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François Hollande est confronté à une troisième question lancinante qui pourrait bien surgir au lendemain du 29 mai : la recomposition de la gauche comme conséquence du NON, synonyme d’une défaite du libéralisme et de son petit frère jumeau, le social libéralisme qui domine dans le parti socialiste.
Dans cette situation, tous les coups semblent permis.
Le mensonge comme arme fatale !
De l’UMP au PS, difficile de trouver tant dans les arguments que dans les méthodes quelques différences notables. Le mensonge est ainsi répandu pour tenter de duper le peuple et renverser la tendance majoritaire qui se dessine. L’affaire Bolkeinstein en est un bon exemple. Une pièce assez simple, écrite en trois actes. Premier acte : les champions du Oui feignent de découvrir le contenu d’une directive qui ne fait en réalité que mettre en œuvre la « concurrence libre et non faussée » qui vertèbre le traité constitutionnel. D’une seule voix, tous s’insurgent alors contre « le principe du pays d’origine » qui organise des délocalisation à l’envers. Au lieu de déplacer des entreprises vers des lieux à main d’œuvre toujours plus exploitable, il s’agit de permettre le déplacement de quelques travailleurs qui seront régis par leurs lois nationales.
Deuxième acte : Face au NON qui progresse, Chirac, Hollande, Raffarin et tous les autres montent au créneau. Ils n’est pas question d’accepter une telle directive clament-ils en chœur ! Chirac en profite pour interdire d’antenne en France le président de la commission Barroso, des fois qu’il lui viendrait à l’esprit de rectifier quelques faits...
Troisième acte : C’est l’ex commissaire Fritz Bolkeinstein lui-même qui se charge de sa défense. L’homme se dit -à juste titre- surpris par les réactions françaises. Tous semblent découvrir aujourd’hui ce qu’ils ont cependant accepté comme un seul homme hier. En effet, lorsque la directive est débattue et adoptée, le chiraquien Barnier, comme le socialiste Lamy, tous deux commissaires européens, siègent et ne disent mot. Plus, ensemble ils approuvent. Comme d’ailleurs Jacques Chirac lors d’un sommet des chefs d’état.
En réalité, la directive est bien mal tombée pour les partisans du OUI. Si en effet cela ne s’était déroulé en période préparatoire du référendum, elle serait passée, comme des centaines d’autres, sans que nul ne soit informé ! Telle est l’Europe qu’ils défendent ensemble et que sacralise le traité constitutionnel qu’ils désirent nous faire avaler !
La question centrale en effet qui structure la construction européenne et qu’on retrouve au centre du traité constitutionnel, qui ordonne toutes les autres questions, est la liquidation de toute souveraineté populaire, c’est-à-dire de toute possibilité pour les peuples de décider de leurs propres affaires. C’est ainsi la république elle-même qui est visée par le OUI le 29 mai. Avec la liberté, l’égalité et la fraternité -remises en cause dans toutes les dispositions, institutionnelles, sociales, économiques- c’est en effet la démocratie qui se trouve directement menacée. Nous en connaissons d’ailleurs les avant-goûts. Le mensonge organisé qui va souvent de pair avec les mauvais coups portés à la démocratie est déjà de mise. Ainsi, pour désamorcer la bombe Bolkeinstein, les arguments toujours identiques de tous les partisans du OUI tentent d’expliquer que l’affaire est entendue. La directive, dans son essence, aurait été balayée une fois pour toutes, après le cri de Chirac au dernier sommet de Bruxelles. Pourtant cela est faux. Totalement faux. La directive Bolkeinstein sera ce que voudra la commission, sans avoir d’ailleurs de compte à rendre à quiconque. L’histoire de cette directive est la meilleure démonstration possible du mode de fonctionnement de l’édifice européen basé sur le principe de subsidiarité qui éjecte les peuples et leurs représentants des processus de décision, au profit de quelques oligarques qui n’ont jamais de compte à rendre à personne. S’il fallait choisir une raison et une seule pour dire NON le 29 mai, celle-là serait à n’en pas douter largement suffisante.
Le soutien à Chirac Raffarin !
