Acte1 : Des mesures dilatoires…
Le feuilleton de l’été ne trahit pas ses promesses. Chaque jour une nouvelle pièce vient compléter le puzzle.
Deux jours après que nous écrivions sur la crise politique[1] que révèle au plus haut niveau de l’état cette histoire qui mêle personnel politique, ministres, femme de ministre, milieu des affaires, et une des plus grandes fortunes d’Europe en la personne de Lilianne Bettencourt, la patronne de L’Oréal, numéro 1 mondial du cosmétique, le président de la république, pris de court, a voulu sauver momentanément la face en récupérant ou suscitant la démission de deux ministres fusibles mis en cause.
Ainsi Alain Joyandet et Christian Blanc ont inauguré la liste infamante des démissionnaires pour privilèges indus, tirés de l’exercice de leur fonction.
A la tête de l’UMP, le carré du président dont Xavier Bertrand, le porte parole du mouvement et Dominique Lefêvre qui se dit lui-même porte flingue de Sarkozy, montait au créneau avec en substance un message, un seul : « deux têtes sont tombées, l’affaire est close ! ». Le but en effet est de protéger coûte que coûte Eric Woerth, le ministre dont le nom est accolé à la contre réforme des retraites, la plus importante du quinquennat qui doit arriver à terme à la rentrée et qui risque fort dans le contexte actuel de déclencher la foudre des forces sociales, malgré les atermoiements des directions syndicales.
Allaient-ils tous parvenir à éteindre l’incendie ?
Patatras ! Il n’aura fallu que quelques heures pour que l’ex comptable de Liliane Bettencourt, tout juste sortie des bureaux de la brigade financière se livre à Médiapart. Il est question de billets de banques pris sur un compte d’une agence du 16ème arrondissement de Paris ou d’une autre de Neuilly, de visites d’hommes politiques, de remises d’enveloppes « en papier kraft » bien remplies, de discussions qui « ne trompent pas ». Parmi les heureux bénéficiaires de ces largesses, Eric Woerth à nouveau, mais aussi Nicolas Sarkozy, du temps où il était maire à Neuilly, ou encore Edouard Balladur, l’ancien candidat malheureux aux présidentielles qui bénéficiait alors du soutien, contre Jacques Chirac, de … Nicolas Sarkozy ! Et pour la campagne de ce dernier, il serait même question de 150 000 euros remis en liquide au trésorier de l’UMP, Eric Woerth himself !
Du coup, les braises que le pouvoir politique voulait voir transformées en cendre reprennent de plus belle. Il fallait donc se garder contre toute nouvelle menace. Depuis plusieurs jours, dans l’ombre, certains affidés du pouvoir y pensent et s’emploient à dresser un pare-feu efficace.
Acte2 : … Au changement de la loi comme mesure radicale !
Ainsi, la question de la démocratie est posée de façon très concrète dans l’affaire Woerth.
Pendant que la chronique estivale se nourrit chaque jour un peu plus, voila qu’en catimini les sénateurs planchent…
Il s’agit d’une proposition de loi en chantier sur « la prise illégale d’intérêts » visant à contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation et surtout à vider de sa substance cette infraction.
Les choses se posent ainsi :
- Texte ancien : Le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou en partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
- Modification apportée : un intérêt quelconque est changée par "un intérêt personnel distinct de l’intérêt général"[2].
Il s’agit de la proposition de loi n° 268 (2008 -2009) de Bernard Saugey, député UMP de l’Isère.
Ce texte a été adopté par le Sénat le 24 juin 2010 et transmis à l’Assemblée nationale le même jour.
On comprend les conséquences qu’un tel changement de la loi pourrait avoir dans le cas d’Eric Woerth. S’il semble en effet assez vraisemblable, une fois les faits retenus, qu’un « intérêt quelconque » ait été tiré de la situation, c’est une toute autre affaire que d’établir « un intérêt personnel et distinct de l’intérêt général ». La nuance concerne notamment l’enrichissement personnel et exclut les avantages tirés par l’UMP de la fonction de trésorier du mouvement et les questions afférentes au financement politique.
A un moment où l’on s’interroge sur l’application à Eric Woerth du délit de « prise illégale d’intérêt », une telle modification législative ne manque vraiment pas de sel...
Jacques Cotta
Mardi 6 juillet 2010
[1] Voir sur notre site l’article De l’affaire Woerth à la crise politique, sociale et morale, le poisson pourrit toujours par la tête !à l’adresse suivante : http://la-sociale.viabloga.com/news/de-l-affaire-woerth-a-la-crise-politique-sociale-et-morale-le-poisson-pourrit-toujours-par-la-tete
[2] Toutes les informations peuvent être consultées sur le site "Les nouvelles du Sénat" du 4 juin 2010. http://www.senat.fr/lettre/lettre_presentation.html
abracadabrantesque !