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L’arrêt de mort du Code du Travail ?

Par Bernard Germain • Lutte de classes • Mardi 10/05/2005 • 0 commentaires  • Lu 2624 fois • Version imprimable


Votre site s’appelle "". C’est un beau nom, et aussi tout un programme. Un bon programme. Malheureusement, en vous lisant (je suis un nouveau lecteur), je note que la "politique" occupe une place de choix dans vos colonnes ... au détriment justement de . C’est dommage, car ces problèmes ne sont pas secondaires. Il s’en faut. Pour preuve, en voici un exemple édifiant qui mériterait, selon moi, que se mobilisent sans compter toutes les énergies attachées à la justice sociale, afin de faire capoter ce projet scélérat.

Le Gouvernement Raffarin aux ordres du Medef

Le gouvernement Raffarin, poussé par l’aile libérale de la majorité qui le soutient, n’a de cesse de "détricoter" l’édifice social patiemment construit. Il faut dire que le Medef ne ménage pas ses efforts pour obtenir de ce gouvernement qu’il avance à grands pas dans cette voie. Ainsi, le 9 Février, l’Assemblée Nationale a-t-elle voté un nouveau texte de Loi remettant en cause la Loi des 35 H. Les esprits pudiques diraient qu’elle a voté une Loi d’assouplissement. Une seconde en l’occurrence, qui s’attaque à des points clés du dispositif, notamment le régime du compte épargne temps, le contingent des heures supplémentaires et la possibilité par simple accord d’entreprise de transformer du temps libre en rémunération.

Pour faire ce mauvais coup, et afin de ne pas apparaître trop ouvertement aux ordres du Medef, le gouvernement s’est abstenu de prendre l’initiative du dépôt d’un projet de Loi. C’est donc en toute "indépendance" qu’un député UMP s’est dévoué pour présenter le projet qui bien sûr a été voté.

Pour le Gouvernement, les apparences sont sauves...seulement pour les naïfs.

On pourrait ainsi multiplier les exemples, mais ce serait trop long. Un mérite toutefois d’être souligné. En Décembre 2004, Jean-Louis Borloo a présenté son projet de Loi sur la cohésion sociale. Il s’agissait sur le papier de réduire la fracture sociale. A l’arrivée, le résultat est exactement inverse. En effet, le texte a été "enrichi" d’amendements de députés (toujours la même méthode) tendant à faciliter ... les licenciements !

Au moment de la campagne électorale présidentielle, Jacques Chirac nous a rebattu les oreilles avec cette fameuse "fracture sociale", il n’en parle plus guère aujourd’hui. Mais lorsque son gouvernement est à la manœuvre on mesure la distance qui existe entre le discours et les faits. L’être et le paraître !

Tout cela pour la plus grande satisfaction des employeurs et du Medef.

Attaque contre la clé de voûte du dispositif social

Mais aussi désagréables que puissent être les faits relatés ci-dessus, le pire est à venir. Il s’agit d’un problème fondamental pour l’ensemble de l’édifice social et toute la jurisprudence qui s’y rattache.

Avant d’exposer précisément le problème posé, il me semble utile de dire quelques mots sur ce que les juristes appellent la "hiérarchie des normes".

En France les relations entre salariés et employeurs sont encadrées par de nombreux textes, et jurisprudences résultant de litiges tranchés par les tribunaux. La "brique de base" de cet édifice est constitué par le Code du Travail. C’est par nature un texte très général puisqu’il s’applique à toutes les professions. Sinon comment pourrait-il être applicable par des professions aussi différentes que les routiers, les marins pêcheurs, les employés de restauration,...etc.

Pour prendre en compte les spécificités d’une profession, les syndicats et les employeurs négocient une Convention Collective. Si elle est "étendue", elle s’impose à toutes les entreprises de la branche, sinon elle est facultative et c’est par "adhésion" que les partenaires sociaux d’une entreprise appartenant à cette branche décident de l’appliquer dans l’entreprise.

