Mais qu’est-ce donc que le Conseil européen ? Comme l’a analysé en son temps Michel Troper, dans une des Notes de feu la Fondation Marc Bloch, « dans l’ensemble des pays démocratiques, le pouvoir législatif est confié à des parlements élus au suffrage universel direct et non à des gouvernements, élus indirects qui ne sont pas choisis par le peuple sur leurs programmes. Or, dans le système européen, le pouvoir législatif appartient pour l’essentiel au Conseil, où siègent les représentants des gouvernements nationaux. Les traités aboutissent ainsi à conférer aux gouvernements nationaux un pourvoir législatif que les constitutions démocratiques lui refusent ».
Voilà pourquoi, lorsqu’on rappelle que quatre-vingt pour cent des lois votées par le Parlement français viennent de Bruxelles, on profère une vérité qu’il convient de compléter par celle qui rappelle le rôle que le gouvernement français, comme les vingt-sept autres (bientôt vingt-six) a joué dans la mise au point de directives prises en commun contre chacun des peuples, en contournant l’exigence de la séparation des pouvoirs.
La Ve République avait déjà réduit le Parlement au statut de chambre d’enregistrement des décisions d’un Chef de l’État, César élu au suffrage universel direct. Gravement mis en échec en 1968-1969, le régime a trouvé le moyen de se mettre d’accord avec ses alliés européens pour faire du Marché Commun de 1957 une machine de guerre efficace contre la démocratie. Efficace aussi pour la compétitivité de chacune des classes dominantes, en rognant progressivement les conquêtes sociales qu’elles avaient dû concéder dans le cadre de la lutte des classes.
Progressivement, s’est donc mis en place une sorte de Congrès de Vienne permanent. Au cours de cette rencontre historique, après la chute de l’éphémère empire de Bonaparte, les empereurs, rois et roitelets des puissances du continent se sont partagé ses dépouilles. Aujourd’hui, les 28-27 prétendent les imiter, de manière formellement réglée, et se livrent à une guerre économique entre eux tout en se mettant d’accord sur des mesures communes de concurrence libre et non faussée pour permettre à tous de s’affronter à armes égales sur le marché. Principalement en faisant disparaître progressivement les services publics dus aux populations et les garanties collectives des travailleurs qui, variant d’un pays à l’autre faussaient scandaleusement la concurrence, devenue « déloyale » aux yeux des capitalistes de chacun des pays de l’Union.
Par cette association institutionnelle des malfaiteurs gouvernementaux, les plus attaqués sont ceux qui vivent de leur travail, ceux qui en sont privés et se retrouvent au chômage et ceux dont la retraite, retardée, est progressivement amoindrie. Autour des travailleurs salariés, c’est toute la population qui est touchée. Parmi les reculs que les bandits rassemblés à Bruxelles ont imposés en France, l’un des plus flagrants est la destruction progressive de la Sécurité sociale. Fondée sur les acquis du mouvement ouvrier, généralisée à toute la population ou presque en 1945, elle a permis un progrès inespéré dans la santé de tous, notamment en favorisant la recherche médicale et l’hospitalisation à chaque fois que c’était nécessaire et non à chaque fois qu’il y avait un lit disponible, comme cela se passe aujourd’hui.
Quelle force peut s’opposer aux naufrageurs, si ce n’est celle qui a conduit le progrès social au profit de l’ensemble du pays ? Cette force, c’est le mouvement ouvrier. Il est remarquable que plus les idéologues annoncent la fin des ouvriers et de la classe ouvrière, plus les capitalistes les mettent au centre de leurs préoccupations. Que ce soit en délocalisant les usines ou que ce soit en les relocalisant, ils montrent que c’est la force de travail à exploiter qui est leur quête permanente. Que c’est la réduction du coût de cette force de travail qui est leur but le plus constant, ce qu’ils justifient par la lutte pour la compétitivité, organisée par la « concurrence libre et non faussée ».
Cette force du mouvement ouvrier et démocratique ne peut produire ses effets que si elle ne s’encombre pas d’illusions sur une réforme des institutions de brigandage de l’Union européenne. Que si elle ne nourrit aucun fantasme sur les possibilités d’amadouer, au nom d’une prétendue Europe « plus sociale », les gouvernements coalisés. Ils le sont, et pour rien d’autre, pour des réformes antisociales, présentées comme nécessaires, comme étant les dernières des dernières, mais toujours suivies de nouvelles destructions d’acquis sociaux, qui sont autant d’acquis de la civilisation. Ce qui s’est passé en Grèce et les ravages qui s’y perpètrent continûment devraient montrer à tous qu’il est impossible de sortir du marasme sans en finir totalement avec les traités européens, sans rompre non seulement avec leur logique mais surtout avec les institutions qu’ils ont mises en place. Cela s’appelle abroger les traités et non les renégocier comme Hollande a prétendu le faire, le temps d’une élection.
Un appel pour la rupture avec l’Union européenne et la Cinquième République circule actuellement parmi mes confrères de la presse et un peu partout. Chacun de ses signataires a ses raisons d’en finir avec ce système. Bon nombre de ces raisons nous sont communes, au-delà des positions de chacun au sujet des prochaines élections, qu’elles soient ou non exprimées dans un vote. Ils affirment que seule une rupture totale avec les institutions actuelles permettra de dégager une issue positive à la crise que connaît le pays. Je relève particulièrement, dans cet engagement, celui d’agir pour la reconquête de la démocratie politique à tous les niveaux, de la commune au sommet de l’État et pour la défense de toutes les libertés publiques ainsi que l’élection d’une Constituante souveraine. Cet appel fait partie de nombre d’initiatives, de tentatives de regrouper les forces du peuple travailleur contre les menées des couches dirigeantes qui, en France et en Europe, s’unissent en permanence contre lui.
D’un certain point de vue, après le déplorable échec de la Grèce, le Brexit montre la voie. Il est le résultat d’un double mouvement. En bas, le peuple ne veut plus d’un système qui permet aux classes dirigeantes de lui imposer toujours plus de privations. En haut, la majorité des capitalistes ne veulent plus des règles qu’ils ont en leur temps mises au point avec leurs compères du continent. C’est qu’ils sont de moins en moins assurés aujourd’hui que cette Union européenne serait capable d’étouffer la révolte globale.
Aujourd’hui, les gouvernements, unis contre leurs peuples, affichent leurs divisions et la lutte âpre que tous mènent contre tous. C’est le cas notamment dans le domaine de la fiscalité où ils s’appliquent, d’État à État, la règle de la concurrence libre et non faussée. C’est le cas dans d’autres domaines, plus discrets. Pourtant, cela ne freine pas cette bande d’agir dans les domaines où les intérêts de ses membres sont communs. Alors, le danger grandit et devient plus imminent. Comme une bête blessée, l’association malfaisante est prête à frapper avec la dernière énergie, sans craindre de tout dévaster sur le Vieux Continent. Il revient à tous ceux qui, comme La Sociale et tant d’autres mouvements, ont engagé la lutte pour l’émancipation politique et sociale du peuple travailleur d’intensifier leur mobilisation contre l’existence même de l’Union européenne, rassemblement de gouvernements hostiles au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et compagnie des grands travaux de régression sociale.
Jean-Pierre Alliot
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