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Du PS à l’extrême gauche : la question de l’Europe

Par Jacques Cotta • Actualités • Samedi 06/12/2003 • 0 commentaires  • Lu 2162 fois • Version imprimable


Après Seattle, Porto Allegre et Florence, les forums altermondialistes sont devenus des rendez-vous incontournables. Le forum social qui s’est tenu dans la région parisienne durant le mois de novembre 2003 a ainsi regroupé plus de 50 000 participants et des centaines d’associations. Toutes les formations politiques ont également fait le déplacement[1]. Du parti socialiste à l’extrême gauche, un an et demi après la déconfiture de la « gauche plurielle » aux élections présidentielles, et quelques mois seulement après le déclenchement  de l’invasion américano-britannique de l’Irak, ce rassemblement, placé sous le mot d’ordre unificateur du combat « Pour une autre Europe » devait théoriquement permettre de débattre largement de l’opposition « à la marchandisation du monde et de la vie » et offrir l’occasion aux participants de préciser pour quelle Europe précisément ils désirent s’engager.

 

L’Europe encore et toujours

    La question européenne va occuper dans la période qui s’ouvre une place centrale. Dans quelques mois en effet, selon la volonté des gouvernements européens et des forces politiques pour lesquelles « la mondialisation libérale » ne doit connaître aucun obstacle, une soi-disant constitution européenne devrait s’imposer à tous[2]. Sous la direction de Valéry Giscard d’Estaing et de quelques « experts » désignés par on ne sait qui pour l’occasion, un texte coulant dans le marbre l’ensemble du dispositif anti-social des traités antérieurs -Maastricht, Amsterdam, Barcelone ou Nice- devrait nous être dicté. Il n’y aurait donc plus rien à dire sur toutes les questions qui ici ou là, de sommet altermondialiste en sommet altermondialiste, sont débattues et combattues. Des OGM aux retraites, de la politique sanitaire à la sécurité sociale, de l’éducation ou la culture au droit des peuples à décider eux-mêmes de leurs propres affaires, la messe serait prononcée une fois pour toute (c’est le cas de le dire vu le caractère anti-laïque de la pseudo constitution Giscard). Tout retour en arrière sur quelque aspect que ce soit serait rendu beaucoup plus difficile, car nécessiterait la remise en question de cette pseudo-constitution dans son ensemble. Ce qui se dessine ainsi n’est autre qu’une Europe liée à l’OTAN, un nouvel état de l’empire américain aligné sur ses valeurs, contre les aspirations et les intérêts des citoyens des différentes nations européennes. Voilà globalement ce qui se prépare et ce à quoi on veut nous enchaîner.

 

            Dans un tel contexte, la question européenne constitue pratiquement pour « la gauche » une chance historique à saisir. Mais il lui faut pour cela sortir des ornières qui sont apparues durant le forum social européen. Est-il en effet cohérent pour le mouvement alter-mondialiste[3], et plus particulièrement pour la gauche politique qui déclare s’opposer au capitalisme financiarisé, de « se rassembler parce qu’une autre Europe est à la fois possible et nécessaire » sans d’abord affirmer son refus de la pseudo-constitution européenne qui renforce « l’Europe libérale » en cours ? La question européenne et le positionnement face à la pseudo constitution de Giscard sont en effet essentiels pour donner un contour réel et un véritable contenu à toute une série d’aspiration éparpillées et juxtaposées dans les sommets alter-mondialistes, dont l’addition ne saurait faire en soi une force.

 

Pourtant, face à la nécessité de définir clairement une position qui pourrait être le socle des combats unitaires à venir sur la pseudo constitution de Giscard, les uns et les autres ont choisi d’éviter la question[4]. L’extrême gauche, LCR en tête, a préféré voir dans le forum social Européen l’expression d’une « gauche mouvementiste diverse[5] », une force qu’elle désire incarner. Pourtant, les limites et l’impuissance de cette « gauche mouvementiste » opposée à la gauche institutionnelle et politique ne sont plus à démonter. L’addition de manifestations, de rassemblements, de mots d’ordre et de revendications ne font pas un programme, et encore moins un guide pour l’action unitaire et centralisée.

 

Quant au Parti Socialiste qui a préparé de son côté le Forum Social Européen, il a préféré en rester au stade des généralités et éviter les questions qui en son sein pourraient fâcher. Il parle de « Justice », de « solidarité », de « liberté » et de « paix »[6] en France et à l’échelle européenne, pour souligner le devoir de « traduire cette vision en pratique ». Il insiste sur la nécessité « à la veille du FSE » pour les socialistes « d’exprimer à la fois leur démarche et leurs propositions[7] », tout en se gardant bien de dire précisément de quoi il retourne. Il évoque aussi l’obligation pour les socialistes de « forger leur projet politique à travers la construction européenne » et s’assigne comme objectif la diffusion d’idées « au delà-même de l’Europe, à l’échelle planétaire » [8]. Pas moins ! Il conclut enfin par un appel du pied direct à « ces militants, souvent anonymes, de l’altermondialisation »[9].

 

En réalité, le parti socialiste est ailleurs. Sur toutes les questions importantes — de la 5ème République à la politique sociale en passant par la pseudo-constitution Giscard — il est traversé par des contradictions inconciliables sur le fond entre les positions que défendent ses minorités[10] et celles de sa majorité qui regroupe à quelques rares exceptions tous les anciens ministres et toutes les figures connues du parti. Par voie de conséquence, dans la continuité de son congrès de Dijon, sa direction incarnée par François Hollande évite soigneusement le débat sur toutes les questions qui poseraient concrètement l’opposition à la mondialisation capitaliste et ouvriraient la discussion[11]. Et la « constitution- européenne » est bien sûr de celles-là. Motus et bouche cousue donc. Dans l’attente des prochaines échéances électorales et notamment des présidentielles de 2007, les principaux leaders du parti pensent plus à leur positionnement personnel qu’à l’orientation sur laquelle ils devraient appeler à se rassembler. Leur présence au FSE en est l’illustration. Ils ont fait le déplacement parce que le 21 avril 2002 est passé par-là et qu’ils savent que le mouvement alter-mondialiste leur est indispensable pour leur avenir électoral qui risque fort d’avoir des aspects lugubres. Alors ils se montrent, ni plus, ni moins. Laurent Fabius par exemple, en compagnie de Claude Bartolone, installé gentiment, et silencieusement, au fond d’une salle, le temps qu’une caméra de télévision immortalise la pose. Dominique Strauss-Kahn[12], à la veille de l’inauguration de son « futur siège de campagne présidentielle », présent aussi au FSE, faisant mine de s’interroger alors que la pseudo-constitution européenne, œuvre de Giscard, doit aussi beaucoup à son lieutenant Pierre Moscovici. François Hollande, bien évidemment, mais aussi Delanoe, Aubry, Lang, Kouchner, etc…. Une véritable revue des ambitions présidentielles du parti socialiste[13] qui semblent s’affirmer totalement en dehors du temps et de l’espace, stimulée et aidée par les sondages de circonstance qui soulignent l’absence d’un vrai leader reconnu comme tel à la tête du Parti[14].

