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Déchéance de la gauche …

Une réponse à Didier Hanne

Par Denis Collin • Actualités • Jeudi 11/02/2016 • 0 commentaires  • Lu 1875 fois • Version imprimable


Ainsi le gouvernement a-t-il fait passer en deux coups de cuiller à pot sa double réforme constitutionnelle, constitutionnalisant l’état d’urgence et la déchéance de nationalité pour les binationaux. Dans le même temps, la reconduction de l’état d’urgence semble acquise, sans même qu’il y ait la plus petite discussion sur l’opportunité de cette mesure, les avantages et les risques qu’elle comporte. Non, rien du tout. Et dans sa grande majorité, le PS, parti corrompu jusqu’à la moelle, avale tout cela. Le coup de force du mini-Badinguet semble réussi – pas dans les sondages cependant, alors que l’opinion, nous répète-t-on, soutient toutes ces mesures.

On a eu l’occasion de dire et redire ce qu’il fallait penser de l’état d’urgence, de sa prorogation et de sa constitutionnalisation. On pourra accéder sur notre site aux interventions du meeting du 23 janvier. C’est pour nous la question centrale. La déchéance de nationalité est, de ce point de vue, un leurre qui permet à des discussions confuses d’occuper le devant de la scène et, accessoirement, de mener une opération politicienne assez dégoûtante : Hollande reprendre une proposition de Sarkozy qui lui-même la tenait de Jean-Marie Le Pen et donc il apparaît bien comme le champion de l’union nationale et le candidat idéal de la droite ! Que Chevènement et quelques politiciens futés de moindre importance ne voient pas cela et se rallient à cette proposition à la sauce hollandaise montre à quel point de confusion mentale la vie publique est arrivée.

Il faudrait sans doute avoir une discussion de fond sur le code de la nationalité en rappelant qu’il est sur la sellette depuis près de 30 ans, depuis que le FN, RPR et ses successeurs ont entrepris de dénoncer les « Français de papier » et répètent sur tous les tons que « être Français, ça se mérite », ce qui sous-entend que naître Français est déjà un mérite… Reprenons tout de même quelques-uns des arguments en faveur de la déchéance de nationalité. Qu’elle soit réservée aux binationaux ou applicables à tous n’a d’ailleurs aucune espèce d’importance. Ainsi que l’a bien expliqué le député Carrèche, lors d’un débat sur France-Culture, comme on ne fera pas d’apatrides, la déchéance de nationalité ne pourra effectivement s’appliquer que pour les binationaux. C’est absolument évident et les palinodies de certains députés socialistes qui voulaient « la déchéance pour tous » n’y changeront rien.

Dans un article publié par le site Respublica (le site du petit groupe de la « Gauche Républicaine »), Didier Hanne, qu’on a connu mieux inspiré, publie sous le titre « Déchéance de nationalité, état d’urgence : raison garder ? » un appel clair à soutenir les réformes initiées par Hollande.

Hanne commence par s’en prendre à la « violence de propos avec laquelle est actuellement mené le débat sur la déchéance de nationalité (DN) » qui serait « surprenante, et inédite. Même le débat de 2005 sur le traité européen n’avait pas atteint le registre d’outrance qu’on observe actuellement en parcourant la presse nationale et les réseaux sociaux. » Mais Hanne ne s’en prend nullement à la violence des déclarations de Valls, ni à la violence réelle avec laquelle ont été menées la plupart des perquisitions (plus de 3000 rappelons-le qui aboutissent en tout et pour tout à quatre informations judiciaires), ni à la violence faite aux « binationaux » qui apprennent qu’en fait ils ne sont qu’à moitié français. Non. Hanne s’en prend à la violence (toute verbale) des adversaires du gouvernement : on y énumère Montebourg et Plenel, Mélenchon et Piketty, Amirshahi et Fassin. Voilà le gang des méchants parfaitement identifié. Hanne ne s’émeut évidemment pas des déclarations des partisans de Valls et Hollande qui considèrent que les adversaires de leurs mesures sont des « complices objectifs » du terrorisme. Et pour cause ! C’est de fait sa position, toute en nuance et en raison gardée !

