Deux évènements qui viennent de se dérouler ces derniers jours ne seraient qu’anecdotiques s’ils n’annonçaient une année 2015 d’enfer pour les peuples d’Europe, et singulièrement pour le peuple français. Le premier est la mise en garde menaçante à l’encontre des états du Sud, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, le Portugal notamment, et la France, de la part de Pierre Moscovici, l’ex ministre de François Hollande recasé à la commission européenne. Endossant le costume de socialiste père fouettard qui décidément sied si bien à la fonction de commissaire européen, l’ancien ministre hollandien a stigmatisé tout retard dans la mise en musique de la politique préconisée par Bruxelles, et menacé les états de « lourdes sanctions financières (…) si au mois de mars 2015 les objectifs n’étaient pas atteints ». Le second s’est déroulé sur un plateau de télévision. Face aux représentants de ceux qui se définissent comme « la gauche de la gauche »- Jean Luc Mélenchon, Cécile Duflot, et Benoit Hamon dont l’attelage est pour le moins étrange- c’est une député européenne allemande, véritable clone d’Angela Merkel, qui est venue « rappeler les français à leurs responsabilités » et indiquer en substance que « l’Allemagne ne tolérerait pas de nouveaux retards dans la chasse aux déficits et la mise en application d’une politique d’austérité rigoureuse ». Le tout appuyé sur un programme établi à l’écart des regards encombrants.
« Oui mais… » Ont répondu chacun à leur manière les trois invités sur le plateau.
« Vous avez signé les traités, maintenant il faut les appliquer ! Ce sont les exigences de l’Union Européenne…» a conclu madame Merkel bis.
Ce tir tendu aurait bien peu d’importance s’il ne venait appuyer des décisions qui ont été prises à Bruxelles sans aucune publicité. Les intitulés font figure de tarte à la crème, mais leur rappel donne une idée de l’ampleur du chantier auquel le gouvernement de François Hollande et Manuel Valls compte s’attaquer en obtempérant aux desiderata allemands et bruxellois.
Le Coût du travail d’abord. Malgré « le pacte de stabilité » et les dizaines de milliards d’euros accordés au patronat en échange de création d’emplois que tous s’accordent aujourd’hui à reconnaitre bien illusoires, il faut plus. Sentant la période de Noël propice aux cadeaux redoublés, Pierre Gattaz et le Medef ont d’ailleurs décidé de mettre leurs pas dans ceux de l’Union Européenne qui demande à nouveau de « réduire les cotisations sociales patronales en allant au-delà du CICE », notamment pour ce qui concerne « les plus bas salaires ».
Les allocations chômage ensuite. Il s’agit de revoir les accords de maintien dans l’emploi en vue « d’accroitre leur utilisation par les entreprises en difficulté ». La chanson est la même que celle qui depuis des mois est fredonnée sur « la baisse des charges ». Il s’agirait de « réformer le système d’assurance chômage afin qu’il encourage le retour à l’emploi ».
Les dépenses de santé aussi. Il faudrait « diminuer » les dépenses publiques dans le secteur des « soins de santé, y compris dans le domaine pharmaceutique ».
Les retraites également. Là encore même chanson, même refrain. Il s’agirait de « prendre les mesures nécessaires » pour « ramener durablement le système des retraites à l’équilibre d’ici 2020 », cela « dans tous les régimes, en se concentrant notamment sur les régimes spéciaux et complémentaires existants ».
Les collectivités locales ne sont pas oubliées. Au nom des « doublons administratifs », aller vers « une fusion de collectivités » et « rationaliser les dépenses tout en réduisant les dotations octroyées par l’état ».
Les professions réglementées enfin. Il faudrait ainsi « supprimer les restrictions à l’accès aux professions réglementées » et « réduire les contraintes réglementaires dans le secteur du commerce » ce qui donne un certain relief au débat sur l’ouverture des boutiques le dimanche notamment…
Et la concurrence évidemment. Les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité sont l’objet de toutes les inquiétudes au nom « d’une concurrence libre et non faussée ». De même le transport intérieur des passagers dont « le marché devrait être ouvert ».