Du coup, le PS qui voudrait tant donner l’image d’un parti qui a tiré toutes les leçons du 21 avril et qui aujourd’hui serait prêt à s’attacher à l’essentiel, est reparti dans sa guerre des chefs. Ils se conduisent comme s’ils avaient oublié qu’ils sont dans la même barque et qu’ils souffrent ensemble tragiquement d’absence troupes. François Hollande est ainsi amené à rappeler à l’ordre ses principaux concurrents pour des échéances encore lointaines. Dans un entretien à l’AFP, il demande aux deux principaux présidentiables, Fabius et Strauss-Kahn, « de contribuer d’abord par leur travail et leurs propositions au rayonnement et à la crédibilité du PS ». Ce qui, inexorablement dans la situation présente, ramène les socialistes à la question européenne.

 

L’art du double discours

 

Publiquement, François Hollande, légitimé par la fonction qu’il occupe à la tête du parti socialiste, a le mérite d’aborder enfin le sujet que tous évitent. Dans la phase de préparation du FSE, devant quelques centaines de personnes, il adopte un discours[15] que pourrait revendiquer tout alter-mondialiste convaincu. Après avoir répertorié ce qui selon lui constitue « les enjeux planétaires nouveaux » de la mondialisation, à la fois les questions « climatiques, écologiques, énergétiques mais aussi sanitaires », après avoir évoqué « les maladies qui se sont diffusées », il fustige « cette progression de la finance qui prend le pas à chaque fois sur l’économie réelle », il condamne « ces délocalisations » qui suscitent « la peur, l’inquiétude » par rapport à ce l’on croit être « l’évolution fatale du monde ». Ainsi, le premier secrétaire du Parti Socialiste affirme sa détermination en forme d’appel à tous les participants potentiels au Front Social Européen, proclamant que ce monde-là, « c’est à nous d’en faire ce que nous décidons et pas aux forces de l’argent, aux forces de l’économie, aux forces libérales d’imposer leur modèle qui ne peut pas être unique ». Publiquement, François Hollande affirme sa volonté d’une « Europe politique » contrairement au marché qui « n’a pas besoin de politique parce qu’il considère que seule ses décisions doivent décider du sort du monde ». S’adressant alors directement aux militants altermondialistes pour travailler ensemble, François Hollande décide cependant d’insister sur quelques limites qui à ses yeux  méritent « d’être posées ». « Nous considérons dit-il que l’ouverture est le principe essentiel et qu’il ne peut être question, au nom de l’altermondialisation, de défendre le souverainisme et le protectionnisme ». Avant de conclure sous forme de verdict, sans appel possible : « Parce que s’il faut lutter contre le libre-échange, s’il faut lutter contre le libéralisme, il n’y a pas d’avenir pour le monde si chacun se referme sur l’Etat-Nation ».

 

Patatras ! Voilà comment au détour d’une phrase, en fin de meeting, toutes les bonnes intentions sont remises en cause et n’apparaissent que comme des arguments d’opportunité balayés par la force des circonstances. Le danger pour François Hollande réside donc dans le repli sur soi, dans l’Etat-Nation. Une façon à peine détournée de donner son approbation de fond à la pseudo-constitution européenne de Giscard qui est l’aboutissement du combat de la mondialisation capitaliste précisément contre les Etats-Nations susceptibles de lui faire obstacle. Car derrière ce qui se profile, c’est l’interdiction aux peuples d’Europe de faire valoir leurs propres intérêts, de défendre leur histoire et leurs acquis, de résister à cette formidable machine à broyer qui se met en place sous nos yeux et contre laquelle sur le fond François Hollande et le courant majoritaire du Parti Socialiste considèrent qu’on ne peut rien faire. Lorsqu’il parle du danger que représente « le souverainisme », en retardant d’ailleurs sur la mode linguistique qu’avait instauré durant la campagne présidentielle de 2002 la pensée unique[16], il parle sans le dire de la souveraineté populaire ou encore de la démocratie qui exige que les peuples aient le pouvoir de décider eux-mêmes de leur propre avenir et de leurs propres affaires. Il s’adapte aux usages européens en vigueur qui réserve ce droit, selon les domaines, à quelques fonctionnaires d’une commission ou d’une banque centrale que nul ne connaît et qui peuvent décider ce que bon leur semble sans avoir de compte à rendre. De même, lorsqu’il fustige « le protectionnisme », il met en cause, au nom d’une « bonne gouvernance », la possibilité de préserver des secteurs clés de notre économie et par là-même des dizaines sinon des centaines de milliers d’emplois, comme par exemple la maison blanche et l’administration américaine viennent de le faire pour défendre leur industrie dans le domaine de l’acier. Plus grave encore, lorsqu’il condamne l’Etat-Nation, c’est un système de règles institutionnelles, produit de dizaines d’années de luttes des classes, d’avancées, de sacrifices, de combats qui sur le terrain social notamment ont permis des acquis -de la sécurité sociale à la laïcité, de l’enseignement au droit à la santé- qui sont aujourd’hui directement dans le collimateur de la mondialisation libérale en générale, de l’Europe en construction et de la pseudo-constitution européenne en particulier.

 

La majorité du parti socialiste est bien embarrassée avec la pseudo-constitution européenne qui concentre l’enjeu de la période dans laquelle nous sommes. Elle est sur le fond d’accord avec son contenu, mais ne peut le dire trop ouvertement dés maintenant au risque de déclencher une crise interne et de se retrouver minoritaire en sa propre demeure. C’est la raison pour laquelle elle n’aborde pour le moment le sujet que par la bande. Pour traiter le problème frontalement, la direction du PS a décidé de s’en remettre à un référendum interne au parti. Le début de la discussion en son sein l’a en effet invité quelques semaines avant l’ouverture du FSE, à faire preuve de prudence.