Le style Hanne est tout entier dans la phrase qui termine son introduction : « Reprenons ici, sans prétendre à l’exhaustivité, les grands axes autour desquels se structure cette formidable riposte à la « déchéance morale »… d’un gouvernement de gauche. » Il aurait pu dire : voyons pourquoi tous les sus-cités ont tort et pourquoi Hollande a raison. Non, il veut démonter l’offensive contre un « gouvernement de gauche ». Donc Hanne affirme comme une évidence que Hollande-Valls forment un gouvernement de gauche et qu’il est impossible de parler de la « déchéance morale » d’un gouvernement de gauche. Didier Hanne qui jadis collabora avec Antoine Artous (« politiste » longtemps proche du NPA) pourrait annoncer clairement la couleur.

Hanne commence par rappeler que la déchéance de nationalité existe depuis longtemps puisqu’elle est inscrite dans le code civil – c’est effectivement dans le code civil et non dans la constitution que figure le code de la nationalité. Il ajoute que la déchéance de nationalité pour terrorisme figure dans les lois d’un assez grand nombre d’autres pays. Mais Hanne ne savait pas que cette mesure, proposée par l’extrême-droite suédoise vient d’être repoussée par le parlement de ce pays… En outre les exemples de l’étranger ne prouvent rien. En prenant ce type de raisonnement, « les autres le font bien, pourquoi pas nous », on pourrait rétablir la monarchie (bon nombre des pays d’Europe sont des monarchies) ou abroger la séparation des églises et de l’État qu’ignorent superbement la plupart de nos voisins. Pour brouiller encore plus les pistes, Hanne rappelle que la IIe République avait adopté la déchéance de nationalité, à l’encontre des propriétaires d’esclaves. Mais il omet de rappeler que les « collabos » ont pu être frappés d’ « indignité nationale » en 1944 et que personne n’avait songé à les déchoir de leur nationalité !

Mais de ses analogies historiques douteuses, Hanne en tire que « Décidément, la DN ne pouvait pas avoir une origine plus impure, n’est-ce pas ? » Traduit en bon français, Hanne affirme dont qu’il y a des antécédents louables à la déchéance de nationalité… Mais Hanne n’aime que ses propres analogies historiques et méprise celles qui desservent son propos : « On insistera par contre beaucoup, mais alors beaucoup, sur le fait que l’état de Pétain avait déchu de leur nationalité les juifs, car cela permet de mobiliser l’inépuisable imaginaire anti-vichyssois d’une certaine gauche dont le vade-mecum, quoiqu’il arrive, consiste à continuer de boxer avec une constance aussi tardive qu’intrépide… ce régime mis à terre il y a 70 ans. » Bref on peut soutenir la déchéance de nationalité avec des exemples de près de 170 ans mais pas les condamner par l’exemple d’un régime mis à terre voilà 70 ans car « l’État de Vichy était un état de fait et non un état de droit, précisément construit sur les ruines de la République ». Hanne a tort : formellement, c’est le Parlement qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain – ce Parlement élu en 1936 et qui avait investi le gouvernement de Front populaire … mais bon, il ne faut parler de la possible déchéance morale d’un gouvernement de gauche. Nous ne chipoterons pas non plus sur la distinction « État de fait » / « État de droit » qui ressortit au vocabulaire de la polémique politique plus qu’à une réflexion sérieuse sur le droit.

Passant son temps à disqualifier ses adversaires pour usage des analogies, Hanne répond par d’autres analogies tout aussi sophistiques que celles qu’il prétend combattre. Il admet que l’on pourrait « examiner les alternatives qui peuvent exister » mais n’en discute jamais et ne se pose jamais la question de savoir si, du point de vue des principes, la déchéance de nationalité est juste et « évidemment nécessaire ». Après de nouvelles diatribes contre ses adversaires (réels ou supposés), Hanne cependant doit aborder la question de fond. « La question posée est : un binational terroriste est-il exactement dans la même situation qu’un national terroriste ? Des juristes estiment que oui, et que par conséquent ce binational terroriste doit rester… un Français comme les autres. C’est une certaine conception de la nationalité rivée au sol, qu’aurait contrebattu vigoureusement le fasciste bien connu Saint Just (« La patrie n’est point le sol, elle est la communauté des affections, qui fait que, chacun combattant pour le salut ou la liberté de ce qui est cher, la patrie se trouve défendue ») »… Encore une fois, la référence historique sert de contre-argument. C’est seulement indirectement que Hanne critique la conception de la nationalité « rivée au sol ». Quelle autre conception y a-t-il ?

