouvement qui a dépassé la forme parti ou si elle est l’ébauche d’un parti de type nouveau. La forme mouvement est la plus démocratique, et peut très bien fonctionner dans des associations d’éducation populaire et d’agitation. Elle me semble mal adaptée aux contraintes de l’action politique. La forme parti a sans doute fait son temps, dans ses usages actuels, pour un pays comme le nôtre, mais paraît incontournable pour la conquête et pour l’exercice du pouvoir. Comment trouver le bon dosage entre la démocratie et le centralisme ? Je serais heureux d’avoir les avis des lecteurs de La sociale.
[1] Cf. sur le site de Joël Martine, joel.martine.free.fr, le texte : « Comment la course aux postes de pouvoir étouffe la politique ».
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