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L’Election de Donald Trump : comprendre…

… car l’Amérique, ce pourrait aussi bien être la France ?

Par Jacques Cotta • Actualités • Vendredi 11/11/2016 • 0 commentaires  • Lu 2929 fois • Version imprimable


Donald Trump a été présenté durant des mois comme un homme d’affaires richissime, provocateur, raciste, misogyne au point de faire dire aux sondeurs, éditorialistes, politologues de tout bord que la victoire d’Hillary Clinton ne serait qu’une formalité. Jusqu’au jour J les pronostiqueurs tenaient bon. Le cap restait tout tracé, les démocrates devant l’emporter sans problème, même si les derniers développements sur les frasques informatiques de la candidate démocrate pouvaient donner un résultat un peu plus serré que prévu. Et puis tout à coup, c’est le choc. Malgré les propos du candidat républicain, le voici victorieux contre tous les pronostics. Les mêmes qui étaient persuadés de la défaite de Trump s’en sont trouvés soudain affolés. Ce qui évidemment ne les a pas empêchés, quelques heures seulement après son élection, de trouver le discours de Donald Trump raisonnable, alors qu’il prônait la destruction du système de santé (pourtant déjà bien peu protecteur) et la baisse massive des impôts dont il ne s’est d’ailleurs lui-même pas acquitté. Tout cela démontre à loisir l’incompréhension totale qui domine et qui contraint de revenir sur les mouvements de fond qui traversent la société américaine, comme d’ailleurs l’ensemble des sociétés occidentales. Alors que Trump rend Marine Le Pen et le FN assez timorés sur le fond, comment se fait-il que ce candidat présenté comme un clown d’extrême droite par les médias unanimes durant des mois ait pu globalement faire jeu égal avec Hillary Clinton en terme de voix et l’emporter dans un nombre d’états suffisants pour accéder à la maison blanche ?
 

La réalité des chiffres

Les premières publications de « The United States Election Project » fait apparaître un taux de participation le plus faible depuis 2000, avec 54,2% de votants. Un peu plus tard les chiffres publiés avoisinent les 55% de votants. Ainsi, les « petites phrases » de Donald Trump n’ont pas spécialement mobilisé l’électorat en faveur d’Hillary Clinton. Et la candidate démocrate n’a pas par elle-même poussé l’électeur à se rendre aux urnes.

Donald Trump domine de 20 points sa concurrente chez les électeurs blancs avec 58% contre 37%. L’écart est de 32% chez les seuls hommes blancs, mais également en sa faveur de 10% chez les femmes blanches, cela malgré les accusations d’agressions sexuelles et les remarques sexistes du candidat au cours de la campagne. Au total, contre les pronostics démocrates, ce sont 42% des femmes qui ont voté républicain alors qu’Hillary Clinton avec 54% du vote féminin ne récolte que 1% de plus que Obama en 2012. 

Plus éclairant encore est le vote des « latinos ». Alors que 77% de cet électorat est composé de femmes, alors que parmi les déclarations phares de Trump se trouvait la dénonciation des mexicains et la nécessité de construire un mur entre les USA et son voisin, 30% a fait le choix de Trump. Chez les afro-américains le score réalisé par Hillary Clinton est inférieur à celui de Barack Obama en 2012. De plus la mobilisation de cet électorat est moindre que pour les précédentes élections.
 

Le Social explose le sociétal

Il ressort que la réalité sociale, après 4 années de pouvoir démocrate, s’est imposée à toutes les considérations et déclarations sociétales. Aucun candidat ne pouvait en effet surpasser Trump dans la teneur des discours grossiers, racistes, misogynes. Et pourtant, le résultat est là. 

Cette élection américaine confirme ce qui déjà ressortait de plusieurs scrutins, en France notamment. Les sentiments et la morale issue des habitants « éclairés » des beaux quartiers –c’est en effet dans les agglomérations et les centres villes chics et chers que la candidate démocrate fait ses meilleurs scores- ne sauraient faire oublier au moment du choix la réalité sociale vécue par le plus grand nombre, le déclassement, la pauvreté et la misère de tous ceux qui frappés notamment dans la crise financière de 2007 ont été sacrifiés sur l’autel du capitalisme financier. 

