Georges Marchais, comme tous ses prédécesseurs, est devenu secrétaire général du PCF par la grâce du Politburo du PC d’Union Soviétique, dirigeant l’appareil stalinien international – que celui-ci ait eu une existence officielle, comme du temps du Komintern, avant-guerre, ou du Kominform, après-guerre, ou que cette existence soit une existence officieuse rappelée par les conférences régulières des « partis frères ». Et c’est de là qu’il faut partir pour comprendre quel a été le rôle politique de Marchais. Dans l’impitoyable sélection des dirigeants, la « bio » de Georges Marchais présentait des avantages non négligeables qui expliquent sa promotion. On sait que l’appareil stalinien tenait soigneusement à jour les « bios » de tous ses cadres et que celles-ci servaient toujours à un moment où un autre. Dans la « bio » de Marchais, il y a deux faits importants : 1° il n’a pas une « bio » nette ; elle commence au contraire par une zone d’ombre ; et 2° il n’a rien dit contre l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie, à la différence de son prédécesseur, Waldeck Rochet qui l’avait condamnée assez vigoureusement et, en outre, cultivait des relations aussi amicales que possible avec les intellectuels en dehors des cercles habituels des « compagnons de route ».
Le premier élément parait curieux pour quiconque ignore les méthodes staliniennes. Philippe Robrieux, un historien qui vient du « sérail » et était un ami proche des Thorez, en avait détaillé le fonctionnement dans sa monumentale Histoire intérieure du Parti communiste (Fayard, 4 volumes, 1980, 1981, 1982, 1984) ainsi que dans La secte (Fayard, 1985). Thorez faisait un bon secrétaire général parce que Moscou le « tenait » : il avait, un bref instant, soutenu l’Opposition de gauche trotskiste en 1924-1925 et par conséquent quand le moment viendrait, le cas échéant, de l’éliminer, on avait les premiers éléments d’un procès. Autre circonstance à charge : il avait été sélectionné par Boris Souvarine – qui allait devenir un des plus talentueux et des plus systématiques opposants au stalinisme. C’est aussi sur ordre de Moscour et contre son gré que Thorez a déserté en 1939 pour rejoindre Moscou. Inversement, les héros de la résistance, les vieux militants au parcours politique sans tache (ou presque …) comme Charles Tillon, André Marty (qui avait pourtant montré fidélité à l’appareil pendant la guerre d’Espagne) ou George Guingouin (instituteur, organisateur de la résistance armée en Limousin, dès avant que le PCF se lance dans la résistance) ont été exclus les uns après les autres à la fin des années 40 et dans les années 50. Et Marchais là-dedans ? Et bien, il n’était pas politisé ni engagé au moment de la guerre. En 1942, il part travailler en Allemagne chez Messerschmitt (fabricant d’avions), volontairement disaient ses détracteurs (notamment Charles Tillon) ou sous la contrainte comme lui-même l’affirmait. En tout cas aucun acte de résistance, au moment où de nombreux jeunes passaient dans les maquis précisément pour échapper au STO. Il revient en France en 1945 et commence à militer syndicalement à ce moment. Il ne s’agit pas de faire le procès d’un jeune homme qui n’a pas su être un héros. Ce serait absurde et même assez répugnant. Mais il s’agit de comprendre que c’est précisément parce qu’il n’avait pas été un héros de la résistance qu’il est monté aussi haut dans l’appareil ! Dire cela, ce n’est donc pas faire le procès de l’individu Marchais, mais rappeler ce qu’était le fonctionnement de l’appareil stalinien.
Le deuxième élément explicatif de l’ascension de Marchais est sa position au moment de l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie, au mois d’août 1968. Invasion contre laquelle se mobilisa le parti communiste tchécoslovaque rénové, reconstruit, qui dut tenir clandestinement son congrès, avant que la « normalisation » ne le détruise pour remettre en selle les apparatchiks à la solde de Moscou. En France Waldeck Rochet, devenu un « réformateur », condamna l’intervention soviétique. Appelé à Moscou, il présenta dès son retour les signes d'une maladie neurodégénérative. Louis Aragon, bon connaisseur de l’appareil, cynique et revenu de tout, dira à ce sujet : « Je lui avais bien dit de ne pas aller à Moscou. Je l’avais prévenu, je savais qu’il n’en reviendrait pas vivant. » C’est ainsi qu’en 1972, Waldeck Rochet démissionnait « pour raisons de santé » et cédait la place à Georges Marchais qui allait bientôt signer au nom de son parti le « programme commun de gouvernement » avec François Mitterrand pour le PS et Robert Fabre pour les radicaux de gauche.
Signalons encore deux moments importants. En 1977, après la victoire de la gauche aux municipales, Marchais engage le PCF dans la rupture de l’union de la gauche, s’avisant brutalement que le programme commun n’est pas assez à gauche : c’est l’épisode fameux des vacances en Corse interrompues par un « Liliane, fais les valises, on rentre à Paris ». S’ensuit une campagne systématique contre le PS qui parfois semble retrouver les accents du « communisme 3e période » (début des années 30) quand les sociaux-démocrates étaient qualifiés de « sociaux-fascistes. En 1978, le résultat tombe : la gauche perd les législatives qu’elle aurait dû gagner dans la foulée des municipales.