En un mot, l’Union Européenne rappelle les états à l’ordre pour la mise en œuvre de la politique de déréglementation généralisée qui doit mettre à bas ce qui reste des acquis sociaux obtenus dans des mouvements historiques, les grandes grèves de 1936 ou la situation de double pouvoir installée dans le pays au sortir de la guerre en 1945-1947. L’obstination de l’U.E. est totale dans cette volonté de faire payer aux peuples la dette et les déficits organisés par le capitalisme dont les dernières crises –celle des subprimes en 2008- sont le point de départ des problèmes actuels. En France comme dans les autres pays, le bond du déficit vient en effet des années 2008 et 2009 avec les centaines de milliards injectés dans le système bancaire, les plans de relance et la baisse des recettes fiscales consécutives à la crise. Ainsi, pour la zone euro dans son ensemble, le déficit qui n’était que de -0,7% du PIB en 2007 est passé à -6,3% en 2009. Pour les pays de l’OCDE, de -1,3% en 2007, le déficit est de -8,2% en 2009. Mais il y a plus. Certains pays saignés par des plans de rigueurs tels l’Irlande ou l’Espagne étaient en 2007 en excédent. Pour la France, les déficits s’élevaient à -2,3% en 2007 pour passer à -7,1 en 2010[1].
Ces recommandations impératives de l’Union Européenne à tous les Etats ont déjà été partiellement mises en œuvre dans un pays test de l’Union, la Grèce, qui a joué malgré elle le rôle de cobaye permettant de déterminer le seuil de tolérance du peuple à des mesures qui mettent directement sa survie en danger.
Sur toutes les questions la Troïka –c'est-à-dire l’Union Européenne, la banque centrale européenne et le fond monétaire international- a œuvré au nom de la dette et des déficits, dés le lendemain de la crise des subprimes. Les conséquences ont été radicales dans tous les secteurs vitaux pour la population. Pour les salaires et l’emploi, la précarisation est devenue un luxe tellement les emplois ont été par centaines de milliers supprimés. Pour les jeunes le taux de chômage a explosé. Pour les vieux, les retraites ont été amputées au point de jeter dans la mendicité et dans l’indigence des centaines de milliers de grecs qui jusque là étaient épargnés. Les suicides à répétition sont venus rappeler cette terrible réalité. Pour les chômeurs les allocations ont été supprimées. Pour la santé, ce sont des associations caritatives ou « Médecins du Monde »qui ont été contraintes de venir prendre la place de services qui ont été fermés. Les collectivités ont vu leur budget réduits, certaines étant contraintes de se déclarer en faillite, c'est-à-dire de tout arrêter, du jour au lendemain, se trouvant dans l’incapacité d’honorer le moindre engagement financier.
Ce sont les peuples qui paient, pendant qu’à l’autre bout de la société l’enrichissement se poursuit, la richesse étant captée par une petite minorité. La Grèce encore et toujours avec l’arrogance des grands armateurs (dont l’exonération d’impôt est inscrite dans la constitution, comme l’est d’ailleurs celle dont jouit l’église orthodoxe) qui ont accumulé leur richesse dans la dernière période comme jamais ils n’avaient pu le réaliser, proportionnellement à la pauvreté qui s’est répandue dans toute la société.
Sur toutes ces questions vitales, l’Europe sous le coup de l’Union européenne doit devenir la Grèce. C’est une véritable déclaration de guerre contre notre pacte social qui est ainsi proclamée. Quelques piliers permettent encore de limiter les dégâts du capitalisme intégral qui est en train de poser ses exigences. Mais c’est au détriment des profits qui peuvent encore être tirés, et c’est précisément cela que le système et l’oligarchie qui est à la tête des institutions ne tolèrent pas. Sécurité sociale, enseignement, retraites, santé, services publics dans leur ensemble, collectivités, communes et départements, démocratie, république, voila les enjeux essentiels de la période qui est devant nous.