 

Tout a commencé avec l’adoption par le Bureau National du Parti Socialiste d’un texte intitulé « Pour l’Europe, les exigences des socialistes »[17]. Après quelques généralités d’usage et quelques « revendications » adressées à l’Europe à 25, en omettant d’ailleurs d’expliquer les raisons pour lesquelles l’Europe à 15 comprenant 13 pays à direction sociale-démocrate a été incapable d’avancer, les membres de la direction socialiste proche de Hollande, Fabius et Strauss-Kahn abordent les choses sérieuses. En premier lieu, ils tirent un trait d’union entre « Europe politique » et « Constitution européenne »[18], oubliant que la légitimité d’une constitution procède d’un peuple et d’une assemblée constituante. Deux éléments qui font cruellement défaut à la démarche en cours. D’abord, l’Europe est formée de peuples distincts aux expériences et à l’histoire différentes, de Nations diverses, qu’il ne suffit pas de nier pour parvenir à les gommer. Ensuite, la pseudo-constitution européenne de Giscard ne procède en rien d’une constituante et n’est en réalité qu’un traité comme les autres qui reprend d’ailleurs en son sein le contenu de tous les précédents, les rendant pratiquement intouchables sur un quelconque point particulier, puisqu’il faudra alors s’attaquer à tout l’édifice baptisé pour l’occasion « Constitution ». Mais il y a plus. La direction socialiste fait sienne la démarche de la commission regroupée autour de Valéry Giscard d’Estaing, indépendamment de son contenu et de son caractère totalement anti-démocratique[19]. Alors qu’il est de bon ton au moment du Forum Social Européen de revenir sur quelques aspects de la politique européenne au nom du combat contre la « mondialisation libérale », le Bureau National du PS revendique quelques jours avant l’ouverture du FSE les traités de Maastricht, Amsterdam, Lisbonne, Nice, qui ont contribué à mettre en place tout ce qui par ailleurs est dénoncé, de la liquidation des services publics à la remise en cause des retraites, du dumping social au dumping fiscal, … Le Bureau National du PS découvre des vertus démocratiques à un texte qui n’ena cure[20] ! Il s’invente une progression de l’Europe politique[21]. Il revendique le texte dans son ensemble dont il découvre les « avancées » par rapport aux institutions actuelles. Et lorsqu’il en souligne quelques insuffisances, c’est pour demander des progrès en matière de « gouvernance économique » et bien sûr, passage obligé, pour déplorer une série de manques dans le domaine de « l’Europe sociale ». Le Bureau National du PS est tout entier acquis à la démarche européenne en cours. Au point d’ailleurs de préciser : « Les socialistes n’accepteront aucun recul sur les éléments acquis à la Convention et souhaitent que la CIG permette des progrès supplémentaires ». Ainsi donc, la condition posée par le Bureau National du Parti Socialiste pour qu’il donne son accord à la pseudo-constitution européenne de Giscard est qu’il n’y ait de la part de CIG qui doit en discuter aucun recul, que le texte reste en l’état. Dans le domaine de la clarté, certes embarrassante devant les altermondialistes, le Bureau National du parti socialiste pouvait difficilement mieux faire : la direction du parti socialiste est bien en total accord avec la pseudo-constitution européenne ! Tout le reste formulé sous forme « d’exigences des socialistes pour une Constitution démocratique et sociale » n’est que littérature. Enfin, la conclusion qui demande « la ratification, le moment venu, de la Constitution par référendum » sans consigne de vote apparent, pour ne pas appeler trop vite à voter « OUI », est une position commune à toutes les composantes du courant majoritaire, de Hollande à Fabius en passant par Strauss-Khan et les autres, mais c’est aussi la position de François Bayrou, ou encore celle d’une partie des « verts » menés par Alain Lipietz[22] et les frères Cohn-bendit. Ainsi, Le conseil national interrégional des Verts adoptait à la quasi-unanimité une motion reconnaissant au projet de constitution « un caractère positif par ses avancées institutionnelles incontestables »[23]. Quelques jours auparavant, le secrétaire national des Verts, Gilles Lemaire, déclarait après sa rencontre avec Jacques Chirac[24], s’être retrouvé sur le texte « sur une position très proche de celle du président ».

Les choses seraient assez simples pour la direction socialiste si ses positions, au lendemain du 21 avril 2002, ne souffraient aucune contestation au sein du parti. Toute perspective de clarification et de recomposition à gauche serait durablement hypothéquée. Mais potentiellement, c’est exactement le contraire qui se produit. Les minoritaires du Parti Socialiste qui ensemble regroupaient environ 40% des voix au congrès de Dijon, ont sur l’essentiel des positions communes. Reste à savoir si cela sera suffisant pour ouvrir une perspective de clarification.

Rififi ou discipline

            Alors que la question de la pseudo-constitution européenne est loin d’être tranchée, alors qu’officiellement l’organisation politique de l’Europe est donc en pleine discussion, le « calendrier » de l’Assemblée Nationale appelait les députés à ratifier le traité d’adhésion en mai 2004 de dix nouveaux pays à l’Union Européenne[25]. Alors qu’aux côtés de l’U.M.P. et de l’U.D.F., le groupe socialiste décidait de voter pour le projet de loi[26], une quinzaine de députés, membres ou proches des courants minoritaires du parti, avaient fait connaître leur désaccord et leur opposition à une telle ouverture en l’état de la discussion sur l’organisation politique de l’Europe. Immédiatement, venant du parti socialiste, un rappel à l’ordre s’est fait entendre, digne des communiqués du « Politburo » aux plus beaux jours du stalinisme. Sur l’initiative du « groupe du 17 novembre » qui avait rédigé un an auparavant une contribution en vue du congrès de Dijon pour soutenir François Hollande, les députés socialistes étaient appelés à signer un texte de condamnation des minoritaires qui soulignait pour les élus la possibilité de discuter autant qu’ils le désiraient, à condition de voter comme la direction l’avait décidé[27]. Quelques jours plus tard, c’est François Hollande lui-même qui montait au créneau. Condamnant « la frilosité des minoritaires sur la question européenne », il mettait en garde « contre le gaucho souverainisme » incarné par les minorités du Parti, laissant d’ailleurs planer une sanction contre les récalcitrants.

 

            Les résultats du vote sont surprenants. Outre que le Parti Communiste qui s’était également prononcé contre l’élargissement ait refusé de voter au lieu de voter tout simplement contre, il fait apparaître l’adoption du projet de loi autorisant la ratification du traité d’adhésion par 505 voix, contre 3 et 15 abstentions. Ainsi, les pressions sur les députés d’opposition à la direction du Parti Socialiste de « Nouveau Monde » et du « Nouveau Parti Socialiste » ont porté leur fruit. Alors qu’ils étaient contre, ils ont décidé de s’abstenir, choisissant dans les faits la discipline de leur parti contre leurs convictions et l’intérêt politique des millions de salariés, d’ouvriers et d’employés qu’ils aspirent à représenter politiquement. L’exemple vaut pour l’avenir. Sur toutes les questions de fond, l’affrontement avec la direction du parti socialiste qui considère qu’il n’y a rien à faire ni à opposer contre la « mondialisation libérale » est inéluctable. Différer l’affrontement revient à se ranger dans les faits sur les positions de la direction socialiste et à réduire toute déclaration à quelques bonnes intentions sans effet ni grand intérêt. Les opposants à la direction du Parti Socialiste ne sont pas les premiers à se retrouver dans cette situation où le Rubicond semble avoir des dimensions infranchissables. L’histoire britannique de Ken Levingston par exemple est pleine de leçons. Lorsqu’il entre en conflit avec la direction de New Labour et Tony Blair, Ken Levingston, représentant d’une opposition de gauche dans le parti anglais, est menacé d’excommunication par les responsables de son organisation. Il assume ses positions, en appelle aux militants, et plus, aux travailleurs qui n’ont aucune solution alternative la politique libérale du New Labour. Il est exclu du Parti, ses anciens camarades lui promettant une fin de vie politique difficile. Arrivent alors les élections municipales de Londres. Il se présente et trouve contre lui un candidat blairiste dont le but avoué est de le faire perdre définitivement. Alors qu’ils lui promettaient l’enfer, les partisans de Tony Blair sont désavoués par les électeurs qui choisissent le représentant de la gauche anglaise contre le candidat conservateur et celui du New Labour. Aujourd’hui, en vue des élections de 2004, le parti de Tony Blair cherche les moyens de se rapprocher de Ken Levingston qui sort grand gagnant de l’affrontement non différé mais assumé avec la direction du parti de Tony Blair et qui sans doute, s’il était rentré dans le rang à l’époque serait aujourd’hui réduit, comme d’autres, au rang de blairiste honteux. Les responsables de l’opposition de gauche dans le Parti Socialiste feraient bien, à la veille des échéances sur la pseudo-constitution européenne de Giscard, de méditer la leçon britannique.