Il est évident qu’à moins de bégayer par écrit, c’est à dire de réécrire ce qui figure déjà dans le Code du Travail, les négociateurs vont introduire dans le texte de la convention des clauses plus favorables à ce qui figure sur le même sujet dans le Code du Travail. C’est pour cela qu’on entend fréquemment dire qu’une convention est "plus favorable". Par contre, et c’est essentiel, l’inverse est interdit. On ne peut mettre, même avec l’accord de tous les partenaires sociaux, une ou plusieurs clauses inférieures à ce qui figure dans le Code du Travail. Dans ce cas la clause est réputée "non écrite", c’est à dire qu’elle n’a aucun effet et ne peut être opposée.

Chaque Branche Professionnelle est constituée de multiples entreprises. La Convention Collective ne pourra pas prévoir les solutions de tous les problèmes, applicables dans toutes les entreprises. Elle se contente donc de poser des grands principes et selon la formule consacrée, "il appartient aux partenaires sociaux dans chaque entreprise d’en négocier l’application".

C’est l’objet principal des accords d’entreprise. Ainsi, si nous prenons l’exemple des Télécommunications, une convention collective "étendue" existe. De nombreuses entreprises font partie de la Branche (France Télécom, Bouygues, Cegetel,...), mais sur un même sujet elles n’ont pas forcément la même façon d’y répondre. Toutes devront respecter les règles posées par le Code du Travail et la Convention Collective, mais pour ce qui de l’application de la règle, c’est la négociation dans chacune de ces entreprises qui arrêtera les mesures précises et propres à l’entreprise concernée au travers de son accord d’entreprise.

L’accord d’entreprise devra lui aussi respecter la règle fondamentale explicitée précédemment. Aucune clause ne pourra être inférieure à ce que contient la Convention Collective, ni à ce que contient le Code du travail pour les clauses non prévues par la Convention Collective.

S’agissant des accords d’établissement, c’est la même chose. Chaque accord ne saurait avoir une clause inférieure à ce que contient l’accord d’entreprise, qui lui-même ne saurait être inférieur à ce que contient la Convention Collective, ...etc.

Ce système, et les relations des différents textes entre eux, s’appellent la "hiérarchie des normes". C’est la clé de tout notre édifice social. Toucher à cela, c’est toucher à l’essentiel - la clé de voûte - et inscrire à l’ordre du jour l’écroulement rapide de tout l’édifice.

C’est pourtant ce qui a été décidé par le gouvernement et voté en Décembre 2003 par l’Assemblée Nationale. Encore et toujours avec la même méthode sournoise et hypocrite. Au départ, il s’agissait de "formation Professionnelle" et du "Dialogue Social". A l’arrivée, par la grâce d’un simple amendement fort opportunément déposé par ce brave Fillon sur la "demande pressante" de certains députés, l’Assemblée Nationale a accepté de remettre en cause la hiérarchie des normes. Les spécialistes du Droit du Travail ont même parlé "d’inversion de la hiérarchie des normes".

Par quoi cela se traduira-t-il ? Par la possibilité offerte à des accords d’entreprise d’obtenir des dérogations au Code du Travail sur des sujets majeurs comme le recours aux CDD, à l’emploi intérimaire, à la durée du travail,... !

Dès lors qu’il sera possible d’obtenir des dérogations, même si pour l’instant il y a encore des secteurs "protégés", on est en droit de s’interroger sur l’avenir du Code du Travail. On pourrait même dire sur son absence d’avenir ! En effet, à quoi sert un texte de référence dont il est possible de s’affranchir ?

C’est donc un véritable séisme social qui est planifié. Pour qu’il finisse de devenir réalité, il ne reste plus qu’à toiletter le Code du Travail. C’est le travail confié à une commission qui s’est mise sans tarder à l’œuvre sur ce thème, sous la présidence du Sénateur Larcher (UMP Yvelines). Elle devra rendre sa copie avant Juin 2006, c’est à dire avoir réécrit tous les articles concernés du Code du Travail.

Au moment du débat à l’Assemblée Nationale sur ce sujet, très peu de parlementaires se sont intéressés au problème. Semblant pour la plupart ne pas comprendre l’importance ni l’enjeu de cet amendement. Pour les salariés, les syndicats, l’ensemble de l’édifice social, c’est un sujet absolument fondamental. Sans un sursaut salutaire et une mobilisation à la hauteur de l’évènement, on peut dire sans prendre de gros risques que les conséquences de la mise en œuvre de cette "révolution" seront catastrophiques pour le monde du travail.

La mèche est allumée...

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