D’accord, la « folie Obama » de ces derniers jours est un peu exaspérante. Les pitreries des journaux télévisés, les présentateurs vedettes à New-York dans la posture du courtisan de Sa Majesté l’Amérique, c’était à vomir. Et puis cette élection qui occupe tous nos médias, cette élection de « l’homme le plus puissant du monde », comme le dit la presse, cette élection transformée en élection du président du Monde, c’est vraiment trop. Tout cela en dit long sur l’organisation du système de la propagande, principalement dans les pays vassalisés par les États-Unis. Une fois ceci précisé, il ne faudrait pas que la propagande nous empêche de penser.
Encore assez improbable il y a quelques semaines, l’élection de Barack Obama est incontestablement un évènement politique important. Il y a dans cet évènement plusieurs dimensions qu’on doit essayer de distinguer par l’analyse :
- L’élection traduit des mouvements importants de l’opinion publique et des transformations de la situation politique qu’il faut comprendre le plus précisément possible.
- Le nouveau président incarne une politique dont on doit comprendre la nature réelle au-delà des illusions.
- Cet évènement à des conséquences internationales qu’il faut essayer de mesurer.
L’aspect saillant, c’est évidemment l’élection d’un Noir à la présidence des États-Unis. Car bien que né d’une mère « blanche », Obama est classé comme Noir dans la classification raciste de l’état civil des États-Unis. Les distinguos subtils des Européens (métis, mulâtre), distinguos issus de la colonisation, n’ont pas cours aux USA.
Aux USA, la discrimination raciale n’a vraiment été abolie sur le plan juridique qu’en 1967 ; les mariages entre Blancs et Noirs étaient interdits dans certains États au début des années soixante ; le Ku-Klux-Klan et de multiples autres groupes de cinglés dangereux du même acabit opèrent presque librement. Et c’est ce pays qui a élu président un candidat « bronzé », comme le dit si élégamment l’inénarrable crétin Berlusconi. Pour les Noirs américains, cette élection constitue évidemment un moment politique extraordinaire, eux qui ont payé et continuent de payer le prix fort de la construction de la « grande démocratie américaine » (voir l’excellente Histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn).
Laissons de côté les bavardages médiatiques sur la renaissance du rêve américain. Obama n’est pas seulement l’élu des Noirs, il a su aussi réunir derrière lui une majorité du peuple américain et il ‘a fait au terme d’une campagne militante comme on n’en pas vu depuis longtemps. Après huit années de gouvernement Bush, après les aventures militaires en Afghanistan et en Irak, en pleine crise économique, les citoyens dans leur majorité ont voulu tourner la page. Et ils l’ont fait en votant pour quelqu’un qui incarne la tradition libérale américaine, celle d’un « centre-gauche », favorable à une certaine intervention de l’État dans l’économie en vue de protéger les plus faibles (welfare state). Partisan de la peine de mort, hostile à la mise sur pied d’un système national de santé, Obama n’est qu’un libéral très modéré, mais en le traitant de « socialiste », McCain lui a rendu le service de le faire passer pour plus à gauche qu’il ne l’est vraiment…
Car Obama est non seulement le candidat des Noirs, des jeunes, des classes cultivées hostiles à la « majorité morale » incarnée par Palin, il est aussi le candidat du capital financier et notamment des secteurs les plus importants du capitalisme américain : Hollywood et le show-biz (lequel est de toute façon traditionnellement plutôt démocrate que républicain) et l’informatique (Warren Buffet et Bill Gates n’ont pas ménagé leurs efforts en faveur du candidat démocrate). Obama a donné des gages importants à ces secteurs de la société américaine et il aidé à l’adoption du plan Paulson de sauvetage du système financier alors que, paradoxalement, les amis républicains de George Bush se sont fait tirer l’oreille, estimant que ce n’était aux deniers publics de payer les frasques des petits « génies » de Wall Street.
La force d’Obama est donc qu’il réussit (pour l’instant) une véritable opération d’union nationale. Pour ceux qui pensent que la nation est dépassée et qu’il se mettre à l’heure du cosmopolitisme, les USA viennent de donner une nouvelle leçon : Obama a fondé toute sa campagne sur les mythes fondateurs des États-Unis et il a été beaucoup plus patriote que McCain. Son programme est flou, mais son insistant rappel au rêve américain (« hope … vote »), sa reprise de la devise des « pères fondateurs (« ex pluribus unum »), tout cela n’a qu’un but : faire passer l’idée que « America is back » et que la victoire d’Obama sera une refondation. Et ce mouvement du peuple américain devant lequel se pâment les intellectuels, politiques et gens de médias européens, c’est un mouvement national, à l’état pur ! Mais ces vrais et faux niais qui intoxiquent l’opinion européenne déguisent tout cela en « multiculturalisme » à la mode Benetton, en fraternité mièvre, enfin le brouet sans goût qu’avalent en commun la droite et la gauche bon chic bon genre…
Enfin, il suffit de regarder les images de la campagne et des résultats pour comprendre que la politique et la religion n’ont pas fini d’aller de pair. La dimension proprement religieuse est d’ailleurs peut-être beaucoup plus forte du côté de la campagne d’Obama que du côté des bigoteries ridicules de Miss Palin. Laissons au sociologue le travail d’analyse, mais peut-être est-il temps de réfléchir à cela du point de vue politique.