 

            Ils sont en effet ouvertement et publiquement opposé à l’adoption de ce texte. Au sein de la direction du Conseil National du Parti[28], ils n’ont, ni les uns, ni les autres, caché leurs positions. Ainsi, face à une majorité dont le nouveau porte-parole Julien Dray, oppositionnel rallié à François Hollande durant la préparation du congrès de Dijon, exprime la position –« il est possible de faire bouger les lignes » du texte Giscard qui « est un compromis »- et donne la perspective d’une adresse à Jacques Chirac, les responsables des courants minoritaires caractérisent chacun à leur manière le contenu de la « pseudo-constitution européenne ». Gérard Filoche lie la question européenne au combat contre le gouvernement Raffarin dont la politique anti-sociale jettent des millions de salariés dans la rue[29]. Jean Luc Melenchon caractérise la « pseudo-constitution européenne » -« ni sociale, ni démocratique, ni républicaine »- et rappelle la place prise par « la concurrence » érigée en dogme dans le texte[30]. Henri Emmanuelli met en cause la démarche constante des socialistes qui au nom d’arguments de circonstance ont souvent trouvé entre eux des compromis les conduisant à accepter, au nom de l’Europe, les traités européens sans prendre vraiment en compte leur contenu[31]. Et Arnaud Montebourg, pour qui ce texte européen conduit inévitablement tout socialiste à un reniement sans appel[32].

 

                Conséquence logique d’une démarche politique sur laquelle ils se retrouvent sur l’essentiel, les trois courants minoritaires du parti socialiste engagent un processus intéressant de rapprochement et de discussion contre les positions européistes de la majorité du parti et déposent un texte[33] au vote du Conseil National qui recueille 61 voix contre 116 à la majorité du Parti. Ce document aborde le fond de la question et répertorie les grands points sur lesquels les différents courants décident un travail commun. Il s’engage d’abord dans une critique de la pseudo-constitution européenne qui « consacre le triomphe constitutionnel de l’économie de marché libérale », qui oublie « toute reconnaissance des services publics », qui constitutionnalise « des principes restrictifs fondateurs de la Banque Centrale Européenne », qui a oublié « La question démocratique, condition du rapprochement de l’Europe et des européens ». En même temps, l’opposition à la majorité du parti socialiste s’opère sur la volonté d’une autre Europe basée sur « un régime parlementaire avec un véritable Parlement », se prononce pour « un vrai traité social spécifique », pour une « Europe capable de se faire entendre sur la scène internationale, pour défendre partout les exigences des droits de l’homme, de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la paix », une Europe « au service de l’Onu qui érigerait, indépendamment de l’Otan, son propre système de défense » pour enfin une véritable « réconciliation de l’Europe et des peuples ». Il y a là base à débat et contenu à recomposition politique contre les positions liquidatrices qui ont conduit la gauche au point où elle en est. Mais pour saisir l’occasion, encore faut-il tenir bon. L’opposition au sein du parti socialiste se trouve à la croisée des chemins. Si comme pour l’élargissement elle cède aux pressions et met ses positions en retrait, elle sera d’une façon ou d’une autre amenée à disparaître. Si à l’inverse elle tient bon et s’engage publiquement dans un processus de rupture politique avec la majorité du parti, alors elle prend le risque de l’incertitude certes, mais préserve dans la bataille la chance d’exister et autour d’elle de rassembler. Cette Perspective de rassemblement s’impose face à la crise au sein du Parti Socialiste qui n’aura échappé à personne. Elle nous ramène aux forces qui se sont retrouvée au sein du FSE, notamment à l’extrême gauche qui au lieu d’avoir choisi une démarche aidant à la clarification politique s’est lancée dans une soit disant « unité des révolutionnaires ».

 La L.C.R. et son soi-disant front des révolutionnaires

 Organisation qui se réclame du Trotskisme, la Ligue communiste révolutionnaire fait théoriquement sienne la stratégie du « Front Unique Ouvrier » qui repose sur la double exigence du combat pour l’unité des salariés et d’une ligne qui garantisse son indépendance de classe vis à vis de la Bourgeoisie. En terme actuel, cela devrait signifier clairement un appel au plus large rassemblement contre la « pseudo-constitution européenne » qui prétend inscrire la toute puissance du marché comme un fait constitutionnel et que Valéry Giscard d’Estaing présente lui-même comme irréversible pour au moins 50 ans. La crise au sein du parti socialiste aurait d’autre part dû pousser la L.C.R. à être offensive sur cette orientation, et unitaire pour plusieurs afin de conforter les fortes minorités qui s’y battent sur une orientation lutte de classes. Il n’était d’ailleurs pas difficile, dans la préparation même du F.S.E de se saisir des déclarations de certains responsables socialistes[34], de les prendre au mot pour « les contraindre à aller plus loin qu’ils ne le veuillent dans la voie de la rupture avec la bourgeoisie ».

 Mais la direction de la L.C.R. a tourné le dos au Front Unique pour préférer une prétendue « unité des révolutionnaires » avec Lutte Ouvrière. Il faut bien admettre, même si cela n’est pas fait pour rajeunir un certain nombre d’entre nous, que les membres de la direction de « la Ligue » sont coutumiers du fait. Dans les années 1970 déjà, sous l’impulsion d’Alain Krivine ou Daniel Bensaïd, elle désignait comme cible dans la recherche d’alliance « les nouvelles avant-gardes » et évitait ainsi déjà la confrontation politique avec les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Sa priorité était alors faite des « couches périphériques » par lesquelles elle espérait un jour atteindre « le cœur de la classe ouvrière ». Le résultat est là, et c’est avec la même constance que l’histoire sous nos yeux bégaye. La « Ligue » est toujours en recherche de substitut politique au détriment des principes élémentaires. Le F.S.E. n’a-t-il pas par exemple accueilli Tarik Ramadan avec le soutien de la LCR[35] après des propos qui n’ont rien à envier à ceux que Jean Marie Le Pen tenait il y a quelques années, parlant de « questions de détails » pour qualifier les chambres à gaz ou encore de « Durafour crématoire »[36]. C’est dans la même logique que la LCR a scellé en trois actes un accord avec Lutte Ouvrière.

