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Les deux USA

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Jeudi 10/11/2016 • 0 commentaires  • Lu 2219 fois • Version imprimable


Un jour de 2001, j’ai croisé, Ted Margadant, un professeur d’histoire de l’Université de San Francisco (comme son épouse) pour cause d’une passion commune : l’insurrection de 1851 en France. Quand je lui ai indiqué mon travail de deux ans en Louisiane, j’ai compris que je perdais un peu de son estime. Il ne me cacha pas son mépris : « La Louisiane ce n’est pas les USA ! ».

 

Je savais depuis 1974 qu’il existait deux USA mais pas, comme je le pensais au départ, à la manière européenne de . La division n’était pas seulement un affrontement entre deux classes, car la lutte des classes n’était pas seulement sociale.

Celle du Nord contre le Sud ? Celle de l’Est contre l’Ouest ?

Peu après, en 2003, l’acteur Arnold Alois Schwarzenegger, Républicain, acteur, a été élu gouverneur en Californie (il l'est resté jusqu'en 2011, les seuls deux mandats possibles, et a laissé un Etat au bord de la faillite) alors j’ai envoyé un mot à mon ami le professeur pour qu’il m’explique : il était effondré et sans explication.

Hier au téléphone sonne, une dame disant avoir beaucoup vécu aux USA demandait des explications car disait-elle dans ses connaissances personne n'avait voté Trump. Un invité originaire des USA lui a alors demandé : "Mais vous étiez dans quelle ville ? " "San Francisco" "Rien à voir avec les USA" a précisé l'invité.

Avec la victoire de Schwarzenegger, il n’y avait donc pas La Louisiane d’un côté, et la Californie de l’autre comme il n’y a jamais eu les Démocrates d’un côté et les Républicains de l’autre ! La Louisiane typiquement Démocrate a toujours été beaucoup plus réactionnaire que bien des Etats Républicains. Pourquoi cette confusion ?

Lincoln, le président qu’Obama admire, était républicain et c'est son élection qui a déclenché la sécession des États esclavagistes et provoqué la guerre civile et la proclamation de l'abolition de l'esclavage (1865). Réélu en 1864, il est assassiné quelques jours après la victoire des nordistes, par John Wilkes Booth au théâtre Ford de Washington. Contre cette face républicaine, les Etats du Sud sont devenus démocrates !

Les USA se sont constitués à partir de trois guerres - celle contre les Indiens, celle contre le Mexique et celle du Nord contre le Sud - ,qui ont brouillé le schéma classique de la lutte des classes car elles ont traversé le peuple tout entier. Il a fallu attendre les années 1960 pour que «le Nord» impose au «Sud» la déségrégation et cette politique n’a pas été un affrontement entre les riches et les pauvres car les pauvres blancs du sud étaient beaucoup plus radicalement opposés à la déségrégation que des riches du nord. Et inutile de croire que tous les Noirs (on dit les africains-américains) étaient pour la déségrégation !

Les années 60 sont loin et la ségrégation a repris ses droits et les assassinats de noirs avec !

Quant à la guerre USA-Mexique qui, comme la guerre raciale, ne s’est jamais achevée, elle a introduit un autre élément atypique dans la construction des deux parts des USA : les latins face aux anglo-saxons.

Aujourd'hui, au Mexique, Trump est très souvent présenté comme fasciste.

Face à ces contradictions un autre élément politique est apparu : l’abstention. Contrairement à une idée reçue, la politique a toujours été jusqu’en 1900, un élément constitutif des USA, avant même les questions économiques, car le vote y est généralisé (dans les communes l’élection touche le maire, les conseillers municipaux (deux choses différentes) mais aussi le responsable à l’éducation, à la police etc.). Cette abstention (jusqu'à 80% dans les élections locales) est devenue comme un fait acquis, comme une normalité qui arrange bien les pouvoirs en place car il écarte du vote une partie pauvre de la population généralement rejetée. L’élection présidentielle est celle qui mobilise le plus.