  • l’une qu’évoque Hanne, celle attribuée à Saint-Just d’une « communauté des affections ». Hanne soutient-il cette conception ? Mystère. Mais on croit comprendre que oui.

  • l’autre, en effet, est celle de la patrie rivée au sang. Il est certainement hors de question que Hanne soutienne cette conception qui, pour le coup, est profondément étrangère non seulement à la tradition républicaine mais à la tradition française tout court – le jus soli remonte au moins à François 1er. Le jus sangui n’ été soutenu dans ce pays que par l’extrême-droite, quelque part en Barrès et Drumont.

S’il ne veut pas d’un conception rivée au droit du sol, Hanne doit donc se prononcer pour une conception de la nationalité « rivée » à la communauté des affects. Est-il prêt à défendre cela ? On croit le deviner mais ce n’est jamais dit explicitement. En réalité, Hanne se tient à une position : les binationaux ne peuvent pas être traités comme les nationaux simples (on n’ose écrire « purs »), s’appuyant pour ce faire sur les avis du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Outre que ces arguments d’autorité ne peuvent convaincre que les convaincus – on a tout même le droit de contester les jugements de ces deux nobles instances qui prétendent « dire le droit » mais ne le font visiblement pas en toute impartialité… – on aimerait des arguments un peu plus motivés sur le plan d’une théorie politique de la justice et du gouvernement. En réalité, si on pense que la justice est la même pour tous, je vois mal comment on pourrait arguer de peines différentes suivant qu’on est « mono-national » ou « binational ». Sauf à penser que les « binationaux » sont moins français que les autres et donc qu’ils ne disposent que d’une nationalité conditionnelle. Ainsi, un tueur jihadiste né dans le bocage normand – pour faire référence à un cas connu – mériterait moins d’être déchu qu’un tueur jihadiste né d’un parent français et d’un autre parent marocain ? La distinction entre nationaux et binationaux n’a aucun sens du point de vue général du droit, sauf à penser que la bi-nationalité est contraire au principe de la « communauté des affections ». Sans vouloir être désagréable, il faut rappeler que c’est Le Pen père qui a mis sur le tapis la nécessité de revenir sur tous les accords internationaux concernant la bi-nationalité, une proposition qu’il avait faite selon sa coutume en y ajoutant sa petite touche antisémite : beaucoup de binationaux sont des citoyens franco-israéliens. Si Hanne était cohérent, il devrait demander que tous les accords notamment avec l’Algérie, le Maroc, Israël, etc., soient dénoncés, ce à quoi poussent d’ailleurs de leur côté tous les ultras de ces pays ; ainsi, beaucoup de hiérarques algériens demandent en effet que les binationaux franco-algériens choisissent à quel pays ils accordent leur fidélité. Mais pourquoi Hanne ne pousse-t-il pas sa réflexion jusque là ? Parce que, comme dans tout ce texte, il n’ose pas s’avancer à découvert mais se contente de dénoncer les adversaires de Hollande au moyen d’une stratégie purement sophistique.

Je cite pour en finir avec l’article de Didier Hanne ce petit morceau d’anthologie : « 1°) Mais pourquoi donc tous ces gens hurlant à l’infamie tiennent-ils absolument à ce que quelques massacreurs djihadistes binationaux puissent demeurer français, quoiqu’ils aient fait… à la France et aux français ? 2°) Et pourquoi insistent-ils tant, par pétitions comminatoires et tribunes furieuses, pour que l’état d’urgence soit levé, là, tout de suite, quel que soit le niveau de la menace ? » Remarquons les termes : « hurlant », « pétitions comminatoires », « tribunes furieuses » : on a bien là une langage qui appelle à raison garder, non ? Au risque d’être classé parmi les « furieux » et ceux qui hurlent, peut-on demander ce que signifient ces questions ? Quiconque sait lire comprend que pour Hanne les « furieux » sont des adversaires systématiques de l’État et, au mieux, des irresponsables qui se fichent de attentats terroristes. Du reste Hannejustifie la réponse implicite à ces questions rhétoriques : « J’ai bien peur, alors, que les réponses populaires à ces questions de bon sens ne soient pas exactement celles qu’attendent les dopés à la vitamine anti-DN. 30 % seulement des électeurs ont voté Front National aux régionales. Mais, selon les sondages, les 3/4 des français (ce qui fait beaucoup plus que l’électorat du FN) ont approuvé l’état d’urgence et, d’après ce que nous dit un sondage IFOP récent plus de 80 % des français ne sont pas du tout offusqués qu’une DN soit infligée à des gens tellement attachés à leur deuxième nationalité qu’ils aiment beaucoup tuer des Français, rien que parce qu’ils sont français. » Et il ajoute : « Certes, l’opinion n’a pas toujours raison. Mais comme elle n’a pas toujours tort non plus, n’en déplaise aux antipopulistes de système, il faut se demander pourquoi cette opinion semble si largement partagée. » Encore la rhétorique filandreuse ; traduit en français ordinaire, cela se lit : l’opinion publique testée par les sondages et ceux qui ne laissent pas convaincre par cet argument sont des intellectuels coupés du peuple. On apprend aussi – ruses de l’inconscient – que pour les binationaux, la nationalité française n’est que leur « deuxième nationalité ». Le diable est dans les détails et le détail révèle une fois de plus le fond de la pensée de DH, pensée qu’il s’évertue à maquiller tout au long de son article.

