Les suites de l’élection présidentielle en Iran prennent tous les commentateurs au dépourvu. Les puissances de l’OTAN espéraient que les choses allaient se passer en famille et s’ils souhaitaient la victoire de leur candidat Mir Hossein Moussavi, ils n’avaient aucune envie d’un renversement révolutionnaire d’Ahmadinejad. L’évolution de la situation en Iran commence d’ailleurs à inquiéter sérieusement les États arabes du Proche et Moyen Orient.
On savait l’actuel titulaire de la présidence de la république en difficultés. Le régime bureaucratique iranien était en butte à la résistance des ouvriers qui souvent réclamaient tout simplement d’être payés … De nombreuses grèves ont été réprimées durement avec l’arrestation et la torture des leaders syndicaux. Les « gardiens de la révolution », fer de lance du régime « théocratique » depuis le début des années 80, derrière leur « anti-impérialisme » bruyant ont toujours été aux avant-postes pour faire régner l’ordre, écraser toutes les velléités de construction de mouvements populaires indépendants du pouvoir. Les provocations d’Ahmadinejad n’ont jamais eu d’autre but que maintenir une tension suffisante entre l’Iran et ses « ennemis » afin de justifier l’union nationale autour du régime en faisant appel au patriotisme et à la fierté nationale perse.
C’est cette escroquerie politique qui s’effondre sous nos yeux, au grand désespoir de toute une gauche radicale décérébrée, orpheline de ses petits pères des peuples, grands timoniers et autres tyrans staliniens qu’elle avait remplacés, ces dernières années, par Poutine, Ahmadinejad, parfois Kadhafi ou les dirigeants du PC chinois. On comprend (difficilement tout de même) l’aveuglement des staliniens d’antan parce que l’URSS ou la Chine de Mao pouvaient sembler une tentative de construire une société nouvelle « socialiste » dans des conditions difficiles et l’argument « on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » a pu fonctionner un temps. Mais ni la Chine d’aujourd’hui, ni la Russie de Poutine, ni l’Iran des mollahs ne prétendent être en quelque manière l’amorce d’une nouvelle société. Un capitalisme des plus féroces appuyés sur la police politique (la police politique du régime des mollahs n’a rien à envier à la sinistre SAVAK de l’époque Palavi), la répression des opposants et la toute puissance d’un cléricalisme religieux particulièrement borné (le christianisme orthodoxe en Russie et l’Islam chiite en Iran) : tels sont les nouveaux « paradis anti-impérialistes »…
Quand en haut on joue du violon, il ne faut pas s’étonner si en bas on se met à danser. Le régime des mollahs était profondément divisé depuis longtemps. La liquidation du régime d’Ahmadinejad est à l’ordre du jour depuis un moment. Ahmadinejad et ses opposants « conservateurs modérés » sont d’accord sur l’essentiel : le maintien du capitalisme, la domination de la bureaucratie religieuse et l’encadrement des masses. Mais ils divergent sur la manière. Les mollahs dits modérés pensent qu’Ahmadinejad est un irresponsable et que sa politique peut conduire à des explosions incontrôlables dans un pays très jeune et très éduqué. Ils veulent lâcher du lest et obtenir un accord plus large avec les États-Unis de manière à permettre à l’Iran de devenir une puissance économique majeure dans la région. Ahmadinejad, de son côté, n’est pas aussi anti-américain qu’il le paraît puisque l’Iran a apporté un soutien de fait à l’invasion américaine en Irak et que le gouvernement irakien chiite a été installé avec l’accord de Téhéran, qui y a, de notoriété publique, des agents directs. Sur ce point nous ne pouvons que renvoyer aux analyses déjà publiées sur ce site par Jacques Cotta. Mais la politique du président iranien qui tire sur l’élastique en évitant de le rompre semble aujourd’hui trop risquée et certains mollahs veulent prendre toute leur place dans la recomposition des forces en cours dans la région dans le cadre d’un accord plus étendu avec Washington.
