Embourbés en Irak, les responsables américains ont levé le ton durant l’été au sujet du nucléaire iranien. Affaiblis militairement, en crise politiquement et économiquement, quelles sont donc les réelles marges de manoeuvre de l’administration américaine ?
Durant les mois d’été les déclarations sont allées bon train sur le danger nucléaire en Iran. D’un côté le régime islamique a réaffirmé sa volonté de reprendre le plan nucléaire et de réactiver les centrifugeuses, à usage civile mais également peut-être militaire, de l’autre les responsables américains, et dans leur foulée plusieurs ministres des affaires étrangères européens, dont le notre, Philippe Douste Blasy, ont voulu monté le ton pour ne pas être en reste. Derrière toutes ces gesticulations, plusieurs questions demeurent en suspens, largement occultées par les responsables politiques et dans leur foulée par les médias.
Sur le nucléaire d’abord. Dans un contexte de mise en œuvre de sa force de frappe militaire par l’administration Bush en Irak, et dans un climat de tensions permanentes dans toute la région, il peut sembler légitime que l’Iran annonce au nom de sa souveraineté la mise en route d’un programme que toutes les grandes puissances ont déjà mis en œuvre et auquel aucune ne compte renoncer. Mais cela ne saurait occulter les dangers bien réels qu’une telle entreprise peut laisser présager. Au regard de la nature politique du régime iranien, comment en effet ne pas voir avec inquiétude la mise en route d’un programme nucléaire qui pourrait aboutir à la fabrication d’armes atomiques. L’argument selon lequel les autres en étant munis, il faudrait rester indifférents aux efforts iraniens ne vaut pas. Les mollahs en effet sont les mollahs et l’arme atomique dans les mains de l’islam intégriste ne peut laisser indifférent.
Mais surtout, ce débat sert d’écran de fumée pour éviter quelques questions dérangeantes pour les principaux accusateurs de l’Iran. La question iranienne est en effet indissociable de la situation irakienne. En intervenant en Irak comme ils l’ont fait, les américains ont durablement déstabilisé la région, créant un climat de guerre civile aveugle, d’anarchie et d’insécurité permanente. Les attentats quotidiens, dont nul ne parle plus, pas plus d’ailleurs que des pertes quotidiennes que subissent les troupes américaines, en sont une terrible manifestation que subit au premier titre le peuple irakien lui-même. Le dernier évènement en date qualifié pudiquement par tous les commentateurs de « bousculade » sur un pont qui rejoint les deux rives du tigre a abouti à un millier de morts environ. Les victimes, des femmes et enfants chiites en très grande majorité, ont été piétinées ou noyées alors que la rumeur laissait planer l’existence de kamikazes sunnites venus se faire exploser en plein pèlerinage vers le mausolée de l’imam Moussa al-Kazem, le septième des chiites duodécimains. Les drames successifs que connaît l’Irak, dont ce dernier en date, sont le produit de l’opposition organisée par l’intervention américaine entre la minorité sunnite sur laquelle s’appuyait à l’époque le régime de Saddam et la majorité chiite qui était largement réprimée par le dictateur déchu. Les manœuvres pour aboutir à une constitution allant dans ce sens illustrent bien la volonté américaine. Ce faisant, l’administration Bush a largement mis en avant les chiites comme facteur de reconstruction d’une « Irak tolérable », chiites dont tous s’accordent à reconnaître que leurs véritables responsables se trouvent non à Bagdad mais bien à Téhéran. Dans ce contexte, il ne sert à rien de faire quelques effets de manches contre des responsables iraniens qui en réalité sont des alliés objectifs sans lesquels l’administration bush ne saurait vraiment comment se dépêtrer du bourbier irakien.
Aujourd’hui comme hier, l’administration américaine peut faire valoir toute sorte d’arguments pour justifier sa politique. Mais jamais les questions humanitaires, pas plus aujourd’hui qu’hier, qui sont mises en avant pour les besoins de la cause, ne comptent dans la réal politique américaine. Les alliés de la maison blanche sont en effet directement les mollahs de Téhéran comme hier l’administration américaine soutenait, avec les gouvernements européens, dont le gouvernement français, Saddam Hussein soi-même, alors baptisé dernier rempart de l’occident contre la déferlante islamique. Rappelons-nous quelques faits assez simples que tout le monde occulte aujourd’hui, mais qui pourtant sont indissociables de la situation présente. Lorsque Saddam assassinait allégrement ses opposants au sein du parti Baas, lorsqu’il faisait exécuter des milliers de communistes irakiens, lorsque contre eux il faisait de la torture un mode de fonctionnement quotidien, nulle voix ne s’est élevée. Pas plus d’ailleurs lorsque en 1988 il utilisait quelques armes chimiques, fournis entre autre par l’industrie allemande et américaine, et véhiculées par des pilotes formés à Villacoublay, pour gazer les kurdes. Il fallut l’affaire koweitienne et la préoccupation pétrolière de l’empire pour qu’au nom de prétendues armes de destructions massives la force de l’empire s’abatte sur le peuple irakien faisant des centaines de milliers de morts et créant la situation inextricable dans laquelle se trouvent aujourd’hui enserrés les USA. C’est pourquoi aujourd’hui, quelle que soient les déclarations et les mouvements de menton, l’importance du soutien iranien pour tenter de se sortir du bourbier irakien vaut bien quelques indulgences sur la question nucléaire, comme sur d’autres.
C’est dans un contexte de crise aigue, militaire, financière, et politique que l’empire doit aujourd’hui se débattre. C’est sans doute pour cela que le rideau de fumée atomique de l’Iran, son allié objectif dans la région, est mis en avant. Mais même optimistes, les conseillers de la maison blanche savent bien que cela n’a qu’un temps et que les comptes d’une politique dont les peuples -irakiens et américains- sont les victimes principales devront bien être soldés à un moment qui pourrait être bien plus rapproché que ce que veulent bien dire les principaux intéressés.
Jacques Cotta le 1er septembre 2005