 Première partie : A la veille des élections régionales et européennes, le bureau politique de la L.C.R. décide de s’adresser à la direction de L.O. pour lui faire quelques propositions[37]. La question du rapprochement entre les deux organisations est posée d’emblée comme dictée par les échéances électorales. La « Ligue » constate une série de divergences et trouve surtout les arguments pour en atténuer la portée. Ainsi, elle indique une différence importante sur l’appréciation du mouvement alter-mondialiste, mais juge positive la participation de LO à la manifestation dénonçant le sommet de Cancun. Les points d’accord sont répertoriés : « pour un plan social et démocratique au service des intérêts des travailleurs, pour la défense d’une politique anti-capitaliste, un positionnement général contre la politique du gouvernement Chirac Raffarin, et enfin pour une démarcation nette vis à vis des partis de l’ex gauche plurielle ». Jusque là, vu le degré de généralité des points énoncés, cela n’engage personne à grand chose. Suivent alors une série de revendications anti-capitalistes. Un des buts clairement annoncé étant la préparation des élections européennes, la question de l’Europe est donc abordée en fin de courrier : « Pour les prochaines échéances européennes, nous pourrons en nous appuyant sur les acquis communs de la campagne de 1999 combattre l’Europe capitaliste et en particulier le projet de constitution européenne et défendre ainsi la perspective d’une Europe sociale et démocratique au service des travailleurs ». Au détour d’une lettre, point parmi d’autres, la question de « la constitution européenne » est donc posée. La perspective d’une bataille commune est formulée. A ce stade, rien n’interdirait donc à la L.C.R de s’adresser de la même façon sur cette question à l’ensemble des organisations ouvrières et démocratiques pour leur proposer de mêler leurs forces contre « le projet de constitution » et « pour la perspective d’une Europe sociale et démocratique au service des travailleurs ». Fin du premier acte !

 Deuxième partie : Quelques jours plus tard, la direction de LO prend la plume et répond au Bureau Politique de la L.C.R.. Sur les généralités, aucune divergence n’apparaît. C’est la question européenne qui coince. La même démarche qui en 1992 avait abouti à faire passer le traité de Maastricht est remise au goût du jour[38]. Ainsi, « un point qui soulèvera cependant une discussion approfondie est dans la campagne des européennes la question de la constitution européenne car si nous ne défendons bien évidemment pas cette dernière, nous ne défendrons pas non plus la constitution bourgeoise de la France, c’est à dire que nous ne pourrons pas opposer la constitution nationale à une constitution européenne. Il nous faudra donc par exemple nous expliquer sur une présentation populaire d’une Europe socialiste ». En un mot commençant, LO se déclare prête à parler de tout et de rien sur l’Europe à la condition expresse de ne pas attaquer la pseudo-constitution européenne de Giscard et donc à ne pas remettre en cause les institutions dans lesquelles d’ailleurs siègent Arlette Laguiller et deux autres responsables de LO aux côtés d’Alain Krivine. Pour le reste, la réponse épistolaire s’attache à la composition des listes électorales, aux têtes de listes à mettre en avant, à l’intitulé des listes, au cadre de discussions à établir entre les directions des deux organisations, aux professions de foi, et aussi au refus de se désister pour des partis de l’ex-gauche plurielle face à la droite si l’occasion se présente, comme au refus de fusionner les listes au deuxième tour pour les élections régionales, décision qui pourrait être rediscuter en cas de menace du Front National. Fin du deuxième acte

Troisième partie : Le XVe congrès de la L.C.R. répond favorablement à L.O.. Sur le fond, la messe est dite. Les questions qui fâchent, dont celle de la pseudo-constitution européenne sont soigneusement mises de côté par la direction de la « Ligue » comme question subsidiaire. Ne reste qu’un accord électoral en bonne et due forme pour les régionales et les européennes du printemps 2004, digne de tous les accords passés depuis des années par l’ex gauche plurielle, où seuls les postes semblent avoir une quelconque importance, indépendamment du programme qui sera défendu. Ce qui demeure, c’est une référence à la «  radicalité » et la volonté affirmée de tondre la laine sur le dos des « partis de l’ex gauche plurielle[39]». La L.C.R. appelle ainsi à un "rassemblement de la gauche anticapitaliste"[40] au sein d'un nouveau parti et « s'adresse aux trois millions d'électeurs qui ont voté pour les candidats d'extrême gauche au premier tour de l'élection présidentielle, le 21 avril 2002, mais également à tous les déçus de la gauche traditionnelle, ainsi qu'aux militants du mouvement social, syndical, associatif et altermondialiste ». Ainsi, sur la base d’un simple compte mathématique des consultations antérieures, dont celle du 21 avril 2002, la L.C.R. se prépare de grandes désillusions. Les votes pour l’extrême gauche, loin d’être des votes d’adhésion, ont comme point de repère l’incapacité des partis traditionnels, dont le PS au premier titre, à exprimer les aspirations des couches sociales qu’ils sont censés représenter. Une bataille clairement identifiée venant des courants minoritaires du Parti Socialiste serait à même de s’adresser à ces électeurs déçus. De plus, l’absence d’un programme politique clair et saisissable de la part de l’extrême gauche répondant aux exigences de l’heure en fait une force contestataire de pression sur le PS, plus réformiste que révolutionnaire, malgré les illusions qu’elle sème en son sein. Elle n’ouvre aucune perspective différente sur le fond que les partis qu’elle veut concurrencer à gauche. Rien dans ce contexte ne  lui garantit de retrouver les voix qu’elle a récoltées en 2002[41]. Mais son incapacité à répondre aux exigences fixées par le calendrier apparaît en toute clarté, à l’extérieur, comme dans les rangs mêmes de la L.C.R.. A son congrès en effet, 105 délégués se sont opposés à l’accord sans principe avec L.O.. De même à la base, des militants ruent dans les brancards. Des textes circulent. La capitulation face à L.O. passe mal[42]. La lecture de l’hebdomadaire de la L.C.R. n’est pas pour calmer la grogne. On peut en effet y apprendre que « Les listes ne se feront pas l’écho du mouvement altermondialiste… LO ne voulant pas prendre position pour un « non » de gauche dans le cadre d’un référendum sur la Constitution européenne, elles n’appelleront pas à rejeter ce texte ultra-libéral et antidémocratique » [43]. Les militants mettent en cause « un silence complice au moment où tous les gouvernements devront faire passer la pilule aux travailleurs partout en Europe, où le battage médiatique battra son plein pour que l’on accepte l’inacceptable ». Enfin, toujours dans « Rouge », c’est Olivier Sabado, membre du Bureau Politique de la « Ligue », qui donne le fond de la pensée de la direction de l’organisation. Dans un article intitulé « discussions L.C.R.-L.O. … suite », il ne dit mot sur la question européenne absente de l’accord entre les deux organisations et affirme : « un éclatement, une division entre deux organisations qui disent des choses voisines, quand ce ne sont pas les mêmes, serait, à l’échelle d’un large public, incompréhensible ». Le combat contre la « pseudo-constitution » européenne de Giscard compte donc pour quantité négligeable. Ce qui n’empêche pas l’hebdomadaire de la L.C.R. de titrer dans un de ses numéros « constitution libérale de l’union européenne, c’est NON ! ». Au royaume du double discours dépendant des circonstances, il serait faux de croire que la direction du Parti Socialiste détient le monopole. La L.C.R. peut revendiquer sa place !