C’est dans ce contexte que les positions méritent d’être appréciées. La gauche poursuit dans une voie suicidaire pour elle-même –ce qui en soi n’est pas d’une grande gravité- mais surtout pour le pays et le peuple.
Le gouvernement qui représente une part importante de la gauche -avec le parti socialiste et jusqu’à il y a peu les verts- se révèle être le premier parti en France à défendre les intérêts du capital financier contre ceux du travail. Les discours passés ne peuvent en effet faire oublier la réalité. François Hollande qui déclarait pour se faire élire « mon ennemi est la finance » dans son meeting du Bourget a promu « le socialisme de l’offre » au nom du réalisme, lorsque son premier ministre Manuel Valls s’est fait l’adepte numéro 1 de l’entreprise dans le pays. Le « pacte de stabilité » élaboré par Emmanuel Macron lorsqu’il était un des conseillers de François Hollande à l’Elysée est aujourd’hui mis en œuvre par Emmanuel Macron devenu ministre. Les critiques médiatiques faites au MEDEF qui « ne respecte pas ses engagements en terme de création d’emplois » ne peuvent donner le change. D’ailleurs au gouvernement chacun dissipe vite le doute. Le pacte de stabilité a été voté, et il sera appliqué ! Pierre Gattaz est rassuré, au point d’ailleurs d’en demander toujours plus…
A première vue, il est étonnant de voir le parti socialiste continuer dans une voie qui le mène sur les traces du Pasok en Grèce, ou encore de la gauche italienne. Les prochaines élections risquent bien d’être absolument impitoyables pour un parti et un gouvernement qui fait des directives de l’union européennes l’alpha et l’oméga de sa politique. Le parti socialiste voit le nombre de ses adhérents fondre au fur et à mesure de ses défaites électorales. Les projections qui doivent certes être prises avec précaution mais qui méritent une certaine considération donnent en cas d’élections législatives une cinquantaine de sièges à la gauche, soit une perte de plus de 200 circonscriptions. Un rejet à la hauteur de celui qui frappe la politique de l’UE et les institutions européennes.
Au sein du parti socialiste, les « frondeurs » veulent faire acte de résistance. Mais pour cela ils se contentent de s’abstenir sur les textes clés au prétexte qu’il ne faudrait pas permettre le renversement du gouvernement … de gauche. Débat fou enfermé dans la camisole des sigles. Car que signifie « gouvernement de gauche » lorsque le gouvernement concerné mène à vitesse accélérée la politique la plus réactionnaire qui soit, celle dont rêvait Nicolas Sarkozy lorsqu’il était au pouvoir et qu’il était incapable d’appliquer. On voudrait nous faire croire que la question est tactique. En réalité elle est politique. C’est le refus de rompre avec l’Union Européenne, cette construction politique qui n’a rien à voir avec l’Europe mais qui est au service exclusif du capital intégral contre les peuples et les nations, qui explique cette position absurde des « frondeurs » qui restent à la remorque d’un gouvernement et d’une politique qu’ils ont beau jeu de critiquer. Certains vont même jusqu’à s’assigner l’objectif de « sauver le quinquennat ». Absurdité, quand tu nous tiens… Leur sort aussi est noué car qui peut croire que l’électorat demain fera la différence entre le socialiste actif qui revendique le pacte Macron et le socialiste « critique » qui aura dans la douleur permis la mise en pratique de la politique gouvernementale. A tergiverser, ceux-là aussi seront balayés, comme les autres…
La gauche de la gauche se présente comme une alternative mais qu’en est-il en réalité ? France 2[2] nous a présenté un curieux attelage. Quoi de commun en effet entre Jean Luc Mélenchon du « front de gauche » qui se veut « eurosceptique », Cécile Duflot des « verts » qui se revendique « europhile » et Benoit Hamon des « frondeurs socialistes » ou encore « eurocritique ». Différence de forme indiscutablement. Différence de fond aussi sur les mois qui viennent, le troisième à l’inverse des deux autres conditionnant toute initiative à une fidélité réaffirmée au parti socialiste, au gouvernement et au premier ministre. Ainsi les deux premiers semblent se distinguer du troisième par un discours « plus à gauche ». Mais que valent les apparences ?