Jean Pierre Raffarin veut durer. Normal. Jacques Chirac aussi. Toujours normal. Le Medef tient d’ailleurs, face à l’incertitude engendrée par une crise ouverte, que cet attelage pour le moment dure. Encore Normal. Le Medef qui en veut toujours plus sait ce qu’il doit à ce gouvernement en matière de régression sociale, des retraites au temps de travail en passant par quelques plans sur la sécurité sociales ou l’enseignement. Mais que dire de François Hollande ? Car l’argument sur les dates, « attendons 2007 pour sanctionner le gouvernement Chirac » signifie pour celui-ci deux ans de répit pour enfoncer le clou dans le domaine de la précarité, de la santé, ou encore de la protection ou la sécurité sociale. En se voulant le premier défenseur du traité constitutionnel et en appelant au vote OUI le 29 mai, la direction du parti socialiste endosse l’armure du chevalier défenseur du seigneur Chirac et de sa politique. Elle le dit sans même sembler se rendre compte de la violence d’une telle attitude, de tels propos pour ceux qui quotidiennement subissent la politique de ce gouvernement. En effet, c’est bien cela que signifie cet appel à attendre deux ans pour en finir avec Chirac et Raffarin alors que le NON pourrait objectivement abréger l’échéance en ouvrant une crise majeure dans les institutions de la 5ème république ? Appeler à attendre, c’est exiger du peuple qu’il subisse toujours plus l’augmentation du chômage par exemple, révélée par les derniers chiffres publiés.
Appeler à attendre, c’est exiger du peuple qu’il accepte l’augmentation du temps de travail, les licenciements en cascade, la diminution du droit des chômeurs, des « intermittents » ou encore des Rmistes.
Appeler à attendre, c’est exiger du peuple -des jeunes spécialement qui sortent de semaines de luttes contre Fillon- qu’il accepte les plans de destruction de l’éducation mise au service de l’entreprise. Appeler à attendre..... La liste est longue des conséquences du soutien apporté à Chirac dont on pourrait peut-être se défaire à l’issue du 29 mai. Mais qu’on pourrait, c’est une certitude, affaiblir au point de lui interdire de poursuivre dans la politique mise en œuvre.
Il faut ici reconnaître à François Hollande et aux responsables socialistes du OUI une certaine cohérence. Car en fait, ils ne font qu’exiger du peuple qu’il accepte ici, en France, sans rechigner, ce qu’ils appellent à voter le 29 mai au niveau européen. Il n’y a en effet pas d’un côté une politique nationale, de l’autre une politique européenne. Déjà au moment des attaques contre les retraites, la clarté se faisait sur la correspondance entre une politique nationale et des directives européennes. La politique sociale, culturelle, économique de Chirac Raffarin n’est que l’anticipation ou l’adaptation du principe inscrit dans le texte qui sera soumis à référendum le 29 mai, « la concurrence libre et non faussée », dogme absolu du bon fonctionnement communautaire. Dés lors, François Hollande et ses amis ont résolu la contradiction majeure dans laquelle ils risquaient de se trouver : dire un mot concernant la France, son contraire concernant l’Europe. Dans les actes, ils unifient leurs positions en se rangeant -reconnaissons qu’avec le OUI ils ne peuvent faire autrement- avec armes et bagages dans le camps du « libéralisme » qui devient pour eux une frontière infranchissable.
Un bon exemple : l’école
La question du plan Fillon illustre assez bien la schizophrénie politique que peut produire la direction du parti socialiste. D’un côté elle demande à ses militants de condamner le plan français. De l’autre elle appelle à mener campagne pour le OUI... Grand écart difficile. Un exercice qui en général se termine dans la douleur. En effet, le plan Fillon en France n’est autre que le plan Arena en Belgique francophone, le plan Moratti dans l’Italie de Berlusconi, le plan « Education and skills : investment for reform » en Grande Bretagne, ou encore en Allemagne, au Danemark, etc.