Le monde à l’envers

L’accord L.C.R.-L.O. apparaît donc pour ce qu’il est. Un accord purement électoral dont l’objectif essentiel est le printemps 2004. « Les temps changent » comme dit la chanson : en 1969 Alain Krivine signait un livre intitulé « la farce électorale ». Aujourd’hui, l’extrême gauche est en train de vivre le scénario qui jusqu’à aujourd’hui était prêté presque exclusivement à la gauche plurielle : pour le programme on verra après, ce qui compte, ce sont les postes[44] ! Toutes les déclarations sur la construction du futur parti révolutionnaire dont les élections ne seraient qu’une étape ne résistent pas à l’analyse. L’extrême gauche L.C .R.-L.O. séparément ou ensemble, a déjà réalisé des scores importants sans pour autant  ouvrir la moindre perspective à ses électeurs. Dans les faits, ce sont les partis traditionnels de gauche qui risquent d’en payer les frais et ceux de droite qui en tireront bénéfice. En soi, bien sûr, chacun ne récolte que ce qu’il a semé. Les pouvoirs de  « nuisance électorale » que dénoncent largement les leaders de la gauche plurielle[45] ne peuvent être le point de départ de l’analyse. Si l’extrême gauche est en situation de jouer ce jeu, c’est d’abord parce que la gauche plurielle -dont le parti socialiste- a mené la politique qui a conduit au 21 avril 2002[46]. Que des velléïtés pour créer une relève se fasse jour n’est en soi bien sûr pas condamnable. Ce qui l’est par contre, c’est que la tentative se fasse hors de toute préoccupation programmatique, de toute réponse à la situation qui conditionne pourtant l’avenir pour des millions d’ouvriers, de salariés et de jeunes, comme si la lutte des classes allait se mettre entre parenthèses pour laisser le temps aux soi-disant révolutionnaires de faire leurs petites affaires. Ce qui est condamnable, c’est qu’en conséquence l’essai ne puisse à coup sûr pas être transformé et que le seul gagnant de l’opération ne puisse être que la droite qui a le chemin dégagé pour poursuivre sa politique. La construction de toute organisation ne peut se faire qu’en indiquant à tout moment la meilleure façon de combattre pour la défense de ses intérêts de classe. La démarche qui revient à dire « votez pour nous pour construire le parti et on verra après » ne fait que désarmer et diviser la masse des employés, ouvriers et salariés, et ne peut permettre de construire quoi que ce soit. Dans ces conditions, le radicalisme verbal ne saurait tenir lieu d’orientation. Il ne sert à rien de condamner « la gestion de l’économie capitaliste » à tout bout de champ si c’est pour participer à la création des conditions qui permettent au gouvernement Chirac-Raffarin d’appliquer sa politique. La L.C.R. et L.O. vérifient le vieil adage selon lequel « très à gauche dans les mots n’interdit pas d’être très à droite dans les faits » !

 

 Ce qui ressort de la situation, c’est en fait la grande proximité qui existe entre les positions apparemment très éloignées du PS et de la L.C.R.. Dans les deux partis les majorités sont prêtes à laisser faire sur la question de la pseudo-constitution européenne. Au PS en votant « OUI ». A la L.C.R. en laissant faire ou en ne protestant pour la forme que du bout des lèvres au nom de « l’alliance des révolutionnaires ». Mais dans les deux partis, il existe aussi des oppositions dont les traits communs sont marquants. Leur force relative mais bien réelle d’abord. Leurs positions ensuite qui partent de l’essentiel et qui sur les questions de l’Europe, de la République, et du mouvement social pourraient fort bien se retrouver si elles décidaient de pousser leur démarche jusqu’au bout.

Les unes et les autres, « Nouveau Monde », « Nouveau Parti Socialiste » et « Force Militante » dans le PS, la minorité dirigée par Christian Picquet et Alain Mathieu dans la L.C.R., ont-elles le choix ? Elles ne peuvent à terme endosser la politique de leur direction respective sans y être assimilées et en paraître solidaires. Leur seule chance de survie est liée à la perspective d’ensemble qu’elles pourraient ouvrir, à la crédibilité qu’elles pourraient gagner en s’engageant dans un processus de rupture avec leurs majorités. Elles y gagneraient sans doute en se retrouvant pour le faire. Mais il faudrait pour cela rompre avec les cultures de chapelles et partir de l’essentiel, des positions politiques. Un thème fort permettrait d’aller dans cette voie. L’Europe et l’opposition à la pseudo-constitution européenne qui concentre la question de la République, de la Démocratie, la question politique et sociale, est sans aucun doute de ceux-là.

 Le 6 décembre 2003

Jacques Cotta

 

           

 

                       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] L’atermondialisation est en effet à la mode, y-compris à droite. L’UMP et l’UDF ont par exemple envoyé très officiellement des représentants « observer les travaux du sommet ». Il est vrai que Jacques Chirac lui-même s’est fait pour spécialité la reprise du vocabulaire de circonstance : développement durable, altermondialisation, laïcité… qui se trouve soit privé de tout contenu, soit chargé de sens multiples et parfois même contradictoires.

[2] Voir l’article de Tony Andréani, « le piège européen » dans Utopie Critique N°27.

[3] Sur la diversité, les contradictions et parfois les incohérences du mouvement alter-mondialiste, voir l’article de Denis Collin « Alter-mondialisme et Internationalisme » dans Utopie Critique N°27.

[4] Parmi les associations, on mettra à part ATTAC qui donne une place centrale à  la question européenne et à celle de la souveraineté des peuples. Voir à ce sujet dans Utopie Critique N°27 « Forum social Européen, une autre vision de l’avenir », Jacques Nikonoff / Jacques Cotta.

[5] Plus de 350 forums sur trois sites différents, autant d’ateliers, des milliers de débats et des dizaines de milliers de participants sont bien l’expression d’une force réelle qui cherche des réponses à toute une série de questions. Mais à force de multiplier les thèmes, on aboutit au résultat inverse à celui recherché. En fin de compte, l’essentiel est noyé, ou carrément absent des débats.