Une fois ces premiers constats effectués, on doit envisager maintenant les conséquences politiques prévisibles. Dans une bonne formule assez drôle, Jean-Luc Mélenchon rappelle que les États-Unis n’ont pas élu l’oncle Tom mais l’oncle Sam. Car Obama sera le président des États-Unis dont il va évidemment défendre les intérêts sur la scène mondiale. Et ceux qui rêvent de sympathiques discussions multilatérales entre gens de bonne compagnie pour assurer la gouvernance du monde, ceux-là risquent de devoir vite déchanter.
Obama doit rétablir la situation économique. Ce sera le plus difficile. Le principe est assez simple : les USA vivent à crédit et quand ils ne peuvent plus rembourser leurs dettes, ils invitent le reste du monde à passer à la caisse (en résumé, c’est cela mécanisme de la crise des « subprimes »). Le sauvetage de « Fanny et Freddy » a imposé au gouvernement américain par les Chinois qui avaient beaucoup investi dans cette vénérable institution. Mais les États-Unis ne pourront ni voudront colmater toutes les brèches. Le reste du monde, c’est-à-dire au premier chef les Européens, déjà bien plumés par la crise, devra se serrer la ceinture. Lawrence Summers, l’ancien secrétaire du Trésor de Bill Clinton et l’un des principaux conseillers d’Obama, s’est déjà prononcé pour des mesures protectionnistes pour faire face à la concurrence étrangère et défendre l’industrie américaine mise à mal par les folies des deux dernières décennies. L’État va mettre ainsi un plan d’assistance à l’automobile qui reste la colonne vertébrale de l’industrie de ce pays. Bref, Obama va défendre son pays et ses capitalistes : il a été élu pour cela, pas pour faire plaisir aux rêveurs européens. Et la guerre économique fera partie évidemment de l’arsenal. Mais nul doute qu’il fera siennes les fortes paroles de Mme Merkel, « à chacun sa merde ».
Sur le plan de la politique étrangère, là encore le changement risque de n’être pas flagrant. Obama va chercher à sortir du bourbier irakien, mais pour renforcer la présence des États-Unis sur l’ensemble du front Proche et Moyen Oriental. Ce sera la continuation de la politique impériale par d’autres moyens. Dans une situation éminemment difficile pour les États-Unis, qui apparaissent comme une puissance déclinante. Ne nous faisons pas donc pas trop d’illusions. Obama revendique une double filiation, celle de Martin Luther King et celle de John Kennedy. On n’oubliera pas que c’est John Kennedy qui engagé la lutte pour renverser le gouvernement de Castro (embargo, tentative de débarquement à la Baie des Cochons), poussant le régime dans les bras de Moscou. C’est le colistier de Kennedy, le « démocrate » Johnson qui a déclenché la guerre du Vietnam. Le pire n’est jamais certain et la situation actuelle n’est pas celle de 1960. Mais Obama n’est pas seulement un brillant avocat et un politicien talentueux, il est aussi un pur produit de l’appareil du parti démocrate, un homme de l’establishment et donc lié aux milieux d’affaire les plus influents, y compris le lobby militaire. Ce n’est pas par solidarité « raciale » qu’il a reçu le soutien de Colin Powell et ce n’est pas seulement le « fair play » qui l’a poussé à promettre de travailler avec les républicains, (y compris McCain) et peut-être même à en nommer un ou deux dans son gouvernement.
Donc il faut distinguer deux plans. À l’intérieur, sans doute Obama représente-t-il un progrès (un moindre mal) par rapport à Bush. Mais à l’extérieur, c’est une autre affaire. Il est cependant une leçon qu’on devrait méditer : la dernière grande ressource des États-Unis, c’est la force des sentiments nationaux et des idéaux qui les expriment. Peut-être ferions-nous bien de nous en souvenir ici, avant que d’autres ne les exploitent à des fins plus inquiétantes.
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Faute de pire
(...) En juin dernier, le discours d'Obama devant l'AIPC m'avait sidéré («L'AIPAC crie, Obama aboie»). Quelques jours avant l'élection, Bakchich a publié deux articles particulièrement inquiétants concernant le cercle le plus proche d'Obama, Rahm Emanuel et Denis Ross: «“Rahm-bo” futur dir'cab de Barack Obama» et «Le principal conseiller d'Obama est un faucon anti-Iran». Revenant sur le choix de Rahm Emanuel, Alain Gresh, inquiet, préfère attendre avant de se faire une opinion. (...)
Un texte me semble résumer beaucoup des inquiétudes que l'on peut légitimement avoir suite à l'élection. Il s'agit d'un texte publié par Ralph Nader (qui a financé sa campagne, je le rappelle, en vendant la recette du Houmous de sa mère) le jour même de l'élection: «An Open Letter to Barrack Obama, Between Hope and Reality». Je vous livre ici une traduction maison (les liens hypertexte sont de mon fait, ils ne figurent pas dans la version originale): (...)