Le camp Clinton et derrière lui les grands titres de la presse internationale (chez nous aucun ne manque à l’appel) ont cru qu’il suffisait de mettre en exergue les déclarations du milliardaire républicain sur l’avortement, sur le racisme, sur la peine de mort ou sur les armes à feu pour l’emporter aisément comme seul conséquence d’un rejet idéologique et démocratique. Comme si l’affichage aux côtés des vedettes du grand et petit écran, de la chanson ou du sport (là aussi nul n’a manqué à l’appel, de Meryl Streep, Kevin Spacey, Jennifer Lopez, ou Magic Johnson, Pharrell williams, Elton John, Alec Baldwinou encore Lisa marie Presleyou Lady Gaga…) allait faire oublier au moment du vote la réalité vécue par le peuple américain. 

Cette réalité qui a poussé au rejet de la candidate démocrate est par exemple illustrée en Pennsylvanie avec des régions entières sinistrées comme conséquence de la crise économique et financière qui a frappé durement la sidérurgie, l’acier le charbon. En 2012, Barack Obama y devançait son adversaire républicain de 4%. Ce coup-ci, c’est Donald Trump qui devance avec le même écart Hillary Clinton. Dans ces régions sinistrées, comme conséquence de la crise qui frappe des millions d’américains, les discours racistes de Trump trouvent un écho favorable, notamment lorsqu’il dénonce l’étranger qui vient piquer le travail… Situation analogue dans l’Ohio ou encore dans le Michigan avec les mines. Analogue aussi dans les régions de l’automobile qui se sont effondrées et qui aujourd’hui encore voient des centaines de milliers d’américains, des millions avoir tout perdu au monde où le dollar est roi. 

Ces élections expriment en fait une double réalité :
 
  • D’abord les limites du développement communautarisé de la société américaine. Le fait que l’électorat blanc en grande majorité ait voté Trump indique que les développements parallèles de communautés distinctes, aux règles et codes non partagés, trouvent des limites explosives. 
  • Mais surtout la primauté absolue de la réalité sociale sur toute autre considération. Les discours de Trump, indépendamment de la réalité du personnage, sur la future taxation des traders, sur le protectionnisme pour l’emploi, sur la prise en compte des plus faibles, sur la reconquête du territoire, ou encore sur la reconstruction des infrastructures délabrées ont fait mouche en répondant à une réalité aussi sensible et urgente. Peu importe pour l’électeur le personnage. C’est l’engagement et le ton qui comptent. Leçon à méditer…

Mais alors demeure un paradoxe : comment le milliardaire Trump dont l’histoire est celle d’une légende fabriquée pour l’occasion est-il parvenu à rafler la mise ? En fait comment de façon aussi tragique le milliardaire, tel un véritable prestidigitateur est-il parvenu à endosser le costume de défenseur des pauvres ?

 

La responsabilité des démocrates

Le constat est là : les « pauvres » ont voté Trump. Est-ce la fascination pour « l’homme qui serait parti de rien pour devenir milliardaire » qui aurait permis cette alchimie étonnante ? Est-ce la bêtise du peuple (comme le disent déjà ici quelques « experts » en la matière[1]) qui expliquerait ce mariage contre nature ? Est-ce un racisme naturel qui permettrait de comprendre ? Ou plus gênant pour le système, mais plus sérieux pour le raisonnement, n’est-ce pas dans la politique même des démocrates qu’il faudrait chercher la cause d’une telle débâcle ?

Hillary Clinton ne pouvait incarner la volonté de rupture avec le système capitaliste dont tout le monde reconnaît la responsabilité dans la crise qui frappe. Elle s’est affirmée comme la candidate officielle de Wall Street, et le soutien que lui ont apporté les organisations ouvrières américaines (notamment dans l’affrontement des primaires face à Sanders) ne pouvait mener qu’à l’impasse. Dans ce système où démocrates et républicains alternent pour mener sur le fond la même politique, c’est bien la rupture qui répond aux exigences et à l’attente populaire. Déjà Bernie Sanders dans les primaires démocrates, par l’engouement provoqué notamment chez les jeunes dans sa dénonciation de la finance, dans l’affirmation des responsabilités de la crise, dans la l’orientation sociale revendiquée, avait donné le signal. Après avoir manœuvré pour écarter Sanders et imposer Clinton, c’est de façon incroyable, totalement folle que le parti démocrate a de fait permis à Trump de prendre la posture de la rupture avec un système dont il est aussi une expression directe.

Comment de pas voir dans ce résultat le bilan d’une présidence Obama, hier présenté comme révolutionnaire car « premier président noir des USA », aujourd’hui révélé comme particulièrement conservateur sur les questions essentielles, un conservatisme que la couleur de peau en soi ne saurait contrarier. Le bilan Obama porteur de démoralisation, de déroute électoral, c’est aussi les plans de démantèlement de l’industrie, la privatisation massive des systèmes de santé et d’éducation. C’est aussi la poursuite d’une politique de guerre destructrice de nations entières, génératrice d’un exode de population massif. C’est également un nombre de « bavures policières » et d’assassinats de noirs massifs, c’est encore une déportation sans précédent de migrants au Mexique.