Comme dans les autres pays européens, le plan Fillon trouve son origine dans la politique dictée par la commissaire européenne Viviane Redding : « adapter les systèmes d’éducation et de formation à la société et à l’économie de la connaissance ». En réalité, il s’agit d’adapter les systèmes éducatifs des différents pays européens conformément aux vœux de la commission européenne qui précise que « jamais auparavant le conseil européen n’avait accordé une telle reconnaissance au rôle joué par les systèmes d’éducation et de formation dans la stratégie économique et sociale et l’avenir de l’union ». Il s’agit dés lors d’assumer une formation minimale qui correspond aux exigences du moment. Contrairement aux discours les plus courants en la matière, on constate en effet un accroissement du travail peu qualifié pour lequel on demande à l’école d’enseigner vaguement les bases élémentaires -lire, écrire et compter- et quelques mots d’anglais nécessaires pour barguigner. La loi Fillon n’a d’autre objet en France que d’accomplir ce vieux rêve du capitalisme consistant à faire de l’école une antichambre de l’entreprise, à moindre coût, mais à rentabilité maximale.
Il ne s’agit dans le domaine éducatif que de mettre en place une politique européenne sans grande ambiguïté. Contre les métiers, contre les diplômes, en avant vers « la formation tout au long de la vie », « la validation des acquis de l’expérience » ou encore « l’éducation informelle hors de l’école ». Le vote OUI intervient directement dans la mise en œuvre de cette politique prévue de longue date. La suppression des disciplines est inscrite, comme celle des postes et des personnels, dans un pacte de stabilité budgétaire qu’impose l’union européenne. Il en est de l’école comme de l’ensemble des services publics, menacés directement derrière l’appellation de « services d’intérêt général », par « la concurrence libre et non faussée ». Ce qui semble gelé pour le moment dans les décisions des différents gouvernements européens, dont le nôtre, est remis unanimement à l’après adoption du traité constitutionnel qui sera l’occasion de tout faire passer en bloc, sans retenue ni limite. Du bac aux postes menacés en passant par les matières enseignées et en danger, le combat pour gagner ici passe sans conteste par le NON le 29 mai. Réciproquement, le OUI le 29 mai revient à faire passer tous les mauvais coups dans chaque pays, et donc chez nous aussi.
Le NON peut gagner !
Un sondage, deux, puis... nous voila à plus de dix qui indiquent la même tendance. Le NON peut gagner car il est ancré socialement dans le pays. En effet, les intentions de vote des français par catégories indiquent bien une tendance de fond. 79,9% des ouvriers se prononcent contre le traité constitutionnel. Comme 73,5% des employés, ou encore 69% des agriculteurs ou 63,5% du secteur public. Une majorité de cadres font un choix identique. Il y a là, pour des raisons qui parfois se déclinent différemment mais qui souvent recoupent les mêmes préoccupations, une volonté qui persiste et qui dépasse le simple mouvement d’humeur que voulaient y voir dans un premier temps les responsables du OUI. D’autant qu’un décrochage de plus en plus évident apparaît entre les leaders du OUI et leur propre électorat. 59% des électeurs socialistes penchent pour le NON. 75% des verts font de même comme plus de 90% des électeurs du PCF ou de l’extrême gauche. Du côté syndical, le vote intervenu au sein du « parlement » de la CGT, mettant en échec Bernard Thibault et une grande partie de la direction de la confédération, a été un tournant. Au sein de la CGT donc, mais aussi de F.O., de la F.S.U., de Solidaires, de la C.F.T.C. ou de la C.G.C., la majorité penche vers le NON. le NON pèse de façon significative jusque dans la C.F.D.T. dont la direction fait campagne ouverte pour le OUI, ou dans l’U.N.S.A. dont le dernier congrès a été l’objet d’un chantage pathétique de la direction, conditionnant pratiquement la vie du syndicat au « OUI à la constitution ». Au final, ce sont plus de 80% de syndiqués du pays qui aujourd’hui disent NON au projet de « Constitution » européenne et qui en même temps désavouent la presque totalité des responsables politiques du pays qui se rangent dans le camp du OUI.