En 1979, stoppant net la « déstalinisation » du PCF, Marchais fait l’éloge du « bilan globalement positif » de l’URSS et des pays de l’Est. La même année, depuis Moscou, il approuve l’invasion soviétique en Afghanistan…
En 1981, Marchais dépasse tout juste les 15% des voix au premier tour de la présidentielle (alors que le PCF obtenait encore 20% aux Européennes de 1979). Allait commencer la descente aux enfers du PCF : 10% aux législatives de 1986 … jusqu’aux 2% de Marie-George Buffet en 2007.
On peut penser qu’avec ou sans Marchais, le déclin du PCF aurait suivi plus ou moins la même pente parce qu’il correspond à l’effondrement d’abord lent (voir La chute finale d’Emmanuel Todd, publiée en 1975) puis accéléré à la fin des années 80 du stalinisme comme système politique et étatique. La « gloire » de Marchais ne tient qu’à une chose : ses prestations télévisées, où il cultivait volontiers un non-conformisme et une certaine brutalité verbale envers les présentateurs de télévision. Son imitateur attitré, Pierre Douglas avait su en tirer parti au point qu’on ne sait plus toujours très bien ce qui est de Marchais et ce qui est du caricaturiste Douglas (en fait le « Taisez-vous Elkabbach » est … de Pierre Douglas). Pour les médias Marchais était déjà un « bon client » : spectacle assuré et ensuite les gens de médias pouvaient parler en boucle de la seule chose qui les intéresse vraiment, eux-mêmes, pauvres victimes du grand méchant Marchais. Comme dans le spectacle de Guignol, Marchais savait mettre le peuple de son côté contre les représentants du pouvoir. Mais comme dans le spectacle de Guignol, ce n’était que du spectacle … et dans la réalité ceux qui applaudissaient Marchais prenaient plutôt le chemin de l’abstention ou d’autres chemins que le PCF. Marchais à la télé : ce fut un moment important de la transformation de la politique en spectacle télévisé… Depuis on a fait mieux (ou pire) : les journalistes politiques ont cédé la place aux amuseurs ou variétés (Ruquier, Drucker ou Ardisson).
Les monarchies ont toujours besoin du « fou du roi ». Marchais a joué ce rôle. Suivre ce modèle, est-ce vraiment une bonne inspiration pour celui qui veut reconstruire la gauche aujourd’hui ? La « stalinostalgie » (déjà analysée sur ce site) frappe certains secteurs de la gauche. L’approbation de la répression chinoise au Tibet en 2008 (avec des arguments qui rappellent terriblement ceux de Marchais en 1979) ou la défense d’une « alliance stratégique avec la Chine contre l’impérialisme US » s’inscrivent à l’évidence dans cette perspective. Tout cela ne mène évidemment nulle part. Si la président du parti de gauche cherche une inspiration dans le passé, il devrait plutôt ouvrir ses vieilles malles pour relire les textes du trotskisme de sa jeunesse qui, pour critiquables qu’ils soient, tiennent mieux le choc que le fameux bilan « globalement positif ».
C'est dommage Denis Collin, vos analyses sont souvent d'une très grande intelligence mais dès qu'il s'agit du PCF vous réduisez tout au "stalinisme" et cela vous aveugle.
Vous tombez dans une variante du complotisme très en vogue chez les "sovietologues".
Contrairement à ce que vous pensez, je suis persuadé pour l'avoir vécu de l'intérieur, que le stalinisme n'avait pas de sens pour le PCF des années 70 et 80. La grande masse des militants et surtout des plus jeunes et des plus actifs n'avaient pas lu une ligne des écrits de Staline et ne s'intéressaient pas à l'URSS. La politique du PCF telle qu'on pouvait la lire dans des opuscules comme "pour une démocratie avancée et une France socialiste" n'avait rien à voir avec le Stalinisme.
Le déclin du PCF s'explique aisément si on considère les transformations de la classe ouvrière pendant les "trentes glorieuses". Un des livres qui permet de bien le comprendre est "l'établi" de Robert Linhart où l'on voit ce militant maoïste plein des meilleurs sentiments qui découvre une classe ouvrière émiéttée, des ouvriers qui ne sont pas encore sortis de leur origine rurale, des militants syndicaux dévoués mais lucides qui mesurent les limites que leur impose cette situation. Le PCF a connu un regain de jeunesse après 1968 mais la "mondialisation" l'a achevé. La classe ouvrière en France n'est plus pour longtemps en mesure de s'ériger en classe dominante. Tout le problème est là.
Marchais est le dernier qui personnifiait la classe ouvrière. Il en avait conscience et le PCF avec lui. Cela c'est vu lors des funérailles de Jacques Duclos. Avec lui c'est un peu la classe ouvrière qu'on enterrait. Aucun des dirigeants communistes depuis n'a donné à voir la classe ouvrière en action. Jean Luc Mélanchon n'a aucun moyen de revenir là-dessus. Cela ne signifie pas qu'il faut baisser les bras. Il y a par ailleurs, il me semble, dans l'évolution du capitalisme au cours des 30 dernières années beaucoup de choses qui préparent le socialisme. Le capitalisme n'est qu'en apparence non régulé. Si on le prend au niveau de l'activité interne au grands groupes, c'est un système fortement planifié et il apparait de plus en plus nettement que sa faiblesse est qu'il ne planifie qu'à court terme et toujours en dernier ressort selon la variable du profit. Son évolution prépare une forme de socialisme dont nous n'avions pas idée mais que nous pouvons hâter.