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Où va l'Iran ? (2)

La nature de la république islamique

Par Denis Collin • Internationale • Vendredi 13/11/2009 • 0 commentaires  • Lu 4069 fois • Version imprimable


Dans une première partie, nous avions rappelé les processus politiques qui ont conduit à la chute du régime du Shah et à l’instauration d’une république islamique qui s’est donné pour tâche de protéger l’État iranien, sa police et son armée, mais aussi régime socio-économique capitaliste contre le mouvement pour l’essentiel spontané des ouvriers, des intellectuels, des classes laborieuses en général. Dans cette deuxième partie nous nous proposons de montrer comment s’est consolidé le régime et nous en déduisons un essai de caractérisation politique de cette prétendue « république », en ne jugeant pas ces gens sur ce qu’ils disent d’eux-mêmes mais en partant de la réalité des conflits de classe.

 

Commençons par le commencement : la république islamique voit le jour avec les élections du 4 août 1979 avec les élections pour l’assemblée constituante. Les belles âmes d’ici nous serinent que, que cela nous plaise ou non, les dirigeants islamistes sont élus démocratiques et que nous devrions donc accepter le verdict des urnes. Cette chanson qui nous a été chantée ici et là lors de la farce électorale de la réélection d’Ahmadinejad, le célèbre « héros anti-impérialiste » adoubé par Chavez, Castro et Hu Jintao, cette chanson était déjà chantée à la fin des années 70 et au début des années 80. Le philosophe vedette des mouvements post-68, Michel Foucault, apporta même un bruyant soutient à la république islamique, démontrant que ceux qui avaient vu en lui une sorte de nouveau théoricien libertaire avaient commis un grave contresens sur son œuvre – qu’évidemment on ne réduira pas à ces errements politiques. La vérité est que le régime islamique sur la base des méthodes qui seront les siennes jusqu’à aujourd’hui: terroriser les opposants et frauder massivement dans les urnes. Résultat : le « parti de la république islamique (PRI) de Khomeiny rafle 75% des sièges.

Dès l’annonce de ces élections, un certain nombre d’organisations, principalement des organisations arabes ou kurdes annoncent qu’elles boycotteront, refusant cette mascarade alors que l’on vient de mettre fin à leurs mouvements revendicatifs par la force. Les autres organisations participent. Mais quelques jours avant le scrutin, l’organisation de l’ayatollah Chariat Madari, leader de l’Azerbaïdjan iranien, et le Front National, le partisan créé par Mossadegh, renoncent à participer à ces élections. Exit l’opposition « libérale ». Le climat pré-électoral est un climat de terreur. Les pasdaran déchirent les affiches, attaquent les meetings, ce qui n’empêche par le Tudeh de rassembler 20 000 personnes. Le jour des élections, le bourrage des urnes est massif. Les ayatollahs prennent en charge les illettrés et votent à leur place. Les protestations qui suivent les élections n’y changent rien.

La presse d’opposition est soumise à la pression des bandes khomeynistes. Contre la répression et pour la démocratie, une grande manifestation, qui réunit de 100 à 200 000 personnes se tient le 12 août. Tout en criant « mort au fascisme », en protestant contre la censure et la répression, jamais le nom de Khomeiny n’est prononcé. Tout le drame est là. Le peuple sent bien qu’il est train de se faire confisquer sa victoire par la hiérarchie des mollahs mais il n’y a aucune alternative. Tous les partis, même les opposants les plus virulents acceptent de se faire battre par le régime.

La riposte est rapide. Dès le lendemain de la manifestation les groupes khomeinistes, véritables bandes fascistes s’attaquent aux locaux des organisations de la gauche. Les Moudjahiddines résistent plusieurs jours mais doivent évacuer leur locaux. Toute la presse d’opposition est muselée. Les libertés démocratiques disparaissent les unes après les autres et l’armée engage son offensive féroce contre le Kurdistan. Comme Saddam Hussein, comme la « laïque » (?) Turquie, le régime des mollahs s’oppose avec la dernière énergie aux revendications nationales des Kurdes. Convergence significative. En janvier 1980, les partisans de l’ayatollah Chariat Madari, classé parmi les modérés, sont arrêtés et fusillés.

Pour couvrir sa politique intérieure si manifestement contraire aux motivations de la révolution contre le Shah, le régime se lance dans une politique anti-américaine d’une grande virulence verbale. Opération d’enfumage ou débordement du gouvernement par sa propre base, le 4 novembre 1979, l’ambassade américaine à Téhéran est occupée par un groupe d’étudiants islamistes. L’affaire durera plus d’un an, jusqu’au 20 janvier 1981, à l’entrée en fonction d’un nouveau président à Washington, Ronald Reagan. En attendant, le président Carter, le même qui avait conseillé l’usage de la force au Shah, avec le succès que l’on sait, tentera une opération héliportée qui se terminera lamentablement dans le désert. Carter sera battu en novembre 1980 et il est incontestablement une « victime » collatérale de la révolution iranienne. Il semble que Reagan ait envoyé des émissaires à l’Iran pour les presser de garder leurs otages jusqu’aux élections, de façon à favoriser la défaite de son adversaire démocrate. Pour les « patriotes » américains tous les coups sont bons pourvu qu’ils permettent d’abattre un adversaire, même américain... L’affaire de l’occupation de l’ambassade a, en tout cas, considérablement renforcé le régime. Mesures et contre-mesures font monter la tension. Carter suspend les importations de pétrole iranien. L’Iran qu’il n’exportera plus de pétrole aux États-Unis. Quand le gouvernement iranien demande le retrait de ses avoirs placés aux États-Unis, Carter gèle les avoirs iraniens. Comme le note Robert Fisk (La grande guerre pour la civilisation. L’Occident à la conquête du Moyen Orient, 1979-2005, éditions la Découverte) : « Chaque nouvelle mesure renforçait le pouvoir de la théocratie et réduisait l’influence de la gauche iranienne. » (p.150)