À la fin, Hanne conclut : « Restons vigilants sur les libertés fondamentales, les vraies : celles que veut détruire Daech. Non, nous ne voulons pas que la menace terroriste nous fasse changer de société. Mais, justement, pour cela, il faut batailler, se défendre contre le total-terrorisme. Ses tueurs, ses apologistes, ses idiots utiles. En tout cas, dans cette bataille à multiples fronts, il ne doit pas nous être interdit d’énoncer, symboliquement, oui, absolument symboliquement, qui, à cause de ses actes, se rend indigne de demeurer placé sous protection de la République française. Et, s’il faut en passer par là, que le peuple le dise. » Si Hanne tient au symbolique, pourquoi ne pas demander, comme l’ont demandé certains députés de droite et de gauche, d’infliger l’indignité nationale – version 1944 – aux crimes de terrorisme ? Est-ce parce que justement ce type de peine s’appliquerait à tous et pas seulement aux binationaux ? On apprend aussi, en lisant Hanne, que les libertés que Daech attaquent sont les seules qui méritent notre vigilance et donc évidemment quand, au nom de l’État d’urgence, on interdit les manifestations, on matraque les syndicalistes, on met en fiche tout le monde, on viole la séparation des pouvoirs et on transforme les préfets en super-procureur, alors nous devons nous taire et accepter la symbolique hannienne … tirée du chapeau de Le Pen et Sarkozy et remise à l’ordre du jour par Hollande.

La position de Didier Hanne lui permet de faire bloc avec « la gauche » (dont il défend l’honneur moral…), avec Chevénement, avec tous les capitulards qui organisent le changement de régime au nom d’une menace terroriste qui ne leur sert que d’épouvantail, car en pratique ils ne font rien de sérieux contre le terrorisme et continuent d’entretenir les meilleurs relations du monde avec toute la galaxie salafiste-wahhabite qui constitue le terreau nourricier des assassins jihadistes. Pour l’information de Didier Hanne, roi du symbole ignorant des basses réalités matérielles, signalons que rien n’a été fait pour assurer la sécurité dans les trains – les propositions de portiques pour les TGV sont presque complètement restées lettres mortes et l’attentat de Madrid nous avait montré que les trains de banlieues sont aussi des cibles. Qui garantit la sécurité des abords des établissements scolaires laïques, déclarés cibles par Daech ? Personne. Et Hanne le sait. Il y a plusieurs mois, Cazeneuve avait promis de rétablir l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs (qui avait été supprimée par Valls) mais à la date d’aujourd’hui cette annonce n’a toujours pas été suivie d’effets. La liste des faits qui démontrent l’incurie gouvernementale et attestent que tous les braillards qui s’en vont criant « état d’urgence », « déchéance », a été faite à la tribune du meeting du 23 janvier par Dominique Goujard, ancien président de la Cour d’assise de Paris. On pourra utilement s’y reporter. L’arsenal anti-terroriste était plus que suffisant (notamment, il permettait déjà les perquisitions de nuit). Mais de tout cela Hanne n’a cure. Il lui suffit de dénoncer les « hurlements » des « furieux » en vue d’apporter son soutien à Hollande et Valls.

Au total donc, le texte Hanne est un texte lamentable, exemplaire de l’absence de toute colonne vertébrale principielle dans cette gauche qui oscille d’un bord à l’autre dès que la situation se tend un peu.


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