[6] « Le Monde » du 03-11-2003, article de François Hollande, premier secrétaire du PS et Poul Nyrup Rasmussen, ancien Premier ministre du Danemark, président du forum progressiste mondial.

[7] Discours préparatoire au FSE de François Hollande au gymnase Japy, le 6 novembre 2003 à Paris.

[8] Op cit

[9] Op cit

[10] Il existe au PS trois courants minoritaires qui se retrouvent sur les questions importantes. Le courant « Pour un nouveau parti socialiste » animé par Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, le courant « Pour un nouveau Monde » animé par Henri Emmanuelli et Jean-Luc Melenchon, et enfin le courant « Force Militante » dirigé par le premier secrétaire de la fédération du Nord, Marc Dolez.

[11] Voir à ce sujet « Où va le Parti Socialiste », documentaire de Jacques Cotta et Pascal Martin, diffusé sur France2 le vendredi 12 décembre.

[12] Dominique Strauss Kahn affirme ses ambitions sans détour. Il récuse l’idée d’être parti trop tôt pour les présidentielles de 2007, et déplore que « les socialistes n’existent pas assez dans le débat », sans pour autant s’y engager lui-même. Il fait par ailleurs donner sa femme, Anne Sainclair, devant les médias pour confirmer sa « détermination ».

[13] Il faut rajouter à la liste Lionel Jospin qui bien que discret personnellement est régulièrement mis en avant par certains de ses amis, dont Daniel Vaillant qui aime rappeler que l’ancien Premier ministre n’a pas abandonné toutes ses ambitions de leadership.

[14] Tous se sentent pousser des ailes à la lecture du sondage réalisé par l’institut CSA pour « France info » et « France 3 » selon lequel 47% des français considèrent que l’absence d’un vrai leader explique les difficultés actuelles du PS. Parmi les sympathisants du PS, ils sont 58% à partager cet avis, et seulement 39% pensent que l’absence d’un vrai projet est à l’origine des difficultés du parti.

[15] Il s’agit toujours du discours prononcé au gymnase Japy, le 6 novembre 2003 à Paris

[16] C’est en effet de souverainistes que qualifiaient les partisans de l’Europe libérale tous ceux qui s’y opposaient. Faisant d’ailleurs l’amalgame pour mieux éviter le débat sur le fond entre les défenseurs de la République, les partisans de la République sociale, et les ceux de Charles Pasqua ou encore de Jean Marie Le Pen.

[17] Réunion du Bureau National en date du 30 septembre 2003.

[18]Le texte du Bureau National du PS affirme en effet : « (…) Pour cela, nous avons besoin d’une Europe politique. C’est pourquoi le débat sur la Constitution européenne est décisif ».  

[19] Op. cit. : « Depuis de longues années, les socialistes militent pour une Constitution, regroupant les traités actuels, les simplifiant et intégrant en son sein la Charte des droits fondamentaux. Le processus issu de la Convention consacre enfin cet objectif.

[20] L’extension du vote à la majorité qualifiée et de la co-décision, associant le Parlement européen à 40 nouveaux domaines et renforçant ses pouvoirs budgétaires, est une réelle avancée politique. L’élection du résident de la Commission européenne par le Parlement européen en tenant compte du résultat des élections européennes est aussi un progrès démocratique.

[21] En outre, un pas nouveau est fait en matière de politique étrangère et de sécurité commune avec la création d’un ministre des Affaires étrangères de l’Union, et des possibilités de coopération en matière de défense, l’harmonisation des politiques d'asile et d'immigration est engagée en vue de constituer un espace commun "de liberté, de sécurité et de justice".

[22] L’argument des « Verts » pro-constitution vaut le détour. A défaut de la constitution Giscard disent-ils, il faudrait supporter les traités antérieurs. Donc, nous n’aurions pas le choix. Ils oublient juste de dire qu’en leur temps, ils ont approuvé les traités en question. C’est donc pour échapper à ce qu’ils ont accepté hier qu’il faudrait entériner la pseudo-constitution européenne de Giscard. Au juste, de qui se moquent donc ces « Verts » députés européens qui sont très intéressés à défendre des institutions dont ils sont ?

[23] Réunion de la direction des Verts en date du dimanche 23 novembre 2003

[24] Jacques Chirac avait annoncé une consultation des responsables des différentes formations politiques. Gilles Lemaire était reçu le 27 octobre 2003

[25] Il s’agit de la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, l’Estonie, la Slovénie et Chypre, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et Malte. L’objectif fixé est que ces nouveaux Etats membres rejoignent l’Union le 1er mai 2004. Ils pourront donc participer à l’élection du Parlement européen de juin 2004.

[26] Séance de l’Assemblée du 26 novembre 2003.

[27] Dans ce texte on pouvait notamment lire : « c’est une chose de manifester son désaccord avec la majorité du parti, c’en est une autre de s’affranchir de la solidarité dans le vote ».

[28] Conseil National en date du 11 octobre 2003

[29] Durant son intervention, Gérard Filoche, membre du courant « pour un Nouveau Parti Socialiste », déclare notamment : « Une Constitution qui défend le droit de travailler mais pas le droit au travail, déjà, en soi, c’est un problème de fond. Après, quand elle érige en dogme l’ultra libéralisme, elle devient une quasi-interdiction pour les Socialistes de défendre leurs idées… »

[30] Jean Luc Melenchon s’attache au contenu du texte : « Et là, vous avez une constitution qui n’a qu’un précédent dans l’histoire, la constitution de l’Union soviétique, qui introduit des principes économiques et sociaux dans un texte constitutionnel et qui vous dit que dorénavant, la concurrence, qui est valeur clé du capitalisme de notre temps, est une valeur qui s’impose, camarades, non seulement en toutes circonstances, mais même quand c’est la guerre. Même quand c’est la guerre, il faudra faire des appels d’offre pour acheter les obus pour nos armées, avec un marché public, avec une commission d’appel d’offre et un cahier des charges. Ceci est dans le texte, et ce texte, comme l’a dit Giscard, est prévu pour 50 ans. Il est irréversible. »

[31] Cette fois-ci pour Henri Emmanuelli, il faut partir du contenu du texte : « Ce qui fait problème, c’est l’intérieur, c’est le contenu. Il n’y a pas simplement des mécanismes, il y a des valeurs. Et quand on voit ce qu’il y a à l’intérieur, je m’excuse, cette fois-ci, le contenu, en quelque sorte, rend dangereux le contenant, ou en tout cas nous interdit de nous référer au contenant ».