Politiquement, cette détermination s’inscrit dans le mouvement qui s’est dessiné depuis le 21 avril 2002. Là où les commentateurs n’avaient voulu voir que le produit de la division des candidatures à gauche pour expliquer la défaite de Lionel Jospin, les électeurs avaient en partie indiqué leur désaveu d’une politique dont le premier intéressé avouait qu’elle n’était « pas socialiste », ou encore « que l’état ne pouvait rien face aux dérives économiques, aux licenciements et à la mondialisation ». Le résultat qui évinçait Lionel Jospin du second tour était en partie l’expression d’un rejet du social libéralisme dont se revendiquaient de plus en plus ouvertement nombre de responsables socialistes. Dans la foulée, les résultats des élections cantonales et régionales indiquaient une volonté similaire de défaire le libéralisme en infligeant une défaite sans précédent au parti du président, à ses candidats et aux institutions de la 5ème république elle-même. Les élections suivantes destinées à élire les députés européens s’inscrivaient dans la même lignée. Les électeurs qui aujourd’hui se prononcent pour le NON ne font que montrer qu’ils possèdent, contre vents et marées, une certaine constance dans leurs positions malgré les pressions de toutes sortes.
Epinay à l’endroit ou Tours à l’envers : Recomposer la gauche !
Au lendemain du référendum, quel que soit le résultat, il y a fort à parier que plus rien ne pourra être comme avant. Les coups portés risquent en effet de laisser des traces indélébiles. Comment en effet faire fi des affirmations de François Hollande par exemple selon lesquelles « si Le Pen se fait discret, c’est que d’autres font le travail à sa place ». Une façon élégante de traiter du bout des lèvres de lepénistes des militants, parfois élus, qui prennent leurs responsabilités sur cette question essentielle. Comment oublier les propos répétés -notamment par nombre de responsables du PS- destinés à faire l’amalgame en évoquant « le NON qui va de Fabius à Le Pen ». Comment faire comme si de rien n’était alors que la prise de parole avec quelques responsables du Parti Communiste autorise un Julien Dray à parler de Jean Luc Mélenchon - dont il fut très proche dans un passé récent, avant de devenir porte parole de Hollande - comme d’un simple « stalinien » ? Comment ne pas se souvenir de l’attitude du N°2 du PS, François Rebsanem, en appelant à Chirac pour qu’il « parle enfin » et au CSA pour lui demander de ne pas donner trop de temps d’antenne au « NON de gauche » et de privilégier à la place le responsable du « Front National » ? Comment faire fi de toute cette ignominie, expression d’un clivage de fond entre ceux qui sont prêts à passer par-dessus bord, jusqu’au bout, leur propre héritage historique dont ils se réclamaient encore il y a peu en fonction des circonstances, et ceux qui désirent rester fidèles à l’idée qu’ils se font de leur parti et de la social-démocratie ? Si le OUI l’emporte, Hollande a averti. Plus d’investiture, plus d’expression autorisée, plus de position pour ceux qui auront bravé les consignes de la direction.
Si c’est le NON, toute tentative pour maintenir « l’unité du parti socialiste » ne pourra s’accomplir qu’en rupture avec le mouvement qui aura conduit à la victoire du NON. La question incontournable qui méritera d’être en effet posée pour rester fidèle à des mois de bataille est claire : existe-t-il encore quoi que ce soit de commun entre le combat socialiste, social démocrate, et les partisans du OUI qui auront été défaits ? Ne vaut-il pas mieux par simple souci de clarté que les sociaux libéraux abandonnent le qualificatif de social et aillent rejoindre le camp libéral qu’ils auront défendu de fait ouvertement durant des mois ? Poser ces questions, c’est y répondre. Avec la victoire du NON, la politique pourra peut-être en fonction des volontés, reprendre le dessus. En appelant par exemple tous les partisans du NON à gauche, qui sont plus nombreux hors que dans le parti socialiste, à participer à une refondation de la gauche sur une base nouvelle, clarifiée par le rejet de la pseudo constitution. Pour aller dans cette voie, pour s’en donner les moyens, encore faut-il au plus vite créer une dynamique. En réalisant dés maintenant, sans attendre, l’unité la plus grande à gauche pour gagner le 29 mai.
Ainsi, le 29 mai peut être une date historique. Pour une triple raison.
D’abord en permettant de mettre un coup d’arrêt à l’Europe libérale qui nie la république, les nations et la souveraineté des peuples.
Ensuite en accélérant la fin du gouvernement Chirac Raffarin.
Enfin en ouvrant la voie d’une gauche recomposée, à travers un congrès de Tours à l’envers, ou simplement d’un nouveau congrès d’Epinay.
Jacques Cotta - Le 13 avril 2005