S'identifier - S'inscrire - Contact

Lorsque la chasse au profit organise la violence...

A propos d’une distribution de billets, d’affrontements, et de la mise en cause des valeurs républicaines

Par Jacques Cotta • Actualités • Dimanche 15/11/2009 • 8 commentaires  • Lu 2705 fois • Version imprimable


Samedi 14 novembre, on apprenait que des échauffourées avaient eu lieu dans le quartier de la Tour Eiffel à Paris en cours d’après-midi. Et de façon anodine, l’information livrait « qu’une distribution de billets de banques » avait mal tourné. « Une distribution de billets de banques » ? On connaissait les « braquages » de fourgons ou d’agences bancaires, mais des distributions de billets de banques ? Et bien, oui ! Derrière ce qui n’est présenté que comme un simple fait divers, un « fait de société » dirait-on pudiquement, ne faudrait-il pas s’arrêter quelques instants sur les faits, sur la réalité sociale du pays qui s’en dégage, sur toutes les tentatives d’exploitation de la misère, mise en exergue à de simples fins commerciales ?


Indécent et Ignoble

 

Les faits sont simples. Pour se faire un « coup de pub », un site de « commerce en ligne » avait décidé d’alerter les médias sur « une initiative originale ». Des billets de banques seraient distribués devant caméras et photographes venus immortaliser la scène, devant le logo, la marque du site, évidemment !

 

Ainsi donc, Alors que la pauvreté s’accroît dans le pays à une vitesse vertigineuse, les chiffres officiels annonçant le passage de la barre des 8 millions pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, alors que les licenciements et les délocalisations se multiplient, alors que chacun sent bien que le pire est sans doute à venir, voilà qu’on demande à quelques hordes de pauvres de venir jouer les faire valoir d’une marque pour quelques billets. Une horde de figurants destinée à sortir de l’ombre quelques minutes, histoire de servir les intérêts de l’entreprise privée, avant de redevenir anonyme quelques instants plus tard.

 

Outre le fait que ce sont surtout des jeunes qui se sont rendus sur les lieux, des couches plus particulièrement frappés par la crise de l’emploi et du logement, en recherche de travail pour un salaire, ou encore des lycéens ou collégiens, il y a là quelque chose d’indécent, d’ignoble, de moralement inadmissible !

 

Les uns cherchent les moyens d’une vie décente, les autres leur offrent la mendicité l’espace d’un instant !

A vomir !

 
De la farce au drame

 

7000 jeunes donc, censés accepter le parcage derrière des barrière, prenant docilement le billet, disant poliment merci avant de disparaitre et permettre à la société de commerce en ligne de tirer bénéfice au nom de la charité, de l’assistance, de la bonne conscience judéo chrétienne qui substitue en général l’aumône aux droits, ont fait le déplacement.

 

Seulement, 7000, c’était trop. Les organisateurs avaient prévu 50 personnes pour les canaliser. Vite dépassés donc, ils durent annuler avec pour conséquence les débordements prévisibles, jets de pierres, magasins vandalisés, vitrines brisées, et voitures endommagées.

 

Dés lors se pose une question : où sont donc les responsabilités ? Sinon dans cette idéologie qui au nom de la réussite entrepreneuriale permet à un site commercial d’organiser le désordre, de susciter la hargne, d’engendrer la violence ?


 
Pouvoirs publics complices ?

 

Tout le monde aurait-il été pris de court ? Non. On apprend ainsi que « l'opération a été annulée par mesure de sécurité, à la demande de la préfecture de police ». Un porte parole indique en effet que « Compte tenu de troubles majeurs à la circulation constatés sur le secteur du Champ de Mars et d'importants mouvements de foule, la préfecture de police a demandé à l'organisation, conformément à son engagement, de ne pas procéder à la distribution d'argent".

 

Mais quelle est donc la signification d’un tel communiqué ?

En fait, la demande a-t-elle été faite en bonne et due forme par les organisateurs distributeurs de billets, et les pouvoirs publics ont-ils donné toutes les autorisations pour que sur la voie publique se mène ce type d’opération ?

Des manifestations revendicatives peuvent être annulées, mais là, rien de ce genre. La seule faute aurait-elle été de ne pas mettre assez de policiers sur le terrain alors que les images monteront les forces de l’ordre matraquer des jeunes gens, mais jamais les organisateurs mis devant leurs propres responsabilités ?

Si l’état devait être assimilé à ce genre de manifestation ou soupçonné de passivité vis-à-vis des organisateurs, c’est sa crédibilité qui serait un peu plus atteinte, et la démocratie qui en fin de compte reculerait toujours un peu plus, au détriment de la vie commune et des règles républicaines qui l’organisent. 