[32] Pour Arnaud Montebourg, « dans le texte, qui est le produit d’un compromis politique à un moment donné, avons-nous les éléments qui nous permettent de croire qu’il nous sera possible d’être socialistes et d’y défendre autre chose que le libre-échange, la concurrence, le dogme libéral du marché qui est précisément inscrit dans le marbre constitutionnel d’une constitution à vingt-cinq qu’on ne pourra défaire ou faire évoluer qu’à vingt-cinq, et dans des conditions d’unanimité qui posent le problème du projet que nous constituons avec les dits vingt-cinq ? » 

[33] Voir le site www.democratie-socialisme.org de « démocratie et socialisme, mensuel pour ancrer  le  Parti  socialiste  à gauche » sur lequel il est possible de consulter le texte « En attendant c’est Non ! »  

[34] Le représentant de François Hollande, Kader Arif, mis en avant dans le FSE par la direction du Parti Socialiste, déclarait notamment à quelques jours de l’ouverture du Forum Européen : « Même si nous pouvons noter que nous avons un certain nombre de divergences avec un certain nombre d’organisations, nous avons pu constater ces dernières semaines que des convergences étaient possibles dans la recherche nécessaire et indispensable de débouchés politiques à la contestation de la mondialisation actuelle. Nous tenons à privilégier dans le respect de l’autonomie de chacun le débat et la confrontation d’idées (…)L’organisation de séminaires communs, le lancement d’invitations réciproques, l’acceptation de la rencontre doivent permettre ce rapprochement. Telle est notre volonté ».

[35] Dans le Monde du 6 novembre 2003, Thierry Jonquet, écrivain et ancien militant de la LCR, dénonce « le brevet de respectabilité » décerné à Ramadan par les Verts et la LCR. Il poursuit : « Son hebdomadaire, Rouge, s'est contenté de publier une tribune de Dominique Vidal, lequel n'est pas membre de la LCR, mais exonère M. Ramadan de ses débordements antisémites en faisant passer pour une "maladresse insigne la référence à la judéité de ces intellectuels" : un simple problème de formulation, à l'en croire. Rien d'autre, si ce n'est une déclaration orale d'Olivier Besancenot, affirmant une bonne fois pour toutes que les "propos de Ramadan ne relèvent pas de l'antisémitisme" et que sa participation au FSE "n'est pas illégitime".

[36]Toujours dans « le Monde », Thierry Jonquet poursuit : «Aujourd'hui, M. Ramadan épingle en vrac Kouchner, Adler, Finkielkraut, Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, embrouille sciemment leurs positions respectives à propos de différents conflits - Israël, Irak, Tchétchénie -, y ajoute une pincée de Taguieff parce qu'il n'a pas bien vérifié et que la consonance du nom lui paraît suspecte. Il les somme, en tant qu'intellectuels juifs, de se démarquer de la politique de l'Etat d'Israël. Non pas en tant qu'intellectuels, mais en tant que juifs. Et cela provoque e un "débat" au lieu de la réprobation unanime, immédiate, que l'on pouvait espérer ». 

 

[37] Courrier en date du 10 septembre 2003

[38] A l’époque, la direction de LO décrétant que l’Europe du capital n’était pas son affaire, elle refusait d’appeler à voter « NON » au référendum sur  Maastricht. L’écart de voix en faveur du « OUI » fut si faible que quelques analystes n’hésitèrent pas à expliquer que la consigne de LO avait fait la différence !

[39]« Sur le plan électoral, c'est la volonté de montrer qu'en dehors de la gauche traditionnelle, face à la droite et aux attaques du patronat, il y a un espoir qui se construit en dehors de la gauche traditionnelle sur une ligne radicale », a expliqué Alain Krivine, porte-parole de la LCR

[40] Pour « ratisser plus large », la L.C.R. abandonne ainsi la référence à « la dictature du prolétariat » pour lui substituer « la révolution socialiste et le pouvoir des travailleurs », ce qui dans le contexte n’aura pas traumatisé grand monde et n’aura attiré l’attention que des congressistes qui ont pris cette décision.

[41] Voir à ce sujet le sondage Cecop-CSA paru dans « le Monde » du 30 novembre 2003.

[42] Au lendemain du congrès, des militants font circuler un texte au titre explicite : « Dernière minute : les listes LO-LCR n’appelleront pas à combattre la constitution européenne ! Peut-on accepter ? » Dans le texte, l’analyse est sans concession : « Nous connaissons tous le rôle de Lutte Ouvrière au moment du référendum contre Maastricht : alors que notre organisation faisait campagne pour la victoire du « non », les amis d’Arlette Laguiller appelaient les travailleurs à s’abstenir, favorisant ainsi le camp du « oui » et la victoire de celui-ci, qui conduira par la suite aux conséquences que l’on sait ».

[43] Voir « Rouge » du 9 octobre 2003.

[44] Ce scénario pour le PS et le PCF n’est d’ailleurs pas complètement juste. Rappelons-nous les périodes de constitution de l’Union de la gauche. Au lendemain du congrès d’Epinay, ce qui comptait dans les discussions entre le PS et le PCF, c’était d’abord le programme. Le « programme commun » en fut l’illustration.

[45] De Martine Aubry à François Hollande en passant par Annick le Petit, porte-parole du PS, les déclarations ne manquent pas pour condamner l’accord L.C.R..–L.O., sans toutefois jamais aborder les raisons qui l’ont rendu possible.

[46] De ce point de vue, Daniel Bensaïd et Olivier Besancenot ont beau jeu d’expliquer dans « Le Monde » du 12 novembre : « Personne n'a volé son électorat populaire à la gauche plurielle.  Elle l'a perdu toute seule comme une grande. Deux tiers de nos concitoyens ne voient plus de différence qualitative entre la droite et la gauche. Parmi les 3 millions de voix des candidats d'extrême gauche à l'élection présidentielle (et parmi ceux et celles qui voteront pour elle à l'avenir), certains veulent sans doute donner un simple avertissement à la gauche libérale. Pour d'autres, le divorce est plus profond. Si elle veut mériter leurs suffrages au second tour, c'est à cette gauche discréditée de les convaincre, et non à nous de ramener les brebis égarées au bercail. » 

PS et le PCF, c’était d’abord le programme. Le « programme commun » en fut l’illustration.

[45] De Martine Aubry à François Hollande en passant par Annick le Petit, porte-parole du PS, les déclarations ne manquent pas pour condamner l’accord L.C.R..–L.O., sans toutefois jamais aborder les raisons qui l’ont rendu possible.

[46] De ce point de vue, Daniel Bensaïd et Olivier Besancenot ont beau jeu d’expliquer dans « Le Monde » du 12 novembre : « Personne n'a volé son électorat populaire à la gauche plurielle.  Elle l'a perdu toute seule comme une grande. Deux tiers de nos concitoyens ne voient plus de différence qualitative entre la droite et la gauche. Parmi les 3 millions de voix des candidats d'extrême gauche à l'élection présidentielle (et parmi ceux et celles qui voteront pour elle à l'avenir), certains veulent sans doute donner un simple avertissement à la gauche libérale. Pour d'autres, le divorce est plus profond. Si elle veut mériter leurs suffrages au second tour, c'est à cette gauche discréditée de les convaincre, et non à nous de ramener les brebis égarées au bercail. »


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