"Karl Marx is back". C'est le cri de désespoir du "trader" qui se réveille au petit matin, avec la gueule de bois, contemple la chute des cours et apprend qu'on vient de "nationaliser" l'essentiel du système bancaire des pays capitalistes.
Après des années de lavage de cerveau et de propagande "libérale" effrénée, digne des grandes époques de l'Union Soviétique, la presse s'y mets aussi. Le retour de Marx est salué par Challenge et le mot capitalisme est sur toutes les unes, le plus souvent accolé au mot "crise". Mais qu'on ne s'y trompe pas: les plumitifs des "marchés" ne vont pas se repentir, ni les économistes libéraux se faire hara-kiri, ce qu'ils devraient faire derechef s'ils avaient le sens de l'honneur -- mais il est vrai qu'honneur, vertu et quelques autres termes de ce genre sont inconnus du lexique de ces messieurs. En fait il s'agit encore d'occuper le terrain. Marx n'est là que comme un épouvantail et nullement comme un théoricien dont les oeuvres pourraient éclairer le présent. Ainsi pour parler de Marx, on mobilisera des "spécialistes", MM. Minc et Attali, qu'unit la propension à utiliser la photocopieuse comme outil majeur de "l'écrivain" moderne... Tous ces "marxistes" des marchés sont là pour nous faire gober l'idée que la crise actuelle est celle des excès du capitalisme et la référence à Marx est là uniquement pou donner un peu plus de crédiblité à cette fable que M. Sarkozy nous répète sur tous les tons, lui qui prend maintenant presque les accents régulateurs et moralisateurs des responsables d'ATTAC! Mais la réalité est autre. La crise du capitalisme n'est pas la crise de l'avidité des spéculateurs qui ne sont dans cette affaire que l'écume des choses. C'est la crise classique du système quand il a épuisé tous les nouveaux moyens d'investir du capital à des taux de profit suffisants. Surproduction de marchandises et surproduction de capital. La crise s'ouvre en septembre en France, mais on apprend après coup que la production industrielle avait baissé de 0,4% en août. C'est bien la crise de l'économie dit "réelle" qui déclenche la crise financière et non l'inverse comme on cherche à le faire croire.
Quand Olivier Besancenot dit que le capitalisme va se noyer dans son propre sang (interview au "Monde", 16.10.2008), la formule pour frappante qu'elle soit, ne vaut pas beaucoup mieux que le prétendu "marxisme" de la presse économique. Le capitalisme ne va pas se noyer dans son propre sang. Il va chercher comme d'habitude chercher à faire payer par les autres ses turpitudes. L'augmentation brutale de la dette publique se paiera en emplois de fonctionnaires, en coupes sombres dans les budgets sociaux, en millions de chômeurs. On annonce déjà 20 millions de chômeurs supplémentaires dans le monde au cours de l'année à venir. Et la crise, selon les "spécialistes" pourrait durer deux ou trois ans (minimum). En vérité, la dernière grande crise de ce type, celle de 1929 a prolongé ses effets sur toute la décennie et s'est achevée dans le bain de sang non des capitalistes mais des peuples.
On pourrait à perte de vue pour savoir s'il y a ou non chez Marx une théorie de la crise finale ou si le catastrophisme est une invention de Rosa Luxemburg. Tous ces débats de marxologues, aussi intéressants qu'ils soient ne peuvent empêcher que soit pris en compte tout ce qu'enseigne l'expérience et que déjà Lénine soulignait: le capitalisme ne disparaîtra que si on le fait choir. Sinon, les crises, tragiques pour des millions d'hommes, ne seront du point de vue du capital que des transitions de phase entre deux modes d'accumulation du capital. Nous avons au l'onde keynésienne/fordiste de 1945 à 1971/73 puis une crise qui a débouché sur le "néolibéralisme". Un quart de siècle après, le "néolibéralisme" agonise et les dirigeants des diverses fractions du capital tentent d'en apprécier la profondeur et recherchent en tatonnant une nouvelle récette, avec repli sur les États et interventionnisme massif mais sans que tous ces dirigeants ne soient disposés à payer la paix sociale au prix du maintien des acquis sociaux. Au contraire: pendant la crise, le massacre continue comme le montrent la persévérance des gouvernements français et italiens à mettre en oeuvre les directives européennes de destruction de l'enseignement et de la culture.
Ce qui manque fondamentalement aujourd'hui, c'est une force prête à donner une solution anti-capitaliste à la crise. La social-démocratie traditionnelle (pas ce "tas de fumier" qu'elle est devenue, selon une expression qu'employait déjà Rosa Luxemburg), le communisme dans sa suite avaient un modèle de société nouvelle à proposer qui était largement partagé par les militants et adhérents de ces courants. Aujourd'hui, il n'y a plus rien de tout cela. Les plus "audacieux", la "gauche de gauche", les "antilibéraux" n'ont jamais été plus loin qu'une tentative de remettre au goût du jour l'État social modèle "trente glorieuses". C'est à peu près aussi crédible que le retour à Bretton Wood proposé par le président de la république. Quant à l'anticapitalisme qui n'est "Nulle Part Ailleurs" (le nouveau parti lancé par la ligue a pris le sigle d'une émission fétiche de Canal Plus, c'est tout un programme), l'anticapitalisme de Besancenot, c'est un amas de confusions qui combine un guévarisme de pacotille, un ouvrièrisme type LO, et un pur et simple réformisme. Un rassemblement des "contre" qui explosera à la première épreuve. Ceux qui connaissent un peu l'histoire de la Ligue ne peuvent s'y laisser prendre, quel que soit l'écho de cette opération, limité malgré tout mais amplifié par des médias complaisants.