Et si on parlait de récidive ?


Car c’est bien la vie républicaine, la base de la société qui est menacée. Les organisateurs se défendent : « On ne pouvait pas prévoir qu'il y aurait tellement de monde », a indiqué Stéphane Boukris, organisateur de la distribution.  "Je ne peux pas être content que ça ne se soit pas passé comme prévu. On essaie d'aller plus loin, de faire de grandes choses, ça implique des responsabilités, ça implique des risques, et c'est pour ça qu'on n'a voulu en prendre aucun aujourd'hui en annulant la manifestation", a-t-il ajouté.

Mais de qui se moque-t-il ?

Le garçon en question, qui se présente comme diplômé d’une école de commerce, n’en n’est pas à son coup d’essai. Il y a quelques mois déjà, c’est lui qui proposait sur Internet un service aux élèves : faire leurs devoirs à leur place. Un coup commercialement gagnant. 80 000 connexions en trois heures, 180 000 en trois jours. « 40 000 commandes que pouvaient fournir 150 professeurs recrutés pour l’occasion, des étudiants », soit beaucoup d’argent en vue.

Dans une société où la valeur se mesure aux dividendes acquis pour les actionnaires ou à l’imagination qui permet d’engranger vite des bénéfices sur le travail des autres, ou la crédulité du plus grand nombre, le jeune garçon a du talent, à n’en point douter. Mais cela importe peu. Le cœur de la question est ailleurs. Il s’agit de Moral au sens précis du terme, de politique, de république, de social !

Jacques Cotta


Partager cet article


Commentaires

par regis le Lundi 16/11/2009 à 01:19

C’est avec une rage mêlée d’indignation que je souscris à vos propos. C’et bien le règne du capital, décomplexé de surcroît sous l’œil bienveillant de ce qui devrait être la République.

Il me semble que par le passé, certaines campagnes publicitaires de l’entreprise capitaliste Benetton avaient déjà dépassé bien des bornes en matière de respect du à l’humanité sans que les pouvoirs publics y trouvent à redire.   

Un bémol toutefois : si les pauvres étaient venus en masse à cette manifestation répugnante ce ne serait pas 7000 mais beaucoup plus qui seraient venus.

Peut être allez vous me considérer comme une sorte de puritain mais j’ai toujours ressenti un pincement au cœur quand, dans ma vie professionnelle ou personnelle, j’ai vu des gens qui n’en avaient pas besoin se vendre pour 4 sous.

Un vrai travail avec un vrai salaire, une vie correcte pour tous et pas accumuler des gadgets.


Re: par jcotta le Lundi 16/11/2009 à 08:50

Vous avez raison concernant le passé. J'ai l'impression qu'il y a toutefois quelque chose de neuf sous le soleil si je puis dire, c'est le silence assourdissant qui entourre une telle affaire. Aucune protestation, même de pure forme, par incapacité et refus d'aborder toute question qui pourrait entrainer sur le terrain d'une condamnation du système. Le capitalisme est bien le coeur du problème et c'est cela que nul ne veut remettre en cause, même si les propos n'ont pas de conséquence directe. Encore que... Certains responsables, tant syndicaux que politiques, ont sans doute quelques difficultés à  négocier d'un côté la fin du travail, la précarité, les petits boulots, la destruction des métiers, et de l'autre à condamner "la charité"...
Bien amicalement.


Re: par regis le Mardi 17/11/2009 à 02:50

En apparence, l’attitude du ministre de l’intérieur semble contredire notre affirmation relative à la complaisance des pouvoirs publics à l’égard de cette opération publicitaire.

1/ Un communiqué de l’AFP nous apprend que ce fait est illégal au regard de la loi et passible d’une contravention ce qui n’a pas empêché la préfecture de police d’autoriser la manifestation.

2/ "le principe de responsabilité de l'organisateur, dûment informé des risques et de l'illégalité de son projet de distribution d'argent qui, dans le cas d'espèces, fait jouer aux pouvoirs publics le rôle de service d'ordre d'une opération de marketing en se défaussant de ses obligations".

(Préfecture de police citée par l’AFP).

La conclusion s’impose d’elle-même.

Par ailleurs, votre remarque relative aux directions syndicales et politiques est parfaitement justifiée. Il est symptomatique que je (et je ne suis sans doute pas le seul) n’ai pas songé à eux un seul instant.  

