En réalité, la « mondialisation financière » n’est pas la perversion de l’économie réelle par la finance. C’est une transformation des rapports sociaux. Le schéma d’accumulation dit « fordiste » (celui des « trente glorieuses ») suppose que la répartition du revenu national entre les salaires et les revenus du capital reste globalement fixe, les gains de productivité profitant aux salariés aussi bien qu’aux capitalistes. Comme, en même temps, les taux d’intérêt restent faibles (voir négatifs, pour les taux réels) la part des rentes financières est négligeable. C’était « l’ère des managers », de la croissance économique forte et relations entre les classes où les capitalistes pouvaient ou étaient contraints d’acheter la paix sociale à un prix élevé. La crise dite « pétrolière » signe l’épuisement de ce régime d’accumulation capitaliste, en raison principalement de la baisse du taux de profit, qui va de pair avec une crise de la productivité. Avec une conscience plus ou moins claire de ce qu’il fallait faire, et sachant que l’appétit vient en mangeant, les dirigeants des grands groupes capitalistes s’orientent, dans la deuxième moitié des années soixante dix, vers une nouvelle répartition des revenus entre les salaires, la rente financière et le profit d’entreprise. Le salaire tend à stagner voire à régresser, les gains de productivité sont appropriés sous forme de plus-value relative, dont le système financier exige une part toujours croissante sous forme d’intérêts et de rentes diverses.
Autrement dit, la « financiarisation » de l’économie ne constitue pas, en elle-même une augmentation de la richesse réelle globale, mais un gigantesque transfert de richesses des salariés vers la classe capitaliste, soit directement (baisse des salaires directs ou différés), soit indirectement (mise au chômage d’une partie des salariés et l’aggravation de l’exploitation de ceux qui ont encore un travail). Une partie des classes moyennes vit directement ou indirectement de cette financiarisation, par les rentes qu’elle procure et qui peuvent assez vite être substantielle, ou par les métiers liés à cette explosion des marchés financiers, ou encore par le développement des activités parasitaires liées à la communication, la publicité, etc.
Les États, loin d’être les victimes d’une mondialisation financière qu’ils ne maîtriseraient pas, en sont au contraire des acteurs majeurs. Leur endettement, catastrophique pour le contribuable, est une bénédiction pour le spéculateur : la dette publique est l’un des principaux leviers permettant ce transfert de revenu de la classe ouvrière vers la rente financière. En effet, la financiarisation du monde, c’est d’abord un essor spectaculaire des opérations sur les titres de la dette publique. Ceux qui, peu ou prou, font passer le clivage droite/gauche par l’opposition entre les partisans de l’équilibre et les défenseurs du déficit keynésien, en sont pour leurs frais. Un colossal déficit des finances publiques est organisé par les « libéraux » d’hier en vue d’entretenir le mouvement commencé à la fin des années 1970. Le service de la dette occupe une part croissante dans les budgets publics et contribue à assurer les transferts des pauvres vers les plus riches.
Parce que la crise n’est pas une « bulle spéculative » mais une crise de mise en valeur du capital, et qui ne pourrait être « résolue » que par une gigantesque destruction des forces productives du capital, pour laquelle les conditions politiques ne sont pas mûres, il ne reste pas d’autre solution que sauver la spéculation financière et le holp-up sur les revenus des classes travailleuses… ou de rompre avec le capitalisme.
Denis Collin
(Cet article est paru dans "L'Humanité Dimanche" n°186 du 12 au 18 novembre 2009)
Bonne analyse mais la solution "rompre avec le capitalisme" suppose un radicalisme violent qui est peu probable : sortir de la légalité ne me semble pas possible. En revanche rompre avec l'ultralibéralisme est pensable à moyen terme. Tu as évoqué avec pertinence la période "fordiste". je crois que c'est dans ce sens qu'il faudrait travailler. Cheval de bataille que les partis de gauche et d'êxtrême gauche surtout, pourrait enfourcher. J'ai d'ailleurs approfondi l'argumentaire. Reste à en propager l'idée.