Explosion, comme en Turquie deux semaines avant, et le lien est fait pas les uns et les autres. Références à Occupy Wall Strett et aux révolutions arabes. Le caractère joyeux et massif, la présence de la jeunesse évoquent la dernière grande mobilisation de masse au Brésil, lointaine déjà, de 1992. Pour des Français, comme la Turquie, elles évoquent mai 68.
Socialement, c’est le prolétariat. « Prolétariat » ne veut pas dire en haillons. On nous parle de « classes moyennes », il s’agit de salariés, ceux que les gouvernements du PT, après s’être appuyés sur eux pour arriver au pouvoir, ont maltraité tant et plus, rampant devant la haute finance et se vautrant dans la corruption, tout en concédant des miettes aux couches les plus pauvres pour essayer de les clientéliser. Ces couches pauvres sont, de fait, en train de rejoindre les travailleurs salariés, soi disant « classes moyennes », dans la rue, et d’apporter au mouvement leur âpreté -leur violence, disent les dominants, qui commencent à avoir peur.
La violence : déjà, des morts. L’appel à la violence est venu du ministre des Sports. Car l’explosion spontanée est partie d’une triple mèche : celle des revendications sur le prix exorbitant des transports en commun, celle de la détestation des dépenses somptuaires de la coupe des nations de foot, et celle de l’indignation contre la répression brutale. Et c’est donc le ministre des Sports qui a averti que la force serait employée contre qui essaierait d’empêcher les matchs.
Du coup les manifestations se sont spontanément dirigées vers les trois lieux clefs du pouvoir : vers le Parlement brésilien et les parlements locaux, et pas pour rester devant mais pour les envahir ; vers les sièges de la police … et vers les stades de foot, affirmant au monde entier que le peuple brésilien en a marre de passer pour un peuple de pauvres contents qui jouent au foot, cette religion mafieuse qui est renversée de son piédestal. Merci à la jeunesse brésilienne !
La présidente Dilma Roussef tente, péniblement, de se poser en modératrice par rapport à son propre gouvernement. On se rappelle qu’elle fut une étudiante « marxiste-léniniste » qui avait été courageuse devant la police et les tortionnaires. Cette image est surmontée par celle des dizaines des jeunes filles et de jeunes gens roués de coups, battus, passés à tabac par les hordes policière de la Dilma Roussef d’aujourd’hui. Le service du capital a ses exigences.
Pour nous, en France, il y a un enseignement spécifique de cette explosion brésilienne qui, à l’heure où sont écrite ces lignes, est en phase ascendante. Au Brésil « la gauche » est au pouvoir. Par son histoire et ses origines récentes cette gauche, représentée par le Parti des Travailleurs (PT), formé par les anciens syndicalistes officiels de Sao Paulo aidés par l’extrême gauche et par les communautés évangéliques de base adeptes de la « théologie de la libération » (1), semblait, pour ainsi dire, beaucoup plus à gauche que notre PS français, par exemple. Au pouvoir il a été un parfait parti de droite, réussissant dans un premier temps, par la destruction des milieux naturels et l’exportation massive des ressources, à faire du Brésil un grand pays « émergent ». La coupe de foot symbolisait le passage à la vitesse supérieure, celle du grand capitalisme planétaire, immobilier et financier.
Il a fallu du temps au peuple brésilien, au prolétariat brésilien, pour digérer les coups portés par ceux qu’il avait portés et considérés comme ses représentants. La jeunesse qui sort dans la rue en masse, les enfants de ce peuple, a rompu avec eux, ne les considère plus comme la représentant. En un délai rapide, le PT a parcouru le cycle tragique du vieux mouvement ouvrier se bureaucratisant et devenant l’ennemi de sa classe et le contraire de sa base initiale. Mais tout recommence. D’un coup, la jeunesse brésilienne renverse trois idoles : le dieu foot, la « gauche latino-américaine » incarnée par le PT, et le capitalisme tout neuf des « pays émergents ».
N’oublions pas non plus que cette grande vague fait suite à la levée en masse de la jeunesse chilienne réclamant une assemblée constituante, d’une part, et aux grèves de masses des mineurs et de larges secteurs ouvriers et paysans contre le gouvernement Morales-Linera en Bolivie, qui de la défense du « capitalisme andin » est depuis longtemps passé à la défense du capitalisme tout court.
Les revendications ne sont pas « hétéroclites » comme le dit la presse. De l’argent pour la santé, l’école, les transports collectifs et l’environnement et pas pour la finance, le foot et la corruption. C’est très clair. Cela pose la question du pouvoir politique, cela met en cause le capitalisme : tel est le caractère de notre époque.
L’Amérique latine, ce ne sont pas les caudillos et les conducators à épaulettes parlant au nom des masses qu’ils sont censés conduire vers la « construction du socialisme », ce sont les masses elles-mêmes, et ce sont-elles-mêmes qui, après et avec la vague ouverte par les révolutions arabes en 2011, font signe au monde entier pour nous dire : ensemble, organisons-nous, nous avons un monde à sauver et à construire, à Sao Paulo, Istambul, Le Caire, vers la révolution prolétarienne du XXI siècle ! (2)
(1) Il faut savoir qu’à la chambre des députés brésiliens, la « Commission des droits de l’homme » où officient adeptes du catholicisme libérateur version PT et sectataires du protestantisme évangélique version droite brésilienne, vient de proposer une loi contraignant les homosexuels à se faire soigner …
(2) Les Brésiliens de Paris appellent à manifester samedi 22 juin, place de la Nation à 17h. Ils voulaient manifester à l’ambassade mais le préfecture le leur a interdit …