Les scénarios de transition en douceur avaient été élaborés depuis pas mal de temps. Mais l’élection a ouvert en grand la crise politique. Et, comme il arrive souvent, les masses se saisissent de la crise au sommet pour intervenir sur le propre plan et pour leur propre compte. Moussavi fait tout ce qu’il peut pour appeler ses partisans à rentrer chez eux. Mais, des centaines de milliers sont descendus dans la rue. Le mot d’ordre des chefs était de faire une manifestation silencieuse. Mais le peuple s’est mis à crier et à dénoncer le tyran. À l’heure qu’il est plus personne ne contrôle rien. La presse européenne évoque le spectre de la « révolution » et ce n’est pas à tort. Stoppée nette par l’instauration du régime de Khomeiny, la révolution commencée en 1979 pourrait bien entrer dans sa deuxième phase progressivement débarrassée des illusions de la première phase.La république iranienne de demain, purgée de la tyrannie des « pasdarans », reconnaissant les libertés fondamentales et les droits syndicaux, sera sûrement encore « islamique », compte-tenu du poids traditionnel de l’islam dans ce pays, mais elle pourrait évoluer vers une conception bien plus tolérante de la pratique religieuse (notamment à l’égard des femmes). Les forces de la jeunesse, des jeunes étudiantes (60% des étudiants sont des femmes), l’existence d’un mouvement ouvrier indépendant, tout cela stimulerait le développement économique, sociale, politique et culturel du pays et pourrait en faire un véritable point d’appui pour les peuples de la région qui aspirent à la paix et à pouvoir vivre libres et non soumis à des monarchies pétrolières inféodées à l’impérialisme.
Au-delà des manœuvres des uns et des autres, le développement d’une véritable révolution démocratique en Iran est donc l’issue la plus heureuse qu’on puisse souhaiter pour ce pays. Une telle révolution ne s’arrêtera aux desiderata d’un Moussavi et sa faction. Elle ira nécessairement beaucoup plus loin et c’est cela qu’il faut avoir en vue dans l’appréciation des événements présents.
Denis COLLIN
PS: à propos d'Ahmadinejad, signalons les analyses que nous avions faites au lendemain de son élection.
Il ne faut pas accorder la moindre trêve à ces meurtriers !
Un message de Hamid Taqvaee, leader du Parti communiste-ouvrier d’Iran, au peuple d’Iran
Amis de la liberté !
La mascarade des élections est terminée. Ce que notre parti n’a cessé de répéter est maintenant clair aux yeux de tous : le régime de la république islamique n’a pas organisé des élections libres, il n’est pas réformable. Il doit être renversé totalement. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas l’après-coup des élections, mais les secousses d’un régime agonisant. C’est une crise mortelle pour le régime tout entier, qui transparaît à travers les luttes entre ses fractions intestines. Ne laissez pas les dirigeants meurtriers y échapper !
A la population !
Les rangs du régime n’ont jamais été aussi désordonnés, embourbés. Le gang Khamenei-Ahmadinejad est résolu à écraser les bandes adverses. Il croit qu’il peut se maintenir par ses seules forces répressives, sur le contrôle qu’il exerce sur la machinerie de l’état, pour procéder en même temps à une opération de chirurgie interne et effrayer la société toute entière, afin de repousser votre lutte qui s’amorce pour renverser ce régime inhumain. C’est une pure illusion de sa part. Nous ne sommes pas le 20 juin 1981, lorsque la répression s’est abattue sur la révolution. Nous ne sommes pas à l’été 1988, quand, juste après la guerre Iran-Irak, des milliers de prisonniers politiques ont étés massacrés pour effrayer la population. Nous ne sommes par le 9 juillet 1999, quand le peuple s’est soulevé massivement pour demander la liberté d’expression. Aujourd’hui, le régime islamique est trop désespéré, trop corrompu, trop pourri pour être capable de contenir la vague de protestation dans le pays tout entier. Il ne faut pas accorder la moindre trêve à ces meurtriers !
Hamid Taqvaee, secrétaire du comité central du Parti communiste-ouvrier d’Iran
Voir aussi:
Worker-communist Party of Iran statement on people’s protests following the election farce (14-06-2009)