Bien amicalement


Re: par jcotta le Mardi 17/11/2009 à 08:55

En effet, les déclarations du ministre de l'intérieur semblent aller contre la complaisance que je lui prête dans mon papier à l'égard de cette distribution de billets. Mais ces déclarations viennent après les faits. Et c'est bien le minimum qu'il pouvait exprimer. Les propos de l'avocat de la société de commerce en ligne qui défend ses clients et leur initiative présentent aussi un certain intérêt. Ils montrent qu'avant l'évènement, tout le monde laissait faire, les pouvoirs publics en tête, sans s'émouvoir une seconde de ce que signifiait cette distribution d'argent sur la voie publique, et sans s'inquiéter des conséquences éventuelles. Il demande en effet les raisons pour lesquelles "la préfecture ne se manifeste qu'une heure avant l'évènement" en expliquant avoir renoncé à la distribution une fois que les autorités avaient averti "qu'elles ne souhaitaient pas qu'elle ait lieu" et en précisant que la demande avait été faite "le 10 novembre". 

Nous sommes dans l'hypocrisie la plus totale. Le principal pour toutes les parties étant visiblement de vider de son contenu l'initiative qui à tourné aux affrontements... On ramène tout cela à un fait divers, sans aborder jamais le caractère de classe, le contenu odieux, la réalité sociale et politique que révèle cet épisode.

Pour les déclarations, chacun défend à posteriori son territoire. Sur le fond, avant que cette manifestation publicitaire n'ait lieu, tout le monde s'accomodait fort bien de l'initiative prise par la société de commerce...

Bien amicalement.


par Anonyme le Mercredi 18/11/2009 à 14:46

Qui se cache derrière mailorama.fr et Rentabiliweb ?

France Info - 16 novembre 2009
 
$('#ouvrir_envoi').click(function (){ $('#envoi_ami').css('display','block'); });

$('#fermer_envoi').click(function (){ $('#envoi_ami').css('display','none'); });
Le "coup" publicitaire avait viré aux coups de poing samedi à Paris. Des incidents ont éclaté sous la Tour Eiffel après l’annulation, par les organisateurs, d’une distribution de billets de banque. Un "coup" publicitaire destiné à faire connaître Mailorama : un site qui génère de l’argent grâce à l’audience d’internet. A sa tête, un homme original et qui sait s’entourer…

Le fondateur du groupe Rentabiliweb s’appelle Jean-Baptiste Descroix-Vernier, il a 39 ans. Et les affaires marchent bien pour lui, puisqu’il est aujourd’hui la 407e fortune de France : selon le classement 2009 du magazine Challenge, il pèse 57 millions d’euros.
Son groupe, enregistré en Belgique et coté en bourse depuis fin 2006, emploie 120 personnes, en France, Russie, Roumanie et Bulgarie.

Le concept de cette société fondée en 2001 est, entre autres, de faire payer les internautes en les incitant à appeler des numéros surtaxés ou à envoyer des sms, eux-aussi surtaxés. Tout cela, lorsqu’ils passent sur des sites pour adultes, des sites de rencontres, de jeux ou sur ceux qui ont fait parler d’eux ces derniers mois avec des fortunes diverses : des sites pour noter les profs, les avocats ou les médecins, par exemple.

Et cela marche plutôt très bien, parce que le concept a séduit de gros investisseurs. Et pas des moindres : Bernard Arnault, le PDG de LVMH, et Stéphane Courbit, l’ancien patron d’Endemol France, font partie de ses actionnaires. Jean-Marie Messier, l’ancien président de Vivendi Universal, et l’ancien ministre de l’Economie Alain Madelin siègent à son conseil d’administration.

Golden Glaouis Invest

"JBDV" côtoie donc "J6M" ("Jean-Marie Messier Moi-Même Maître du Monde"), mais il n’a rien d’un patron classique. Ancien avocat d’affaires à Lyon, il porte souvent un kilt, il a les cheveux coiffés en dreadlocks. Et il gère ses affaires et ses "ninjas", ses salariés, seul, depuis trois écrans plats installés dans la péniche où il vit à l’entrée du port industriel d’Amsterdam.

Deux anecdotes encore qui en disent long sur les motivations du personnage. Son site internet préféré est celui de la fondation Bill Gates, l’homme le plus riche du monde. Et la holding personnelle avec laquelle Jean-Baptiste Descroix-Vernier possède 57% de son groupe vient d’être rebaptisée "St Georges Finance". Elle s’appelait encore récemment "Golden Glaouis Invest" : "couilles en or", en argot.

