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Elections régionales : l’arme du crime

Par Jean-Paul Damaggio • Actualités • Mardi 10/11/2009 • 0 commentaires  • Lu 1975 fois • Version imprimable


Les élections régionales ont, pas à pas, contribué à l’assassinat de la nation française, à l’aide bien sûr d’autres processus, mais ici, actualité oblige, voici seulement le bilan de ce moment politique.

En 1981, à l’heure d’une gauche enthousiaste, elle décide deux élections à la proportionnelle sur listes départementales : les Législatives et les Régionales. Pour les Régionales, le miracle est double puisqu’en plus de la proportionnelle, tout le corps électoral est concerné. Auparavant, les Régions étaient gérées au second degré, par un personnel politique issu des Conseils généraux. D’une représentation du peuple ancienne version (notables incrustés d’hier), en 1986 on passe à une représentation nouvelle version (notables médiatiques) avec la première apparition d’élus FN (après les élus FN à l’Europe).

Ainsi, dès le départ, les forces de « gauche » sont prises au piège : elles ne peuvent que se réjouir de cette avancée de la « démocratie » avec en plus la proportionnelle à la clef qui légitime encore plus les Régions, mais pour aller vers où ?

En 1992, le temps a passé, et la Mitterrandie finissante, ayant réussi à liquider le poids électoral du PCF, a décidé de lui inventer deux remplaçants en installant au gouvernement Brice Lalonde (qui fabriqua l’éphémère Génération écologie) et Bernard Tapie (qui voulait prendre Marseille). Ceci ne changea pas la donne fondamentale : la gauche a été battue en 92, ce qui annonçait la bérézina de 1993. Génération écologie n’a pas empêché la très forte poussée verte. Cette nouvelle élection régionale assoit plus encore la nouvelle classe politique, dont les forces dominantes de la France ont besoin, pour effacer les « archaïsmes » du passé d’hommes attachés à de vieux principes, en imposant une sciatique à la colonne vertébrale historique : communes, départements, nation. 

Le coup de tonnerre de 1998 va rendre l’élection régionale cruciale dans le système politique français alors que l’élection européenne en sera la farce permanente (en 1994 l’écrasante victoire de Tapie aux Européennes en est le plus bel exemple mais je n’oublie pas les cas Pasqua ou Cohn Bendit). Si 1992 annonçait une cohabitation entre un président de gauche et un gouvernement de droite, en 1998 nous sommes dans la figure inverse, avec la gauche de Jospin moins enthousiaste que celle de 1981 et donc plus gestionnaire. Jospin, entre autres méfaits, éliminera le vote à la proportionnelle et la circonscription départementale car avec ce mode d’élection, le FN est devenu dans plusieurs régions, le maître de l’élection du président. La Gauche plurielle a souvent réussi à imposer l’union au premier tour au PCF et aux Verts, comme nouvelle politique d’alliance conduisant encore plus à la marginalisation du PCF et en partie à celle des Verts. Les autorités ont changé le mode de scrutin afin d’éliminer les « petits », de garantir des majorités solides, et d’accentuer la perte « d’anomalies » locales, comme si les maîtres du pays, inlassablement, avaient tous les mêmes pions. Pas question pour moi de glorifier le passé, mais les solutions aux problèmes du présent peuvent toujours être pires que les problèmes en question. Dénoncer les solutions mises en place (la modernisation) ne s’apparente pas à un alignement inévitable sur des vestiges malades, mais sur la proposition d’autres solutions. La colonne vertébrale étant démantelée, la colonne dévertébrée devient intercommunalités, régions, europe. Pourquoi le capitalisme pousse-t-il dans cette direction ? Pour plus de démocratie ? Il ne prendra même pas ce faux prétexte car la question de la démocratie ne vient qu’après celle de la domination. Fabriquer une nouvelle classe politique c’est fabriquer un autre type de rapports entre forces économiques et agents d’intervention à sa solde. Eliminer des institutions la petite bourgeoisie (instituteurs, et toute proportion gardée médecins généralistes) au profit de la grande et moyenne (profs et chirurgiens) ou de professionnels de la politique, tend à tuer des solidarités établies.
 
En conséquence, l’élection de 2004, avec son mode de scrutin nouveau (celui du PS fut modifié à la marge par la droite en 2002) copié globalement sur celui des municipales inventé par la gauche de 1981, marque le début de l’inversion des pouvoirs entre conseillers généraux et conseillers régionaux. C’est ainsi que paisiblement nous arrivons au dernier tournant de cette histoire plus rocambolesque que mes modestes dires. En 2010 les Conseillers régionaux seront seulement élus pour quatre ans et non six, car en 2014 l’élection va en principe s’adapter à la réforme sarkozyste des collectivités territoriales. Des listes globales de gestionnaires à la fois pour les Régions et les Départements vont éliminer totalement les notables incrustés d’hier, et réussir enfin à rendre le sénat plus adapté aux champions permanents en coup d’éclats médiatiques. Je ne vais pas pleurer la mort des élections cantonales et la « normalisation » du sénat que même De Gaulle n’arriva pas à faire, mais je ne vais pas chanter la mutation qui en découle ! Dans les faits, la vie du Conseil régional depuis 1986 n’a jamais été une avancée démocratique et les futures listes qui vont tout regrouper aideront encore plus à l’appauvrissement de la vie politique, à l’augmentation du désintérêt populaire pour des élections placées de plus en plus entre des mains, armées de conseillers en communication. Le marketing politique va, plus encore, faire de nous des consommateurs électoraux ou des exclus du festin social. La lutte décisive n’est plus, pour qui voter aux Régionales ? mais « Debout contre la mise en concurrence des territoires ! »

A garder la métaphore médicale je prétends que les greffes sont possibles mais pas le changement de colonne vertébrale. Le territoire magnifiquement conçu par la Révolution française avait besoin d’un lifting pas d’un crime. C’est vrai, il était à la taille de la petite bourgeoisie qui y trouva son grand bonheur avec la IIIe République, tout en faisant le jeu de la grande bourgeoisie, mais sans marche forcée comme en Angleterre. Je pense qu’en gardant la même colonne, il était possible, par une fiscalité revue, par une organisation plus ouverte, et tout en incluant les régions, de conserver au pays ses références repérables et adaptées aux citoyens. Adaptées à quoi ? Pas à un marché de la grande distribution mais aux forces possibles de la solidarité réelle.

10-11-2009 Jean-Paul Damaggio

 


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