Dans ce contexte Donald Trump, jamais pris au sérieux, est-il une surprise ? Oui et non.

Oui car, jamais élu, comment a-t-il pu, sans expérience, convaincre les électeurs ? Sauf que l’absence d’expérience (vu les résultats) est devenue un atout, un atout renforcé par son adversaire qui cherchait à mettre en valeur… son expérience !

Non, car comme Reagan, comme Schwarzenegger il vient de la télé "moderne" dite paradoxalement "télé-réalité". Une anecdote pour comprendre : Hillary comme beaucoup de politiques, lit son discours sur un prompteur, or Donald regarde le public de face, dans les yeux, en direct, pour un discours improvisé donc jugé sincère.

A mes yeux, l'important de l'histoire n'est pas le 2% qui a fait basculer la victoire, mais l'écart profond et permanent au sein de deux peuples car il n'y a jamais eu d'un côté les élites et de l'autre le peuple. Le peuple qui vote, contre celui qui s'abstient ? Le peuple démoralisé, contre celui qui reste debout ? Le peuple noir, contre les petits blancs ? Le peuple soumis, contre le peuple debout ? Le mot peuple a produit l'inflation du mot "populisme".

Je prends un exemple pour conclure : le rapport aux médias. Dans les propos de Beppe Grillo on retrouve exactement ceux de Donald Trump contre les journalistes du régime. Or, tout comme au sein du peuple, il y a lutte des classes, au sein du journalisme le phénomène se répète, et pas la lutte des journaux officiels contre les réseaux sociaux. Si toute la presse écrite a été contre Trump ou Grillo, il n'en est pas de même de la télévision qui, au nom de la règle du taux d'audience, a donné la parole 4 fois plus à Trump qu'à Clinton ! En 2003, Grillo a poussé son usage des médias jusqu'à refuser tout passage à la télé mais la télé couvrait ses meetings comme aucun autre !

Trump a vanté les mérites des "réseaux sociaux" (j'ai horreur de cette formule traduite de l'anglais) qui lui permettaient de parler directement à des millions de gens sans y perdre de l'argent. Sauf que l'internet ne parle qu'à ceux qui veulent l'écouter ! Aussi, son succès tient à ce qu'il disait, non à sa capacité à user de l'internet.

L'arrivée de l'internet en politique, très étudiée justement pour le cas Beppe Grillo (son blog est un des plus lus au monde) n'est pas une question technique bien négociée, mais une belle articulation entre la marchandisation de la politique et le message transmis. J'ai écrit à propos du FN, qu'il n'est plus un simple utilisateur du marketing mais qu'il est le marketing. La différence ? Le marketing est le système qui permet de définir une cible et d'adapter ensuite la communication à cette cible. Etre le marketing c'est quand on devient UNE MARQUE ! Et c'est quoi une MARQUE ? Nike est une entreprise qui ne produit rien ! C'est juste une marque ! Ce qui nous renvoie à cet autre terme moderne : "franchisé". D'un côté avoir un logo, et de l'autre des franchisés qui le font vivre ! Autrefois il existait des épiciers aussi variés que possibles, et à présent la marque Carrefour couvre toute une gamme de magasins allant du petit épicier à la super grande surface. Un site internet vous guide pour devenir Franchisé. En quelques clics je peux avoir tous les éléments pour ouvrir un "Restaurant du boucher". Hier l'industriel avait pris le dessus sur le banquier et aujourd'hui le marchand a pris le dessus sur le producteur. Robespierre n'aimait pas les Anglais qu'il désignait comme étant des marchands. A partir des années 70 les puissants des USA ont décidé qu'ils allaient devenir le pays de la com, du show, des marques, le pays des marchands et que l'infâme production parte ailleurs, au Mexique, ou en Chine. Trump a compris que sa marque pouvait servir à ce qu'on appelle le retour du bâton et en l'occurrence le retour du producteur. J-P Damaggio

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