Sébastien Paour
 


Grand capital et pornographie par la-sociale le Jeudi 19/11/2009 à 07:40

Chose intéressante: la société Mailorama, organisatrice de la distribution de billets, est une filiale de "rentabiliweb", une société spécialisée dans la conception de sites payants. Parmi les actionnaires de cette société, le Canard Enchaîné révèle qu'on trouve Bernard Arnaud (6,3%), Stéphane Coubit (10,3%) et Jean-Marie Messier, le roi (déchu) du monde  (3%). Cette société a même recruté un administrateur de choc en la personne d'Alain Madelin. Le même Canard nous apprend que Rentabiliweb avait racheté l'une des grosses pointures du porno sur Internet, Montorgueil. Mais pour des raisons d'images, Rentabiliweb s'est débarrassée d'une grosse part des ces sites au noms évocateurs. Elle a cependant gardé des sites spécialisés dans le show "hard". Ces sites recrutent des modèles, filment de chez eux leurs ébats pour une somme maximale de 75€ de l'heure, en répondant aux exigences d'un client qui paye par internet de "jetons" à en gros 5€ la minute de fantasme. Le peep show à domicile. La société filiale de Rentabiliweb recrute ses "modèles" en leur promettant de "gagner beaucoup d'argent". L'annonce est claire: "Pourquoi devenir modèle?
1. GAGNEZ DE L'ARGENT

Vous gagnez jusqu'à 75e par heure pour chaque client connecté sur votre show ! En fidélisant vos clients avec nos tarifs attractifs et dégressifs, vous augmentez vos revenus !
2. TRES FACILEMENT

Une webcam, un ordinateur, une connexion à Internet... C'est tout ce dont vous avez besoin pour commencer ! Pas de logiciel à installer, tout se fait sur le site très facilement. L'interface vous permets de suivre vos gains en temps réel !
3. EN TOUTE LIBERTE

Venez sur le site quand vous voulez : vous choisissez vous-même vos horaires ! Vous n'avez pas de nombre d'heure minimum à faire, vous faites des shows à votre rythme !"

De quoi fournir une illustration frappante au dernier livre de Dany-Robert Dufour, La cité perverse, Libéralisme et pornographie. Denoël 2009


Re: Grand capital et pornographie par Anonyme le Jeudi 26/11/2009 à 18:24

Rentabiliweb : BHL défend son ami distributeur de billets
Par François Krug | Eco89 | 26/11/2009
 

BHL consacre sa dernière chronique sur le site américain The Huffington Post (en anglais) à l'opération ratée de Mailorama, filiale de Rentabiliweb. Il décrit « mon ami Jean-Baptiste Descroix-Vernier » comme « un homme qui n'apprécie que la discrétion, la solitude, sa péniche à Amsterdam et le silence de ses ordinateurs » :

« Lui dont le credo est celui d'un Internet doué d'une conscience morale, et dont l'objectif serait de servir des causes justes (à combien de croisades n'a-t-il pas participé avec moi, via le site qu'il a créé pour archiver mes propres textes et positions), le voici décrit comme un monstre cupide, un pornocrate (Rentabiliweb possède des sites érotiques, ndlr), et même - je cite - comme quelqu'un qui “exploite la misère sociale”. » (...)

 

Le patron de Rentabiliweb aurait aussi contribué à empêcher l'élection à la tête de l'Unesco du ministre de la Culture égyptien, connu pour ses opinions antisémites. Un portrait publié dans Le Figaro Magazine explique :

« Convaincu par Bernard-Henri Lévy et quelques autres du danger d'élire l'Egyptien Farouk Hosni, il a habilement popularisé sur le Net les bourdes et dérapages de celui-ci. Avec l'efficacité que l'on sait : archi-favori, le ministre de la Culture a finalement été battu par une Bulgare inconnue au bataillon. »

BHL avait d'ailleurs salué sur son site le patron de Rentabiliweb :

« Merci à l'équipe de Jean-Baptiste Descroix-Vernier qui, comme moi, a trouvé juste insupportable qu'un censeur, un ennemi de la vraie culture, un chasseur d'internautes et de bloggers, un adversaire de la liberté de la presse et de la pensée, puisse accéder à la direction de la plus haute institution culturelle mondiale. » (...)

 


Lien croisé par Anonyme le Dimanche 29/11/2009 à 10:12

Le Bloch : "la plus grande détermination est nécessaire.Pour paraphraser certains dirigeant du Loch dont les orientations politiques sont connues, dans la lutte contre le Grand Capital, "la Violence est justifiée".La Révolution du Championnat Corpo ne se fera pas en chantant."



Archives par mois


La Sociale

Il Quarto Stato