Au risque de choquer, ne faut-il pas reconnaitre que des trois, celui qui exprime une logique certes mortifère, mais implacable, est bien le troisième. Car ils ont ensemble un point commun. Aucun ne tire le bilan collectif qui d’ailleurs mettrait en cause son propre bilan personnel au point de conclure la nécessité de rompre avec l’Union Européenne, la banque centrale et l’euro. Dés lors au risque de déplaire, ne faut-il pas reconnaitre que mise à part la forme, tous demeurent dans le cadre politique qui est celui du pacte de stabilité, d’Emmanuel Macron, de Valls et Hollande, le cadre que fixe l’U.E. au nom de laquelle le « socialiste » Pierre Moscovici nous rappelle à l’ordre. La réalité politique nous indique qu’il n’y a pas d’espace pour une Union Européenne différente. L’amalgame entre Union Européenne et Europe relève être une escroquerie. La première est une construction au service du capital financier, la seconde est faite de Nations que l’U.E. veut détruire et de peuples qu’elle désire assujettir. L’acceptation de l’U.E. ne peut donner aucune crédibilité aux propositions qu’il est même dés lors difficile d’entendre. La « révolution écologique », la réorganisation de notre avenir autour de « l’économie marine » apparaissent comme des gadgets dés lors que le discours n’est pas préfacé par les conditions politiques nécessaires à toute autre orientation, c'est-à-dire à la sortie de l’U.E. et de l’Euro.
Ce cadre commun que constituent l’UE et l’Euro à la gauche et la gauche de la gauche, qu’elle soit plus ou moins critique, ouvre un boulevard au discours radical et démagogique de Marine Le Pen. En ne se réappropriant pas la Nation, la Patrie, le Peuple, la gauche sous toutes ses variantes déroule un véritable tapis sous les pieds de l’extrême droite qui sait se saisir des vraies questions pour apporter ses réponses xénophobes et dévoyer les couches sociales les plus faibles du combat uni pour la défense des intérêts du travail contre le capital.
La période est à une remise en cause généralisée qui passe par la destruction des Nations et des Etats. Avec l’U.E. se prépare dans les discussions secrètes engagées avec les Etats-Unis le traité transatlantique qui devrait généraliser à tous les secteurs la domination du privé, la liquidation des Nations et des Etats, la liquidation du public. Privatisations dans tous les domaines, négation de la démocratie, liquidation des droits sociaux, militarisation de la répression sociale… L’issue peut-elle faire l’économie de la reconquête de notre quintuple souveraineté, la monétaire confisquée par la BCE et l’Euro, la politique interdite par l’UE, la militaire entravée par l’OTAN, l’économique qui passe par l’établissement de barrières douanières lorsque nécessaire, la financière enfin qui nécessite l’abrogation de la loi Pompidou-Rotschild de 1973 qui livre l’état français aux marchés privés…
Que vaut alors toute proposition qui fait l’économie des conditions préalables à une politique différente ? Qui ne pose pas comme point de départ la nécessaire rupture avec l’UE, la BCE, l’OTAN et l’ensemble des structures supranationales qui interdisent aux peuples d’exercer leur droit à disposer d’eux-mêmes et qui nous mènent collectivement à la catastrophe annoncée…
[1] Ces chiffres sont issus d’études de l’OCDE et pour la France des comptes nationaux et de l’INSEE.
[2] Des paroles et des actes du jeudi 4 décembre 2014
le syndicalisme - Le blog de Lucien PONS : " L’union européenne : plus que jamais, en sortir ou en mourir !Gauche et gauche de la gauche dans une impasse mortifère.Par Jacques Cotta."