Une nouvelle force ne se fera pas en un jour ni en en quelques mois. Il faut déjà lui retrouver un nom et un programme et cela suppose qu'on soit capable de tirer les leçons d'un passé riche et terrible. Pourquoi toutes les tentatives révolutionnaires ont-elles tourné au cauchemar? Pourquoi tant de "trahisons" et pourquoi ceux qui, tels les trotskistes, ont toujours mis en garde les ouvriers contre les appareils traîtres n'ont-ils jamais réussi à trouver l'oreille des larges masses? Derrière ces questions, il y a une mise en cause radicale des dogmes du marxisme orthodoxe -- cette idéologie construite d'abord par la social-démocratie et reprise par le Komintern et qui n'est guère que "l'ensemble des contresens faits sur Marx". La nouvelle crise du capitalisme pose la question d'une transformation radicale du mode de production, la question de la reconstruction de la société sur des bases égalitaires, d'une société où prime le bien commun et où les fruits de la terre et du travail collectif seront partagés équitablement, sur la base de la propriété commune de ce qui est commun. On appelait cela jadis "communisme". Il est temps de ressortir ce drapeau, trop longtemps souillé par les tyrannies staliniennes qui, du reste, ne se sont jamais prétendues communistes mais seulement "socialistes". Il est temps de réfléchir à ce que pourrait être un société communiste non utopique.Articles portant sur des thèmes similaires :
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Avant de critiquer le "pauvre Besancenot", peut être faudrait il le faire honnêtement, et non pas en reprenant ces méthodes éculées (citations tronquées, conclusions qui disent le contraire des propos tenus) qui ressortent plutôt des plus condamnables des procédés utilisés par un mouvement ouvrier dévoyé et fourvoyé : Quand Besancenot dit "le capitalisme va se noyer dans son propre sang" il rajoute aussitôt après "Une partie du mouvement ouvrier a été bercée par cette prophétie qui voulait que la roue dentée du progrès avance d’elle-même. Moi, je n’y ai jamais cru. J’appartiens à une génération qui s’est rendue compte que le capitalisme était capable de se purger lui-même au prix de crises, de catastrophes sociales et écologiques ou de guerres. Il a cherché à se débarrasser de toutes ses entraves en revenant à un marché sans limites. On a abouti à un système de capitalisme pur, un peu comme celui que Marx avait sous les yeux voici 150 ans. L’anachronisme aujourd’hui, c’est celui que célèbre Sarkozy à travers le capitalisme entrepreneurial alors que les quelques grands groupes qui font la loi combinent activités financières et industrielles." et il ajoute "On privatise La Poste et on renfloue Dexia. Les pouvoirs publics sont capables de trouver en deux heures des dizaines de milliards pour les coupables de la crise, alors que depuis des mois, sous prétexte que les caisses de l’Etat sont vides, ils refusent de verser un seul centime d’euro pour les victimes de la crise. Mais surtout, ce déblocage subit d’aides aux banques ne réglera rien : le plus gros des difficultés économiques reste devant nous, en France, en Europe et aux États-Unis. Le budget des États est complètement flingué, avec toujours plus de dépenses et toujours moins de recettes et des cadeaux fiscaux qui ne s’arrêtent pas. On peut être sûr qu’on va assister à une récession majeure." Bref, rien de ce "catastrophisme mécaniste" dont l'auteur semble faire grief a Olivier Besancenot.
Je suis très dubitatif envers le NPA. Pas pour les mêmes raisons, sans doute, que l'auteur. Celui ci proclame "Ce qui manque fondamentalement aujourd'hui, c'est une force prête à donner une solution anticapitaliste à la crise." Ce qui' il partage, fondamentalement avec le NPA. De même les constats sont ils partagés sur "Pourquoi toutes les tentatives révolutionnaires ont-elles tourné au cauchemar? Pourquoi tant de "trahisons" et pourquoi ceux qui, tels les trotskistes, ont toujours mis en garde les ouvriers contre les appareils traîtres n'ont-ils jamais réussi à trouver l'oreille des larges masses?" Tout cela fonde le socle constitutif du NPA. Et c'est là que le bas blesse ! Parce que tout est fait (aussi bien du coté du NPA, que visiblement de Denis Colin, de shunter un siècle d'histoire révolutionnaire, de faire comme si Lénine, Trotsky , Luxemburg, Mao Zedong n'avaient jamais existé, et de revenir à une soupe tiède dont le mouvement "antilibéral" nous a donné le risible exemple. Et de ce point de vue, j'ai bien peur que l'horizon proposé par Denis colon n'aille pas plus loin : "La nouvelle crise du capitalisme pose la question d'une transformation radicale du mode de production, la question de la reconstruction de la société sur des bases égalitaires, d'une société où prime le bien commun et où les fruits de la terre et du travail collectif seront partagés équitablement, sur la base de la propriété commune de ce qui est commun" A la limite, même le projet du NPA est plus clair...
Marc F.