Comment ne pas voir dans ce bilan les raisons d’une abstention massive de noirs qui ont tourné le dos aux urnes, de travailleurs qui ont refusé de voter Wall Street contre le milliardaire Trump ?

Comment ne pas comprendre que désespérés par un déclin économique et social ininterrompus, des millions se sont laissés entrainés par la démagogie du milliardaire qui se présentait comme le candidat anti-establishment, anti système, indépendamment de la nature réelle de ce candidat ? Comment ne pas saisir le dégoût répandu non seulement par la teneur lamentable de la campagne électorale, mais aussi par ce théâtre d’ombres où on s’injurie à la tribune après s’être fréquenté dans le privé –Madame Clinton ayant été une des invitées de choix au mariage de Donald Trump en 2005 à Palm Beach- où malgré les apparences, ce sont les représentants d’un même monde, d’une même caste, qui sont censés s’opposer ?

 

Les leçons américaines : une histoire de programme

C’est au nom du moindre mal comme souvent en la matière que les américains ont été appelés de toute part à voter Clinton. C’est ainsi que le pire mal Trump est arrivé à la maison blanche. La question est d’autant plus importante qu’elle n’est pas seulement américaine. Au nom du moindre mal les appels se préparent ici pour organiser l’unité avec la gauche de gouvernement, avec le parti socialiste. Mais comment ne pas voir qu’il n’est meilleur façon de préparer l’arrivée du pire mal français ?

Comment donc se projeter ? De quoi partir ? Comment agir ?

Bernie Sanders fort justement remet les choses sur leurs pieds au lendemain de l’élection de Trump, en revenant aux questions essentiels qui ont fait l’élection américaine malgré tous les leurres, tous les mensonges, toutes les impostures, toutes les grossièretés.

Bernie Sanders aurait pu surenchérir dans la dénonciation du milliardaire démagogue. Il aurait pu se situer sur le seul niveau des symboles, de la morale, de l’éthique en délaissant de fait le sort immédiat du peuple qui attend des réponses. C’est justement au peuple qu’il parle en s’adressant au prochain locataire du bureau ovale.

"Donald Trump a exploité la colère d'une classe moyenne en déclin qui n'en peut plus de l'establishment économique, de l'establishment politique et de l'establishment des médias" a commenté Bernie Sanders avant de poursuivre en direction du peuple américain, de ses attentes. "Si Donald Trump entend vraiment mener des politiques visant à améliorer les vies des familles de travailleurs dans ce pays, moi ainsi que d'autre progressistes sommes prêts à travailler avec lui", avant de conclure en signe d’avertissement et d’appel à la mobilisation, "s'il entend mener des politiques racistes, sexistes, xénophobes et contre l'environnement, nous nous opposerons vigoureusement à lui (…) Les gens en ont marre de travailler plus pour gagner moins, de voir des emplois honorables partir en Chine et d'autres pays aux bas salaires, que les milliardaires ne payent pas leurs impôts fédéraux et de ne pas pouvoir payer l'éducation supérieure de leurs enfants, tout ça pour que les très riches deviennent encore plus riches".

En fait les élections américaines ne nous indiquent-elles pas la seule voie empruntable pour éviter la catastrophe en France ?

Celle de la mise en place d’un programme dont les orientations claires s’adressent à tous pour la défense des acquis sociaux et leur extension, la préservation de la démocratie, la reconquête de la souveraineté populaire, le travail, le salaire, la protection sociale, la santé et l’éducation, la sauvegarde de la nature… 

La seule voie empruntable pour éviter la catastrophe en France, celle de l’élaboration d’un programme à discuter largement pour rassembler, organiser, agir….

 
 Jacques Cotta
Le 11 novembre 2016
 


[1] Depuis le référendum de 2005 en France dans lequel une majorité s’était prononcée contre le traité de constitution européenne, à chaque occasion éditorialistes, politologues ou autres experts auto proclamés ne cessent d’exprimer un mépris du peuple qui en fait signifie une véritable haine du pauvre. Le Brexit en Grande Bretagne a été une autre occasion pour un déferlement sans limite : le peuple serait stupide, ne comprendrait décidemment rien, ne mériterait pas de pouvoir se prononcer… Bref, il faudrait changer le peuple une fois pour toutes !


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