En décembre 1979, la constitution qui donne les pleins pouvoirs réels à Khomeiny est adoptée avec une très large abstention. En janvier 1980, Bani Sadr qui était assez proche de Khomeiny est élu président de la république. Mais Bani Sadr est favorable à la prééminence du pouvoir politique et il va entrer en conflit avec Khomeiny qui le destituera le 21 juin 1981. L'hodjatoleslam Ali Khamenei est élu président de la République (2 octobre) et Mir Hossein Moussavi devient Premier ministre. Moussavi, actuel représentant de l’opposition à Ahmadinejad, n’est donc pas un perdreau de l’année ! Il a commencé sa carrière comme fusilleur en chef au service du pouvoir de Khomeiny.

La situation intérieure est très tendue et se combine avec une crise économique qui frappe de plein fouet les plus pauvres. Les tribunaux islamiques se mettent à tourner à plein régime. On exécute à tous de bras. À Qom, l'hodjatoleslam Khalkhali, que Robert Fisk décrit comme un petit homme souriant, envoie à la mort les prétendus ennemis du peuple. Entre 1980 et 2003, date où il meurt d’un cancer, il prononce 8000 condamnations à mort. En 1980 encore, ce sont les premières lapidations: des femmes condamnées pour « prostitution » (une qualification d’extension très large chez les mollahs et autres intégristes islamistes) sont enterrées vivent et tuées à coups de pierre dans la tête. Le tribunal conclut qu’elles étaient mortes de « lésions cérébrales ». Comme dit le Coran, « Dieu est clément et miséricordieux ». En 1981 et 1982 la répression ne cesse de s’aggraver contre toutes les formes d’opposition, contre les Moudjahiddines, contre les Kurdes, contre les minorités religieuses comme les Baha'i qui sont considérés comme « des infidèles non protégés » et donc dépourvus de tout droit.

Il est inutile de détailler les péripéties suivantes, sur le plan de la politique intérieure iranienne. Nous avons une assez bonne description du « code génétique » du régime. Dès 1980 est installé un pouvoir tyrannique, cruel avec d’autant plus de bonne conscience que cette cruauté se pratique « au nom de Dieu » et un pouvoir qui, mutatis mutandis, présente des traits communs avec le fascisme.

  • c’est un pouvoir « totalitaire » au sens où il vise à contrôler l’intégralité de la vie sociale et même de la vie intime. La religion a autant sinon plus d’extension et de force que l’idéologie « marxiste-léniniste » de l’époque stalinienne. Il n’est pas surprenant que les nostalgiques du « petit père des peuples » aient vu d’un bon œil ce régime « frère »...

  • il repose sur la mobilisation permanente des masses qui sont appelées à défiler pour apporter leur soutien au régime et même à participer à des « quarts d’heure de la haine » qui avaient l’air d’être sortis tout droit de 1984, le génial roman de George Orwell.

  • Sa force de frappe n’est pas l’État à proprement parler mais le parti (en l’occurrence le parti des mollahs) dont l’État n’est que l’enveloppe extérieure. La véritable colonne vertébrale du pouvoir, ce sont les « pasdaran », les « gardiens de la révolution », bandes de fanatiques armés qui font régner la terreur et à qui on confie la répression tant on se méfie de l’armée et de la police régulières dont la fidélité n’est pas absolument garantie.

  • Il intervient massivement dans l’économie à la fois directement par les entreprises nationalisées et indirectement par la place que prend l’armement, au détriment de tous les autres secteurs de la société. À plusieurs reprises, l’Iran d’Ahmadinejad, un des gros producteurs de pétrole, s’est retrouvé sans essence. L’Iran peut fabriquer des missiles à moyenne portée mais ne sait pas construire de raffineries – c’est un trait qui rapproche beaucoup l’Iran de l’ex-URSS. Mais, comme dans les pays fascistes, cette intervention étatique ne remet nullement en cause les rapports de propriété fondamentaux qui sont et demeurent capitalistes. Les « anti-impérialistes » occidentaux, tout à leurs petites occupations de grands stratèges de la politique mondiale ferment pudiquement les yeux sur ce « détail ». Mais il est vrai que la Chine « communiste » est tout aussi capitaliste que l’Iran.

  • Les syndicats indépendants sont pourchassés et les travailleurs sont embrigadés dans des organisations verticales, comme l’étaient les « syndicats » fascistes.

Il y a un trait qui distingue l’Iran du modèle fasciste standard de l’entre-deux guerres : il existe au sein de la caste dirigeante un certain pluralisme : le peuple est convié régulièrement choisir quelle fraction gouvernera. Et évidemment, ces divergences au sommet finissent par réfracter, de manière assez confuse, les conflits sociaux et politiques qui traversent la société iranienne. En cela évidemment, le régime iranien ne peut pas être qualifié de régime fasciste. On remarquera néanmoins qu’il n’existe pas de régime fasciste typique. On a souvent classé dans la même catégorie des régimes politiques aussi différents en réalité que la dictature de Salazar au Portugal, celle de Franco en Espagne, les colonels grecs après le coup d’État de 1964, régimes qui tous différaient très notablement du fascisme idéal-typique de Mussolini. On pourrait aussi remarquer que l’Italie de Mussolini était beaucoup moins « totalitaire » et sanglante que l’Allemagne nazie et que, notamment dans les milieux intellectuels, une certaine opposition y a été longtemps tolérée. Ces précisions étant faites, nous nous sentons en droit de souligner les caractéristiques fascistes du régime iranien.

 


 


 

 


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